C’est face aux monts de l’Aubrac, sur la terre de son enfance, que Sébastien nous ouvre les bras. à quelques semaines de sa réouverture, le restaurant s’accorde une nouvelle jeunesse. C’est donc entre les tables et chaises empilées que l’on se fraie un chemin pour vivre, le temps d’une interview, la frénésie de ce lieu d’exception.

On dit plutôt Sébastien Bras, Bra(s) ou Braz ?

Sébastien Bras : Ça dépend de quelle région on vient ! (rires) Ici, dans l’Aubrac, on dit plutôt Bras avec un « s ». Lorsqu’on monte dans le nord de la France et de l’Europe, on prononce davantage Bra(s). Par contre, on ne dit pas Braz !

Lorsqu’on est enfant et que l’on vit ici, c’est un peu le paradis, non ?

En effet, je me souviens que je passais un tiers de mon temps en balade sur l’Aubrac, un second tiers chez mes grands-parents agriculteurs et un dernier tiers en cuisine dans l’établissement familial. C’est ce qui explique, entre autres, le choix de mon métier. Je voulais rester sur mon terrain de jeu de prédilection.

Sans un père cuisinier, aurais-tu fait ce métier ?

Je me suis posé la question il n’y a pas si longtemps. Avec le recul, je pense que j’aurais sans doute fait un métier en lien avec une matière, une texture. Peut-être le bois ou le fer, artistique ou non, mais qui implique le travail des mains.

Sébastien Bras, l'interview
Sébastien Bras, l'interview
© Anthony Florio

En cuisine, la patte Sébastien Bras, c’est quoi ?

Tout comme notre potager, notre cuisine est vivante. En pleine saison, ce ne sont pas moins de 120 herbes qui sont récoltées deux fois par jour. Véritable garde-manger à ciel ouvert, les végétaux que nous mettons dans nos assiettes ne peuvent pas être plus frais. Et lorsque la nature hiberne, on ferme. Ce serait un non-sens d’aller à contre-courant de notre environnement.

Question cuisine, la France a-t-elle selon toi un métro d’avance ou de retard sur ses voisins ?

Il y a 15 ans, la France avait sans doute du retard mais aujourd’hui, je pense qu’il y a eu un déclic avec la nouvelle génération des 30-40 ans. D’ailleurs, beaucoup de cuisiniers de ma génération se revendiquent de chez Bras alors qu’ils n’ont jamais travaillé ici. Imaginez un restaurant comme celui-ci perdu au milieu de rien, avec une cuisine végétale, presque rétro, au moment où l’on a ouvert en 92, et avec en salle, un seul couteau que l’on essuyait avec un morceau de pain entre chaque plat… il fallait être un peu inconscient. Ca marque les esprits.

1. Une adresse pour boire un dernier verre ?
La cave de Sergio à Laguiole

Et puis, c’est bien pour la planète en même temps, non ?

L’écologie est en effet très tendance en ce moment, cependant, faire une cuisine de nature lorsqu’on est au cœur d’une métropole de plusieurs millions d’habitants, quelque part, ça sonne faux ! Il faut que ça vienne de soi, de son essence même et non d’un concept qui correspond à une époque donnée.

En cuisine, tu te sens concerné par cette problématique ?

Pour nous, cela relève du bon sens paysan que nous ont transmis nos aïeuls. Nous n’avons pas attendu la mise en place de la loi sur les biodéchets pour faire du compost avec les épluchures de nos légumes. L’Aubrac est une région pauvre. Si ma grand-mère voyait un jeune cuisinier couper un centimètre de carotte en bas parce qu’elle n’était pas belle, il passait un mauvais quart d’heure !

2. Le meilleur endroit pour une pause sucrée ?
Pâtisserie Auriat à Laguiole

As-tu un chemin tout tracé pour la création ?

La création est une affaire personnelle. Ce que je fais moi, un autre cuisinier ne le fera pas car il n’aura pas eu la même démarche intellectuelle et émotionnelle. C’est une discussion que nous avons souvent eu avec mon père car nous sommes tous les deux issus du même territoire. Or même si l’on a travaillé longtemps ensemble, tu lui donnes un céleri et une poire, il en fera totalement autre chose.

Quel plat devrais-je absolument goûter avant de partir ?

L’incontournable gargouillou de mon papa mais aussi la gaufrette de pommes de terre, crème au beurre noisette et caramel au beurre salé qui est l’une de mes recettes signature. Je m’amuse aussi beaucoup autour de l’endive que j’essaie d’adoucir avec quelques notes de miel du Suquet, des agrumes et de la peau de lait.

3. Où casser la croûte pour moins de 30 € ?
Chez LaBa à Laguiole

« Dans 10 ans, je serai là où je serai heureux, c’est-à-dire ici sur mes terres natales »

 

à choisir, plutôt Laguiole ou Aligot ?

Entre les deux mon cœur balance ! (rires) J’aime le caractère très différent du Laguiole qui peut varier d’un affinage à l’autre. Il vit avec son territoire, ce n’est jamais deux fois le même et c’est ça que je trouve génial. L’aligot, c’est le côté festif, le plat des rassemblements. Ma grand-mère en tournait une tomme par an jusqu’à ses 85 ans.

On connait bien sûr le mythique coulant au chocolat. Si ton papa avait pu protéger cette création, il serait sans doute milliardaire à ce jour…

Oui, c’est fort probable ! (rires)

35 ans après, il est toujours à la carte. Comment on réinterprète un dessert de cette envergure ?

En effet, sur le coulant, les possibilités sont infinies, c’est ça qui me plaît ! Au printemps dernier, nous avions réalisé un coulant à l’asperge avec une note d’amande et un sorbet à l’estragon. Chocolat-réglisse-banane, vanille de Tahiti-butternuts-beurre noisette fonctionnent très bien aussi.

Endive, safran, crème aux herbes, vinaigre de citron
© Anthony Florio

Et la version industrielle, ça donne quoi ? La copie peut-elle atteindre l’original ?

C’est souvent pâteux, très sucré, particulièrement collant et indigeste car ce ne sont pas de vrais coulants mais des mi-cuit. Dans un coulant, il y a deux appareils, une pâte à biscuit et une ganache tandis que dans un mi-cuits, il n’y a qu’une pâte à biscuit que l’on fait cuire très fort au début pour créer un choc thermique et ainsi obtenir ce résultat coulant.

Dans les médias, on évoque rarement Sébastien sans Michel Bras ; c’est un peu comme Starsky sans Hutch, le duo inséparable ?

Depuis quelques années, les rôles ont glissé. Michel Bras est toujours là, il a son bureau à côté du mien, on déjeune ensemble, et puis il part ensuite s’occuper du jardin. On est toujours très complice que ce soit pour faire du sport ou pour parler cuisine. Aujourd’hui, un autre duo s’est formé, c’est celui que je porte avec mon épouse, Véronique.

4. La cave à fromages ?
Fromagerie, crèmerie Les Buronniers à Laguiole

à 44 ans, tu penses avoir coupé le cordon ?

Qui n’est pas attaché à ses parents ? Je ne renie pas mon héritage familial, si je suis là aujourd’hui, c’est grâce aux valeurs que l’on m’a inculquées. Sans elles, je ne serais plus moi. S’il faut que j’aille ouvrir un restaurant au fond de la Patagonie et servir de la baleine pour couper le cordon, ce n’est pas ce dont j’ai envie !

Ton père, Michel Bras, a été élu, début 2016, Meilleur Chef du monde par ses pairs. Seulement, c’est toi qui es aujourd’hui à la tête de la maison, non ?

Oui effectivement, mais je pense que cette distinction récompense avant tout l’influence qu’il a eue envers plusieurs générations de cuisiniers, sa ferveur et sa croyance envers sa bonne étoile qui lui a toujours insufflé de suivre ses envies sans se soucier des modes et des qu’en-dira-t-on.

5. Où déguster un bon Aligot ?
Buron de Camejane à Aubrac
Tarte fine aux légumes crème de truffe
Tarte fine aux légumes crème de truffe
© Anthony Florio
Gaufrette de pommes de terre crème beurre noisette, caramel
Gaufrette de pommes de terre crème beurre noisette, caramel
© Anthony Florio

Ça voudrait donc dire que bon nombre de tes collègues cuisiniers vivraient dans le passé ?

Il fait partie des chefs chez qui il faut avoir été mais c’est sûr que ça fait sept ans qu’il n’est plus en cuisine.

C’est une vraie expédition en terre inconnue pour venir au Suquet. Ce serait quand même plus chouette et surtout moins compliqué de vous avoir à Paris, non ?

Il y a peu de chance ! (rires)

Si demain tu devais quitter l’Aubrac pour un autre pays, où irais-tu ?

Sur l’île d’Hokkaido ou en Patagonie peut-être ! J’aime ces territoires pour leurs immensités lumineuses. Une sorte d’Aubrac bis !

Comme dit la chanson, on se donne rendez-vous dans 10 ans ?

A 55 ans, je serai là où je serai heureux, c’est-à-dire ici sur mes terres natales. On verra à ce moment-là si les enfants veulent reprendre la maison mais je ne veux pas forcer les choses. Si ça doit ce faire, je serai très content ; sinon on trouvera une solution !