C’est une maison bleue adossée aux Aravis, un havre de paix entre lac et montagne devenu le fief de Yoann Conte, le plus savoyard des bretons, chef doublement étoilé. Sa cuisine raconte l’homme, son parcours, ses convictions d’hier et celles très engagées d’aujourd’hui, sa passion pour ce métier choisi à tout juste 13 ans.

Sur les bords paisibles du lac d’Annecy, Yoann Conte, 44 ans, mène au quotidien un combat pacifiste contre la mal bouffe, le gaspillage, le racket de la planète Terre et n’a de cesse de prôner le retour aux fondamentaux. « Même la crevette pêchée par 11 km de fond a des particules de plastique. On est cuits », se désespère ce chef plein d’humour et d’autodérision. En écho aux manifestations en tous genres, il suggère de regarder autour de soi, de réfléchir. « A l’époque, on mangeait une bonne soupe. Le pain dur, on le mettait dedans. Ça tenait au ventre. S’il y avait parfois un morceau de charcuterie, tous les nutriments étaient là. Aujourd’hui, on gonfle. Il faut arrêter de manger n’importe quoi. Revenir au bon sens paysan des anciens. » Toute la philosophie de Yoann Conte est là.

PLONGER DANS LE LAC, LES YEUX FERMÉS
La parfaite simplicité que revendique Yoann Conte, celle qui lui a fait gagner sa première étoile, on la doit au nouveau Yoann. Celui qui s’est affranchi des modes, des dictats, du moléculaire, celui qui a désormais les coudées franches dans sa maison. Avec sa bouchée de Perche au naturel, véritable éveil du palais, il vous ramène au goût incomparable du lac au moment de la pêche : cuisson au sel, neutralité de l’huile de pépin de raisin et les endives de Cyril Trébout dont les caves sont à deux pas. Yoann Conte n’a pas de mots assez forts pour ses producteurs, leur travail. Qu’il s’agisse de ses pêcheurs bretons et normands, Emmanuelle Marie et son époux, ou de ceux du lac Léman. « Ce sont eux, les stars ! »

TOUT LE MONDE CROYAIT QUE C’ÉTAIT IMPOSSIBLE …
« J’ai eu une étoile avec un bout d’omble, un beurre blanc et une carotte, » souligne le chef qui s’est frotté à la dure école de Marc Veyrat. Un maître dont il a repris la maison en 2010. Dans cet établissement « héritage », Yoann Conte construit, pas à pas, son succès. Première étoile en 7 mois après son arrivée. La deuxième en 2013. « Un travail énorme ! ». Il l’a fait, à la force de ses convictions, de valeurs de travail forgées au fil d’une enfance aussi chaotique que riche, d’un long parcours d’apprentissage jalonné de mentors. Sa vie est un roman, une histoire de familles, la sienne, déchirée, celle du Quartier Maitre Yoann Conte, cuisinier embarqué, puis la grande famille de la cuisine. « La cuisine, ça a commencé vers l’âge de 10 ans. Je me suis fait une bulle car le monde des adultes ne m’inspirait pas. « Aujourd’hui encore je suis resté un grand enfant. » Et de citer le Petit Prince : « Tout le monde croyait que c’était impossible. Quelqu’un est venu et il l’a fait. Du coup, tout le monde a su que c’était possible. » Après avoir appris son métier du bas en haut des cuisines, chez les plus grands, de Marc Veyrat à Didier Oudill, de Thierry Marx à Laurent Petit, de New York à Biarritz, de Saint Martin à Paris, après avoir épuisé son corps de colosse dans des courses extrêmes, de Courmayeur à Chamonix, Yoann Conte, apaisé, trace sa route au bord du lac d’Annecy. Un chemin qu’il veut le plus respectueux des hommes et de cette Terre nourricière qu’il vénère.

LES PRODUITS, C’EST DE LA MUSIQUE, NOTRE SOLFÈGE À NOUS
La nature et le retour aux pratiques ancestrales sont au cœur de sa réflexion : la conservation au sel comme les africains ; la cave pour les pommes de terre; le compostage des déchets verts. « Etre cuisinier, c’est aller au marché, voir ce que la saison mets sur les étals. Les produits, c’est de la musique, notre solfège à nous », évoque le chef. Sa Carotte dans tous ses états le confirme. En hommage à sa grand-mère Anna et au ravioli de carotte de Marc Veyrat, Yoann Conte la reconsidère. « On ne jette rien sur la carotte : on l’a rendue esthétique avec ce mille-feuille, on a fait un jus, un caramel, elle est brute, cuite dans du foin. » Sur l’assiette et dans la bouche, les couleurs et les saveurs magnifiées de la carotte se savourent, de la fine purée carotte-orange à la fraicheur acidulée du sorbet carotte-pickles. Pour accompagner sa sucrosité, Bastien Debono, sommelier, propose un Saint Joseph 2016, Ro-Rée, domaine Louis Cheze qu’il affectionne pour l’opulence et l’onctuosité de ses vins. L’accord est parfait.

LA SIGNATURE D’ACCORDS METS-VINS REMARQUABLES
La Féra fumée du Lac Léman est, elle, relevée « par l’intensité d’un vin élevé en bio-dynamie de Dominique Lukas, cuvée C de Marin », précise Bastien Debono qui « se pose » avec le chef tous les mois pour définir les accords mets-vins. « Yoann goute tous ses essais de plats ; moi je viens avec des idées d’accords possibles. On teste, on sélectionne. » Le choix d’un Merlot de Blaye, Château Mons Delaunay 2009 est d’une justesse absolue pour accompagner le Foie gras breton poché snacké, servi avec des lentilles de la ferme de Féroles, truffe noire. « Les tanins ont un pouvoir d’absorption des matières riches. » L’adéquation est admirable. Et l’on atteint des sommets avec la Saint Jacques de nos côtes françaises à la sauce Normande et le très beau jeu aromatique d’un Riesling Trimbach, cuvée Frédéric Emile Un bonbon ! Des années qu’il tourne autour de la Saint Jacques, le chef. « Je crois que je lui ai manqué de respect», avoue-t-il. Humilité, tolérance, zéro laxisme caractérisent le nouveau Yoann Conte qui aborde son produit autrement. « Qu’est-ce qu’il te dit, le produit ? D’où il vient ? Là, on a une belle Saint Jacques de Grand Ville, dans le respect de la nature.» Ce sera une sauce bonne femme. Réduction d’échalotes, vin blanc, fumet, jus de champignon, acidité de la crème naturelle. Une parfaite simplicité. « Juste du bon manger. Du poisson, mais pas d’élevage : pitié, arrêtons avec ça. » Arrive le dessert ensoleillé du jeune chef pâtissier Max Martin. L’orange de Kalamata dans son heureuse nature, sublimée par un biscuit aux amandes, une meringue légère, surmontée d’une tuile crumble d’amandes. Dessert exquis souligné par le Gewurztraminer, grand cru d’Hélène Pfister.

TOUT SEUL, ON VA VITE MAIS À PLUSIEURS, ON VA PLUS LOIN
Au-delà d’Elodie, sa femme, et des trois enfants de Yoann, ce qui compte, c’est son équipe, ses 42 salariés l’hiver et 62 l’été. Pour eux, il veut le meilleur, leur ouvre les yeux, les forme, esquisse demain. « Pour faire perdurer ce petit écrin, tout ce que j’ai appris en gastronomie ira au service d’un bistrot, juste à côté. Je réserver un projet très spécial aux annéciens à partir du mois d’octobre sur un terrain sur lequel on ne m’attend pas forcément…en attendant je bouillonne ». Des projets, le chef en a plein la tête, mais « on n’en parle pas, ça va énerver les autres », ajoute-t-il en souriant. Son association avec un de ses fidèles clients, financier et mécène, le rend plus serein, lui permet d’investir dans des oliveraies et des orangeraies, en Grèce et de se développer à partir du camp de base qu’est la Maison bleue.

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