Prenois, the place to be ? Ce village à 15 minutes de Dijon accueille quelques centaines d’habitants seulement pour un circuit automobile de renommée internationale et un restaurant distingué par l’un des plus célèbres guides gastronomiques du monde. Si le lien entre les deux ne semble pas logique de prime abord, il est pourtant incroyablement évident. C’est le développement de l’automobile qui va permettre l’essor du Guide Michelin et de la gastronomie de voyage, qui n’est autre que la thématique favorite des chefs de « La Charme », comme l’appelle les Dijonnais. À bien y réfléchir, c’est une cohérence fortuite qui relève presque de l’irrationnel. Si aucun des deux chefs n’est originaire de Bourgogne, depuis qu’ils y ont déposé leurs valises en 2008, il n’a jamais été question de repartir. Pas durablement en tout cas…
Itinéraire nomade
Tous deux ont grandi dans le sud de la France, Nicolas Isnard à Hyères et David Le Comte à Montélimar. Leurs parcours respectifs les mèneront du Gard aux Bouches-du-Rhône en passant par l’Île-de-France jusqu’à l’Aude. L’opiniâtre Nicolas Isnard fera des pieds et des mains pour travailler aux côtés de Gilles Goujon, chef MOF de l’Auberge du Vieux Puits à Fontjoncouse à l’époque doublement étoilé (puis triplement quelques années plus tard). À force de coups de fils répétés et d’une motivation chevillée au corps, le chef Goujon l’engage en 2003 comme chef de partie, comprenant parfaitement que le jeune homme n’a qu’une seule idée, devenir chef à ses côtés et son bras droit. Qu’à cela ne tienne, il fera ses preuves et obtiendra le poste tant convoité très rapidement. L’aventure de l’Auberge de la Charme prend racine ici puisqu’il y rencontre David Le Comte et Cécile Sagory. Ensemble, ils forment un trio qui ne se séparera plus et qui tirera le meilleur des qualités de chacun. Dans un premier temps, ils s’imprègnent complètement du chef Goujon qui reste le mentor absolu de Nicolas, celui qui lui a tout appris avec qui il partage une grande sensibilité et un caractère passionné qui les a parfois menés à traverser ensemble des tempêtes. En 2006, Nicolas qui exècre la routine se lance dans une nouvelle expérience et rejoint le Château de Curzay pour prendre le poste de chef, en compagnie de Cécile qui devient cheffe pâtissière. Il y vit la joie d’obtenir une étoile puis est rapidement rejoint par David. Du fait de leur travail collectif, ils conservent le précieux macaron jusqu’à leur départ coordonné deux ans plus tard.
© Noëmie Lacarelle
© Noëmie Lacarelle
Ancrage
« Après mon départ de l’Auberge du Vieux Puits, je me rappelle m’être dit que je ne voulais pas être mon propre patron. La gestion d’un établissement, des stocks, des équipes… c’est un travail à part entière. Ce que je voulais c’était intégrer une place de chef et obtenir une étoile, c’est tout. » explique Nicolas Isnard. Probablement l’expression de la jeunesse et d’une maturité professionnelle qui n’était pas encore atteinte puisque quelques années plus tard, il relèvera ce défi avec l’art et la manière. En 2007, le trio découvre la table de David Zuddas à Prenois qui cherche à vendre son activité. Ils font le déplacement en plein hiver et après y avoir déjeuné, c’est le coup de cœur immédiat. Lorsque l’on est habitué à la douceur du sud, le froid mordant de la Bourgogne et la neige qui tombe ce jour-là ont de quoi faire fuir n’importe qui. Pourtant, le soir même, ils se positionnent. « On était à la recherche d’une vieille maison avec des murs en pierre, des poutres en bois… » détaille Nicolas. Tout est réuni avec en bonus l’authenticité du village en pleine campagne, mais à proximité immédiate de la ville. L’aventure est lancée à l’été 2008 et en 2009, le Guide rouge renouvelle sa confiance en attribuant la récompense suprême au duo cette fois : « L’étoile n’est pas une surprise, c’est une attente et un espoir mais avant tout le résultat d’un travail. » souligne Nicolas.
Il n’en reste pas moins qu’un macaron décerné à un duo de chefs cuisiniers qui partagent le même poste et qui ne font pas partie d’une fratrie, cela reste un fait très rare dans le précieux guide. L’Auberge de La Charme devient alors le reflet de leur talent forgé à deux et de leur signature unique tandis que la Bourgogne devient leur point d’ancrage, là où leurs enfants naîtront.
Démonstration de force
Comment installer sa vision de la cuisine quand on n’est pas du coin ? Il faut que la mayonnaise prenne et ce n’est pas évident… « Dans le sud, les gens sympathisent très vite. En Bourgogne, on met 6 mois à vous dire bonjour mais on noue de vraies relations, sincères et durables. » explique Nicolas en souriant. « Je suis arrivé il y a 16 ans, mes enfants sont dijonnais, on est heureux ici. Aujourd’hui je me sens Bourguignon sans aucun doute, je me suis toujours senti proche des valeurs et du terroir. ».
Alors à leurs débuts, les chefs ont exploré la gastronomie bourguignonne pour s’imprégner du patrimoine local d’abord, mais aussi pour réussir le baptême du feu, prouver qu’ils étaient à la hauteur : « À l’époque, on montrait les muscles, on voulait faire la démonstration de notre technique avec des jus clairs et limpides par exemple, des sauces obtenues avec une précision parfaite. On prenait beaucoup moins de risques. ». Certaines associations nées de cette exploration progressive ont marqué les esprits et sont restées comme l’huître à l’époisses, revisitée plusieurs fois pour arriver au plat signature que l’on déguste aujourd’hui à La Charme. La confiance acquise auprès des Bourguignons se concrétise par une forte demande de prestations traiteur. Aussitôt dit, aussitôt fait, ils créent Kook’in en 2010 pour satisfaire le plus grand nombre. Un vrai terrain de jeu pour David Le Comte qui excelle dans la gestion de la logistique et dans l’organisation millimétrée nécessaires à la gastronomie d’évènements. « David, c’est l’eau, moi le feu. » aime à dire Nicolas. Le premier cadre les choses de manière exemplaire tout en étant capable de cuisiner dans n’importe quelles circonstances tandis que le second « part dans tous les sens » selon ses propres mots tout en aimant le confort de sa cuisine. Ce qui a peut-être fini de convaincre les Dijonnais, au-delà du talent évident des deux comparses, c’est l’ouverture du Bistrot des Halles en 2012. Une adresse populaire, face aux Halles du marché, où on peut croiser les chefs, boire un bon verre de vin, déguster une belle assiette, lézarder autour d’un plateau d’huîtres en papotant accoudé sur un tonneau… Une superbe réussite qui appellera la création en 2021 d’un second bistrot à Norges, en bordure du complexe de golf.
Insatiable globe-trotteur
Nous passerions complètement à côté de la cuisine des chefs si on faisait l’impasse sur leur passion pour les voyages, particulièrement en ce qui concerne Nicolas Isnard.
« Je suis un citoyen du monde. Comment rester franco-français quand on goûte à la cuisine étrangère ? » résume-t-il. Pour lui, parcourir le monde est presque une addiction. Fasciné par les cultures gastronomiques d’Asie, du Moyen-Orient et du bassin méditerranéen, il passe aujourd’hui plus de la moitié de l’année à sillonner le monde au gré de ses envies et de ses projets professionnels annexes. Ses excursions n’ont cessé de nourrir son inspiration sans pour autant se répercuter directement et pleinement en cuisine, du moins jusqu’en 2020. La pandémie de covid met brutalement un terme à ses pérégrinations dont il ne mesurait pas l’aspect capital dans sa vie. Comme pour beaucoup d’entre nous, il y a eu un monde d’avant et d’après. Celui qui disait en 2015 : « Je n’intégrerai jamais d’épices dans ma cuisine. », change complètement son fusil d’épaule. Toujours en concertation avec son binôme, le duo trouve enfin son identité culinaire tant recherchée : une cuisine d’ici et d’ailleurs, qui brise les frontières et crée des ponts entre les cultures, qui raconte des histoires de voyages. Nicolas n’hésite pas à faire défiler les dizaines et dizaines de notes consignées dans son téléphone. C’est son carnet de voyage, là où il enregistre le moindre détail de ses dégustations marquantes. Et celles-ci ne sont pas toujours issues de déjeuners mondains, loin de là : « J’adore manger dans la rue ou dans les marchés de nuit, c’est le meilleur moyen de découvrir des traditions, des produits. J’aime la simplicité car comme Paul Bocuse le disait : Il n’y a qu’une seule cuisine, la bonne. ». Dans le monde d’après, Nicolas et David prennent un produit d’ici et l’emmène ailleurs. Une démarche qui s’applique aussi à leur clientèle sans cesse invitée à un voyage dont elle ne connait jamais les escales et la destination à l’avance. « La France fait évidemment partie de ce voyage. » précise Nicolas. D’ailleurs l’un des plats signatures indétrônables de la maison reste la soupe à l’oignon revisitée qui revient chaque hiver et qui est emblématique du patrimoine français. Délicatement, il fait un détour par le Vietnam avec son « foie gras phô » à mi-chemin entre le pot-au-feu et le canard à l’orange, relevé de citronnelle, gingembre, menthe et coriandre. Un produit que les chefs travaillent également à la marocaine en associant le foie gras aux dattes, à la clémentine et au cumin.
© Arnaud Dauphin
© Arnaud Dauphin
Liberté totale
D’un spectacle technique, les chefs sont passés à un concert de gourmandises et d’exotisme : « Aujourd’hui quand on trouve notre plat délicieux, on a envie de le partager alors on y va. », explique Nicolas. Quinze ans après leurs débuts à la Charme, rien n’est plus pareil, ils se font confiance autant que les clients leur font confiance. Une liberté acquise à force de travail, de constance, d’intelligence et de risques pris au bon moment. Ceux qui ont déjà eu la chance de fréquenter l’Auberge ne seront pas surpris qu’on ne leur propose aucune carte, une curiosité devenue totalement normale. Ce choix, les chefs l’ont fait en 2011 et à cette époque-là, à peine une poignée de restaurants étoilés en France osait le faire. Une façon pour eux de ne pas se refuser aux produits, à l’inspiration de l’instant, de fuir la routine et de se renouveler régulièrement sans limites. Nicolas se retrouve aisément dans cette phrase prononcée par Philippe Etchebest il y a 20 ans : « Je suis out of mode ». Oui, car le duo de chefs, grâce à sa créativité, échappe aux tendances. La seule tendance qui leur colle à la peau, c’est cette présentation en forme de rose qu’ils affectionnent particulièrement et que l’on retrouve en fil rouge dans un certain nombre de recettes : « C’est l’expression de notre finesse car nous considérons notre cuisine comme extrêmement féminine et délicate. ». Ces hommes-là n’ont plus rien à prouver, ils maitrisent leur partition comme personne même s’il y a toujours cette envie de deuxième étoile qui plane au-dessus de leurs têtes. Des réussites, ils en ont d’innombrables à leur actif, des établissements florissants en Bourgogne, un autre à Riyad depuis 2023, à Abou Dabi en 2024, un livre qui leur est consacré édité chez Glénat et qui s’apprête à occuper les rayons des librairies… Mais il y en a une qui est particulière : « Réaliser cette cuisine en Bourgogne, c’est audacieux. Le Bourguignon est difficile à convaincre et 15 ans après on est toujours là. » ajoute Nicolas. En effet, au gré des évolutions de la cuisine du duo Isnard & Le Comte, la clientèle s’est montrée fidèle, que ce soit à l’Auberge comme aux Bistrots. Une belle relation de confiance et d’affection tissée petit à petit pour offrir aux chefs la carte blanche et la liberté qu’ils ont méritées.
12 rue de la Charme
21370 Prenois
03 80 35 32 84
http://www.aubergedelacharme.com/