Juin 2010, Yoann Conte, élève de Marc Veyrat, se lance un pari fou : rallumer les fourneaux de l’Auberge de l’Éridan. À l’image des « fils de », le chapeau est tout sauf simple à porter. Il doit faire ses preuves, redoubler d’efforts pour redonner vie à une maison indissociable de son illustre propriétaire. Certains le pensent inconscient, d’autres saluent l’audace et l’ambition. Finalement, il y avait un peu de tout ça dans ce défi hors normes. À la surprise générale, les récompenses ne tardent pas à tomber. Sept mois seulement après l’ouverture, la première étoile débarque. Deux ans plus tard, une nouvelle lueur apparaît, celle de la deuxième étoile. Une ascension fulgurante, mais pas usurpée, preuve que rien n’est impossible pour qui croit en ses rêves.
© Photo Yoann Conte, droits réservés
© Photo Matthieu Cellard
Yoann, à son Conte
Né en Bretagne, Yoann Conte arrive à Chamonix vers l’âge de dix ans. Coup de foudre immédiat pour la beauté et la singularité de la région. Vivre dans l’agitation urbaine ? Vous n’y pensez pas ! Cette forte tête préfère se confronter à la nature, vivante, pénétrante, apaisante. « La montagne me détend, impossible de tricher avec elle. Lorsque je suis énervé, je l’arpente, ça me calme tout de suite.» À la fin de son apprentissage à l’école hôtelière de Thonon-les-Bains, il a déjà rendez-vous avec son destin. Un copain de classe lui propose de le rejoindre dans la brigade de Marc Veyrat. Il y restera presque trois ans au total – avec un petit tour par la case service militaire – avant de monter sa mallette de couteaux à Paris, au Laurent puis au Frantour. S’ensuit un voyage à New York, aux Antilles et de nombreuses expériences en cuisine aux côtés de Laurent Petit et Thierry Marx. Fin prêt à prendre son envol, le cuisinier cherche à monter sa propre affaire. À l’époque, l’Auberge de l’Éridan ruine. Pas effrayé pour autant, Yoann Conte saisit alors la chance de sa vie. Il se souvient, « j’étais inconscient, je ne me rendais pas vraiment compte de ce que représentait la reprise de cette maison. C’est un peu comme acheter une Ferrari sans savoir conduire ce type d’engin. Nous avons ouvert avec 4 personnes en cuisine et 4 en salle, avec pour priorité de rassurer tout le monde, d’opérer une transition en douceur. Il a fallu être pragmatique et prouver à Marc Veyrat qu’on pouvait le faire. » Et ils l’ont fait ! En 7 ans, celui qui aime s’exprimer au travers de métaphores a opéré de nombreuses métamorphoses. Un chantier après l’autre, l’établissement a fait peau neuve : les cuisines, la salle de restaurant, les chambres, le jardin… D’autres rénovations restent à venir ; la Maison Bleue vieillit et avance aux côtés de Yoann Conte. Plus de maturité, plus de sagesse, le cuisinier aborde désormais son métier avec recul et sérénité. Il aspire à une ambiance de travail paisible, où chacun prend du plaisir, loin des tourments et d’une pression néfaste. « Si mon équipe se sent bien, ça se traduira forcément dans les assiettes ! J’ai à cœur de préserver un certain équilibre et la vie en dehors du restaurant. C’est aussi pour cette raison que je souhaite créer un bistrot avec une carte décomplexée. Il nous permettra d’aménager des horaires pour les parents et de favoriser la vie de famille » confie-t-il.
Le Conte est bon
Le changement le plus flagrant se savoure à table. Aujourd’hui, les gourmets se donnent rendez-vous à Veyrier-du-Lac pour y trouver leur Conte. Avec habileté et intelligence, Yoann compose avec le passé, sans renier sa propre personnalité. « Ça ne s’est pas fait en un jour ! Au début, je n’osais pas m’exprimer intimement comme je peux le faire maintenant. Cette maison a une histoire, il ne faut pas la renier. Ce sont aussi mes racines ! » Si la maison est toujours bleue, ce sont aujourd’hui les couleurs bien personnelles de Yoann qui s’expriment dans une odyssée où la Bretagne n’est qu’à une brasse de la Savoie. À la recherche de la quintessence du goût, il ne s’aventure plus dans des mariages basés sur la surenchère de produits de luxe. Dorénavant il appâte et il épate avec une cuisine qu’il qualifie respectueusement de paysanne. L’inspiration coule au gré de ses propres découvertes, de quelques précieux souvenirs d’enfance. « Avant, je regardais trop ce que les autres faisaient. Je me comparais, je n’osais pas faire ma cuisine. Avec les années, je me sens libre, libre d’être moi-même. Je ne me cache plus derrière des plats qui ne me ressemblent pas. Parfois, je me demande si telle idée n’est pas trop simple. Mais faire simple, c’est ce qu’il y a de plus compliqué. Et c’est surtout ce que j’ai envie de faire désormais. » Sans se poser trop de questions, il fait confiance à son ressenti et n’hésite pas à jouer avec les codes. Amateur de maquereau pommes à l’huile, il propose une version locale avec la féra du lac. Il l’associe également au sarrasin, un basique du répertoire breton. Très attaché au produit, le chef doublement étoilé propose plus qu’une recette, il livre une véritable expérience sensorielle et émotionnelle. « Lorsque j’ai évoqué l’envie de mettre un gigot à la carte, ma brigade m’a regardé avec de grands yeux. Pas assez gastronomique pour certains. Et pourtant ! Le gigot confit lentement pendant 6 heures, on peut le manger à la cuillère tellement il fond en bouche. Je l’ai marié aux graines de moutarde parce que gamin je mangeais les restes froids avec le condiment. En quoi ce plat ne serait pas gastronomique ?! Il est gastronomique dans la manière de l’envisager, dans le soin accordé aux ingrédients, aux cuissons maîtrisées… Il est gastronomique parce qu’on a pris le temps nécessaire pour que ce ne soit pas un simple gigot. » Et que reste-t-il de l’héritage de Marc Veyrat ? Il suffit de lire la carte pour avoir un début de réponse. Ici et là les plantes et les fleurs ponctuent les plats comme autant de clins d’oeil : oseille, reine des prés, ache des montagnes… « J’ai imaginé un cabillaud dans l’idée d’un bacalhau, accompagné de petits pois et d’une purée au beurre noisette, avec un jus de viande à la verveine et menthe pour la touche veyracienne. Je suis un élève Veyrat, ça se ressent forcément dans ma cuisine. Je ne suis pas là pour tuer le père, je le respecte trop pour ça ! »
13 Vieille Route des Pensières
74290 Veyrier-du-Lac
04 50 09 97 49
http://www.yoann-conte.com/fr/