15h
un jour de semaine. à quelques pas de l’avenue la plus célèbre de la capitale, je pénètre dans l’atmosphère feutrée de l’emblématique hôtel Prince de Galles. Rendez-vous au bar aux accents art déco avec la chef des cuisines, Stéphanie Le Quellec. La jeune cuisinière introvertie qu’elle était avant de participer à Top chef est désormais une femme confiante qui raconte son parcours avec fierté et parle de son métier avec passion. Entre les cuisines et la vie de famille, Stéphanie Le Quellec a trouvé son équilibre à force de persévérance et de détermination car, comme elle dit, « quand on veut, on peut ». Au Prince de Galles, elle s’épanouit au restaurant étoilé La Scène qu’elle a rejoint il y a 5 ans et fête ses quinze ans de mariage avec David Le Quellec, chef des cuisines du Moulin Rouge, avec qui elle élève trois garçons.
Une volonté à toute épreuve
La haute gastronomie n’était pourtant pas une évidence pour la petite fille qui a grandi loin des étoiles et des palaces, mais dans la culture de la table et des bons produits. « Je viens d’un milieu modeste, mes parents n’avaient pas les moyens d’aller dans les restaurants étoilés, explique la chef. Mais j’avais une maman et des mamies qui faisaient très bien la cuisine et on fêtait Noël avec 20 personnes à table ». Dès son plus jeune âge, la petite Stéphanie s’amuse à préparer des sablés et s’imagine déjà cuisinière. à 12 ans, elle n’hésite pas à sacrifier une semaine de vacances pour passer du temps dans le bistrot d’amis de la famille. Elle n’en ressort que plus déterminée. Le brevet en poche et soutenue par ses parents, elle décide d’intégrer une école hôtelière plutôt que de faire une seconde générale. « Quand je m’assois dans le bureau du directeur, se souvient Stéphanie Le Quellec, il me dit :
fais plutôt un bac parce que des jeunes filles qui veulent faire de la cuisine, j’en ai vues et au bout de trois mois elles partent en pleurant ». Mais Stéphanie tient le rythme. Elle passe son bac pro puis obtient son BEP en candidat libre. Elle enchaine les stages dans de petites maisons et se fascine pour les grands chefs qu’elle admire dans les magazines.
La révélation
La jeune femme découvre la cuisine étoilée lors d’un stage au palace Four Seasons George V à Paris (deux étoiles à l’époque) où officie le Meilleur Ouvrier de France Philippe Legendre. « J’ai découvert un univers d’exigence, de rigueur, de luxe, de discipline et d’excellence qui a été une révélation pour moi », confie Stéphanie Le Quellec. Après l’obtention de son BTS haut la main – ses résultats la classent première d’Île-de-France – elle décroche son premier poste dans le palace. « Nous étions deux jeunes femmes sur une brigade de 80 cuisiniers donc c’était dur mais j’avais le sentiment d’être là où je devais être, assure-t-elle. à partir de ce moment, tous mes choix qui ont suivi ont été orientés en vue de prendre un jour la place de chef dans un établissement comme celui-là ».
Après 4 ans à Paris, Stéphanie Le Quellec et son mari – rencontré au George V – descendent dans le Var pour préparer l’ouverture du domaine de Terre Blanche et de son restaurant Le Faventia à Tourrettes (sous l’enseigne Four Seasons à l’époque). Après une pause pour la naissance de ses deux premiers enfants, en 2004 et 2005, la chef reprend la cuisine aux côtés de Philippe Jourdin qu’elle seconde pendant 4 ans à Terre Blanche. « C’est le chef qui a marqué ma vie, reconnait Stéphanie Le Quellec. Philippe était la tête et moi les bras, nous n’avions pas besoin de nous parler ». En 2010, lorsque le chef quitte l’établissement, la jeune femme reprend les rênes de Le Faventia, sans imaginer que, l’année suivante, elle va vivre une expérience qui va propulser sa carrière.
Top Chef : un tremplin, une rencontre
Faire une émission de télévision ? Ce n’était pas vraiment dans les projets de Stéphanie Le Quellec en 2010. La jeune femme de 28 ans, plutôt timide, vient tout juste de devenir chef et prévoit de passer le concours de Meilleur Ouvrier de France. C’est son beau-père qui fait le pari de l’inscrire à la saison 2 de Top Chef. Pour lui faire plaisir, Stéphanie Le Quellec joue le jeu des pré-sélections, sans vraiment y croire. « Finalement, à 10 jours du tournage la production m’appelle et me dit que je fais partie des 14 candidats retenus »,
se souvient la chef. Encouragée par son ancien chef Philippe Jourdin, elle se lance dans l’aventure… mais pour gagner !
« Ça a été très compliqué et très intense, raconte la chef. J’ai vécu des situations difficiles qui ont développé chez moi des capacités d’adaptation qui me servent encore aujourd’hui : pour moi maintenant, il n’y a plus jamais rien de grave dans une cuisine, il y a une solution à tout, avec rien on peut toujours faire quelque chose ! ». En plus de lui donner confiance en elle et de la « désinhiber », l’émission a permis à Stéphanie Le Quellec de faire une rencontre décisive dans sa carrière, celle de Jean-François Piège. « Il a su me parler et me piquer à vif pour me faire avancer, explique-t-elle. Quand je suis rentrée dans Top Chef, je faisais encore la cuisine de Philippe Jourdin et j’étais encore sous-chef dans ma tête. J’en suis sortie avec la conscience de la nécessité d’assumer une cuisine. Je me suis mise à faire ma cuisine après Jean-François Piège. »
Gagnante de l’émission, Stéphanie Le Quellec se voit proposer les rênes des cuisines du Prince de Galles alors en profonde restauration. L’occasion de créer tout un univers à son image.
© Benoit Linero
© Benoit Linero
Sur le devant de « La Scène »
Pour sa réouverture en 2013, le Prince de Galles choisit Stéphanie Le Quellec pour donner une identité gastronomique à son restaurant et devenir une véritable destination de restauration. En à peine un an, elle décroche sa première étoile.
Désacraliser la cuisine palace
La chef a voulu faire de La Scène, sa scène : un restaurant signature qui se démarque des offres gastronomiques des autres établissements de luxe et qui « désacralise » la cuisine de palace. « Il me semblait important d’amener une vision différente et de rendre la cuisine de palace plus simple, plus accessible, plus conviviale et moins guindée », explique Stéphanie Le Quellec. Sa première idée a été d’imaginer, avec l’architecte d’intérieur Bruno Borrione, une cuisine ouverte, non vitrée et assez grande pour accueillir toute la brigade, au milieu de la salle. Ceinte de marbre arabescato et couronnée de 1200 feuilles de verre de Murano, elle est le cœur du restaurant autour duquel se répartissent les tables brutes, sans nappe. L’orientation des fauteuils permet aux convives de profiter du ballet des toques blanches qui s’activent aux côtés de Stéphanie Le Quellec. « En cuisinant au milieu de la salle, je peux saluer les clients, précise la chef. Certains se lèvent, viennent voir et posent des questions. Ça donne une atmosphère très différente de ce que l’on peut avoir dans d’autres maisons. »
Aucune fausse note dans la partition : ni agitation, ni bruits de casseroles, il faut tendre l’oreille pour entendre le délicieux grésillement des poêles. Un spectacle rare dans un restaurant étoilé.
Des produits simples sublimés
En préambule, des amuse-bouches que l’on déguste avec les doigts, un petit pain levé à partager, ou encore un beau morceau de beurre découpé dans une énorme motte. Le service est souriant, agréable et toujours disponible pour raconter l’histoire d’un plat ou répondre aux questions. Au fil des assiettes, la simplicité transparait dans les produits travaillés comme le « radis au beurre » à l’énoncé si simple mais au visuel si épatant, ou encore l’incontournable œuf des fermes d’Ile-de-France dont le jaune coulant, cuit au bouillon de volaille, se mêle au croustillant de la galette de sarrasin, à l’onctuosité de la crème d’asperge et à la délicatesse des morilles. Les cuisses de grenouille s’émancipent de la traditionnelle persillade : laquées à la sauce soja, il faut les saisir par l’os, avec les doigts, et les plonger dans une émulsion façon blanquette que l’on ne peut s’empêcher de saucer à la fin… Le mollet, travaillé en farce fine, complète le tableau. Un condensé de technique au service de la gourmandise. Chaque préparation est mise en valeur par un choix de vaisselle scrupuleusement étudiée. « Un plat ne s’exprime pas de la même façon selon l’assiette dans laquelle il est servi, explique la chef. Je tiens à ce que l’on ne retrouve pas deux fois la même au cours d’un repas. » L’expérience se poursuit avec les douceurs du chef pâtissier Nicolas Paciello dont son dessert signature « Vanille d’origine, dans l’esprit d’une omelette norvégienne ». Les convives sont alors invités à humer, comparer et choisir la gousse de vanille du Mexique, celle de Tahiti, ou celle de Madagascar qui le parfumera, pour un dénouement sur-mesure et parfaitement équilibré.
Les dates clés de Stéphanie Le Quellec
1996
Entrée à l’Ecole hôtelière Albert de Mun Paris
1999
Obtention du baccalauréat
2001
· Obtention du BTS
· Commis George V
2006
Elle devient la sous-chef de Philippe Jourdin à Terre Blanche
2008
Vainqueur du Trophée Auguste Escoffier
2009
Vainqueur des étoiles de Mougins
2010
Elle devient la chef executive à Terre Blanche
2011
Vainqueur de Top Chef
2012
Elle débute au Prince de Galles au mois d’avril
2013
Le Prince de Galles ouvre ses portes en mai
2014
Elle obtient sa 1ère étoile à La Scène en février
2015
Elle est finaliste concours MOF