Trente-six ans à peine et déjà une vie de cuisine. Jérémy Galvan a fait de l’ancrage dans son territoire rhône-alpin et de la libre circulation des idées dans sa tête, des priorités et un art de recevoir. Dans ce Vieux Lyon qui concentre Histoire et talents de la gastronomie, sa table étoilée met en scène ses convictions. Dictées par la nature, elles rythment l’espace et le temps du repas.

Arrivé un peu par hasard rue du Bœuf, Jérémy Galvan a dû patienter avant de transformer les lieux à sa mesure. « J’avais envie que mes clients soient acteurs et non contemplateurs. » Pour entrer dans la dimension rêvée de Jérémy et Nadia Galvan, les quatre éléments ont investi les lieux. L’entrée, forêt de Brocéliande, entre bois noirs et faille volcanique, annonce la Terre et le Feu de la première salle. L’Eau et l’Air attendent les convives dans la bulle bleu de la seconde salle que les miroirs-hublots d’un Nautilus imaginaire baignent de leur éclat.

Entrer dans l’univers onirique du chef
Attablé, on cède à l’envie de redresser le verre comme tombé, de se saisir de la serviette, déployée telle une liane. L’acte un a commencé et vous en êtes l’acteur. L’apéritif maison est une extraction d’orange, de coriandre et de Crémant de Savoie. Subtil. Une entrée parfumée dans le monde du chef qu’accompagnent les quatre éléments : quatre bouchées que l’on dégustera avec les doigts en commençant par l’Air. Voyage à la Jules Verne. Les suppositions vont bon train, les papilles s’interrogent. Donnent parfois leur langue au chat. Les réponses de Laura, assistante maître d’hôtel, éclairent : douceur de l’Eau de tomate et origan et de l’Aérien croustillant d’oignon et sa mousse de bleu du Beaujolais. L’omble chevalier fumé et son croustillant au charbon végétal ont mis le Feu, comme le beignet charbonneux, escargot, pomme et mélisse de la Terrestre et dernière mise en bouche.

Sa posture culinaire et son lieu ont valu une première étoile Michelin à Jérémy Galvan, en 2017. Ici, on va de découvertes en surprises. Celle du dîner est féerique. Le chef et ses équipes vous emportent ailleurs… « Ma signature, c’est l’innovation, la recherche de nouvelles saveurs, à base de produits locaux, des herbes sauvages qui nous entourent » explique ce petit-fils de paysan maraîcher. Auprès de son grand-père, il passe toutes ses vacances, s’occupe des bêtes, fait les marchés, conduit le tracteur à 11 ans, n’a pas d’heure ; « des expériences qui m’ont donné confiance. Cette nature et cette liberté sont imprégnées en moi. »

Sous la feuille
La saison a dicté son entrée autour de la courgette, son tartare, sa crème et des œufs de truite marinés aux agrumes « Sous la feuille » d’un lierre terrestre. Délicatement végétal, et fusionnel avec le P’tis Grosbis, Beaujolais Village de Nicolas Chemarin, 2018, « un 100% Chardonnay », précise Audrey Klein, sommelière. Les vins servis ici sont élevés en biodynamie, en accord avec la philosophie du chef.

Épris de nature, il propose une
« Promenade dans la Limagne », entre Roanne et Clermont-Ferrand. Avec son spaghetti et tuile à la pêche, ses dès de rhubarbe et sa croûte caramélisée, le très régional foie gras du Domaine de Limagne, dans son jus de canard, est une pure merveille. Le Riesling d’Agathe Bursin, près de Colmar, agit comme un exhausteur de saveurs. Splendide.

Ma génération vit une grosse prise de conscience
Jérémy Galvan est un jusqu’auboutiste. « Je défends des engagements qui sont très importants pour moi. Le locavorisme, c’est penser à mes enfants, aux répercussions sur la planète, m’inquiéter de nos paysans qui n’arrivent pas à vivre de leur travail, à côté de chez nous. » Il se frustre, se prive, mais maintient sa position. « Je suis amoureux de la Bretagne. Mais, les fruits de mer, ça n’aurait aucun sens de les cuisiner ici. Ma génération vit une prise de conscience. Il faudrait que nous soyons encore plus engagés. Moi, je tords le cou aux industriels », explique celui qui refuse leurs offres alléchantes pour ne pas associer son image à ce système. « Et je défends les petits producteurs. Si on n’est pas un peu extrême, on ne réussira pas à redresser la barre. En mangeant, on vote trois fois par jour. Si on le fait tous, fatalement, ça va changer ; on consommera autrement. »

Associer des saveurs auxquelles on ne s’attend pas
« L’idée, c’est d’être enraciné dans son territoire et d’avoir l’esprit libre pour explorer tous les possibles. Les pistes sont infinies. » A l’instar de son « Instant sur une écorce », délicate séquence fromagère. Dans la cuisine du chef, on retrouve son héritage familial. Ici, les poivrons et épices de la culture orientale de sa famille pied-noir espagnole. Là, le lapin à la moutarde de ses racines campagnardes maternelles aux frontières de l’Ain. Ces deux influences ont éveillé chez le petit garçon, pourtant banni des cuisines, de la curiosité et le désir d’associer des saveurs inattendues. A ses côtés, Nadia, sa femme, retournée l’an dernier à son métier de comédienne, reste la compagne inspirante et posée du chef. « Son univers m’a ouvert les yeux ; j’ai compris que je pouvais avoir une vision plus libre de la cuisine. »

Il fait des croquis et construit son plat seul
Les notes chocolatées d’un Saint Chinian, Clos Bagatelle, Au fil de soi, 2016, accompagneront le dessert imaginé par le chef pour son dîner en forêt, donné en juillet dernier. « Au pied de l’abricotier » : sur son sablé et gelée d’abricot, trois illusions d’abricot et origan. Une explosion de saveurs délicates. « Le chef a toujours mille idées, souligne Tristan Ringenbach, ami, directeur de salle et sommelier en chef. Il fait des croquis et construit son plat seul, goûte, teste. Personne ne sait ce que ça va donner dans l’assiette. Parfois, ni Maxime au chaud, ni Juliette au garde-manger, ne savent ce qu’ils vont devoir réaliser. C’est énorme. C’est comme ce dîner en forêt. Je n’ai jamais vu ça. »


© Jonathan Thevenet
AEG_GALVAN_57
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© Jonathan Thevenet
AEG_GALVAN_23
AEG_GALVAN_23
© Jonathan Thevenet
Jérémy Galvan
Jérémy Galvan
© Jonathan Thevenet
L'entrée, forêt de Brocéliande, entre bois noirs et faille volcanique, annonce la Terre et le feu de la première salle
L'entrée, forêt de Brocéliande, entre bois noirs et faille volcanique, annonce la Terre et le feu de la première salle