Une chance que Serge Vieira n’ai pas opté pour ces études d’architecture qui le tentaient ! La gastronomie y aurait beaucoup perdu. Mais la quête d’esthétique, le design et le sens du beau habitent l’homme. Serge et Marie-Aude Vieira partagent depuis leur rencontre chez Marc Meneau en 2003, la passion du bien recevoir. L’écrin qu’ils ont conçu sur les hauteurs de Chaudes Aigues a été pensé jusque dans les moindres détails. Au Château du Couffour, le luxe réside dans les choix audacieux de ses jeunes « propriétaires » : ce lieu d’histoire d’abord, infiniment respecté, la vue imprenable et protégée sur une nature qu’on voudrait éternelle, l’ultra modernité parfaitement intégrée du restaurant, les matériaux utilisés, nobles, exclusifs, touchés par la grâce d’artisans artistes pour livrer un outil de travail beau et pratique. Ici, les évocations sont multiples et les émotions ne sont pas réservées qu’aux seuls becs fins. Au diapason des lieux, l’accueil et le service que réserve l’établissement à ses hôtes ont valu à Marie-Aude Vieira la distinction d’un Service Award, attribué par le Michelin en janvier 2020. Heureux, celles et ceux qui ont décidé de venir jusque-là.
© Jonathan Thevenet
Enracinés dans le terroir
L’établissement construit en contrebas du château est insoupçonnable. Par le jeu du relief et des matières, pierres moussues, métal savamment rouillé et béton brut, l’on pénètre dans l’espace très contemporain classé Relais & Châteaux. Une beauté troglodyte, empruntée à la nature, signée Atelier 4. La façade entièrement vitrée du restaurant gastronomique, laisse entrer la lumière dans la salle de 40 couverts, mais aussi la prairie, piquetée de jonquilles et narcisses au printemps, les murets de pierres sèches, le vallon, la forêt de sapins et la colline au loin. Des tables triangulaires arrondies permettent à tous les convives de profiter de la vue. Splendide.
L’élégance conviviale du service
Les crackers ouvrent le bal d’un menu M ou S, c’est selon, sans cesse renouvelé. Rien ne saurait enfermer Serge Vieira dans quelques plats éternels. « Cake à l’olive noire, oignons et girolles en pickles, crème de ziste et truite, tuile d’éryngii et pour terminer le tacos, crème de chorizo, poivron et piment d’Espelette », annonce Chloé avec grâce. « Avec Les Noces volcaniques de Jean-Baptiste Gougis, on est sur les notes de fruits blancs, un peu beurrées, classiques d’un 100 % Chardonay » explique Jean-François Lemoine, le très stylé sommelier et responsable de salle du Château. Établi sur le plateau de Gergovie, au sud Clermont-Ferrand, ce vigneron est un bel exemple de l’avenir prometteur du vignoble Auvergnat. Dans les cuisines, elles-aussi baignées de lumière naturelle, le chef est en plein dressage. Ici règnent calme et politesse, précision et minutie. « Là, on est seize. Il y en a quatre en pâtisserie, quatre au garde-manger, trois à la viande, quatre aux légumes, plus la plongeuse ». La table de Serge Vieira s’est vu décerner sa deuxième étoile en 2012. « Les étoiles, c’est à toute une équipe qu’elles sont décernées. Moi, je suis juste le chef d’orchestre. »
© Jonathan Thevenet
© Jonathan Thevenet
La touche d’acidité, c’est régulier, chez moi
Témoins des envies du moment du Chef et des attentions de la maîtresse de maison, les amuse-bouches s’alignent sur l’acier dentelé d’une lame enchâssée dans la pierre noire d’un volcan : cromesquis d’escargot, cône croustillant à la purée de lentilles, bourriol autour des légumes, saumon gravelax et, l’exquise petite serviette humidifiée au citron pour vous accompagner jusqu’au bout des doigts. Bienvenue à bord ! La truite et l’artichaut selon Serge Vieira font leur entrée. Fraîcheur printanière de la truite Fario fumée dans sa gelée de livèche, concombre, pousses de lamier blanc et fleurs de cerfeuil, sur un lit crémeux à se damner. « J’ajoute de petits cubes de citron cru pour apporter une pointe d’acidité et contrebalancer le gras de la crème de ziste. La touche d’acidité, c’est régulier chez moi », explique le Chef.
Dans le Cantal, il y a plus de vaches que d’habitants
L’artichaut Camus, en délicat jardin vertical, est dans tous ses états : en copeaux, émulsion barigoule, huile de Tagette et tempura qu’un lard paysan vient parfumer. Jeu de textures. Suave et croquante entrée en matière. « C’est notre version à nous de l’artichaut, en clins d’œil au Japon, et au Portugal dont je suis originaire. » Qui n’a pas goûté l’huître grillée de chez Monsieur Yann Harcourt, caviar d’aubergine, caviar de blanc d’œuf et son écume au jus d’huitre, a manqué un intense moment gustatif, immergé dans la nature. Ici, le convive a pour horizon la prairie qui scintille sous la rosée résistante au soleil printanier. Dans le Cantal, il y aurait plus de vaches que d’habitants. Et quelles vaches ! La race Salers – ici, on ne prononce pas le S -, Serge Vieira la magnifie. Le filet de bœuf Salers, mariné et marqueté au charbon de bois végétal a été cuit à basse température et rôti à la minute.
« Pour retrouver le goût grillé du bœuf cuit au barbecue, mais à l’intérieur. » Des gnocchis de pomme de terre parfumés au Cantal et au thym citronné, jeune pâtisson et tuile au Cantal l’accompagnent. Simplement succulent. Grand promoteur des produits de son terroir, Serge Vieira voit sa table s’inscrire d’emblée dans la sélection Gastronomie durable initiée par le Guide Michelin en janvier 2020. Elle figure désormais parmi les cinquante restaurants français distingués pour leurs efforts en matière de respect de l’environnement,
« là où l’excellence s’allie au bon sens ».
Au nez, c’est déjà un voyage
Avec le Kesako de Sébastien David, Jean-François Lemoine invite à saluer les terres de Marie-Aude Vieira, née en Touraine, sur Saint Nicolas de Bourgueil. Une des deux mille bouteilles d’une cuvée à qui l’appellation Saint Nicolas de Bourgueil a été refusée par l’inter-profession. « Elles ont été sauvées par le vigneron à qui la contre-expertise a pourtant donné raison*, explique le sommelier. Un vin vivant qui interagit avec les saisons. Travaillé en amphore, naturellement thermo-régulé, il ne subit aucune manipulation. J’aime beaucoup le travail de ce vigneron. » Au nez, c’est un voyage. En bouche, les notes de fruits noirs dominent celles de sous-bois, de mousse ou plus animales. Une merveille.
Beau comme une déclaration d’amour
Dressé sur un tambourin de porcelaine blanche, le vaporeux de pommes de terres, mousserons, herbes des près, chips de vieux Salers s’habille de pétales de marguerite. Un peu, beaucoup, passionnément, c’est certain et beau comme une déclaration d’amour. « Un souvenir de ma grand-mère, Aglaïde. » Le chef garde la mémoire olfactive du moulin de ses grands-parents, quelque part entre Porto et Braga. Les jambons suspendus, les pommes de terre, ce légume du pauvre qu’il sublime à présent en une purée comme soufflée ; ce morceau de jambon fumé, infusé dans un lait de poule… « J’ai vécu ces odeurs-là. Elles ont marqué toute mon enfance. Là, on a ce côté un peu grillé, fumé, champignon. » Carrément gourmand. La cuisson du bar de ligne est parfaite, soulignée par un beurre blanc parfumé aux coquillages et ziste. De graphiques et délicieux berlingots bicolores aux champignons, fèves et girolles miniatures l’accompagnent. L’assiette est délicate, ciselée, ponctuée de sommités fleuries. Le spectacle d’une nature généreuse s’accorde au plaisir de la dégustation. On est bien. Très bien.
Ces jeunes qui viennent du bout du monde pour se former
En matière de volaille, la pintade fermière rôtie de Madame Soule, poudrée d’estragon en son sein, petits pois, ravioles de petits pois et son jus de pintade au beurre de noisette est fameuse. « La sauce apporte ce côté un peu « rouillé et mouillé » au plat, une couleur que l’on retrouve ici partout dans la nature. » Marie-Aude Vieira l’affirme, Serge et elles sont fiers de leurs équipes, de ces jeunes qui viennent du monde entier pour se former à leurs côtés. « Cette année, on a beaucoup de couples, explique-t-elle en agençant des graminées qui viendront orner tables et allée des fleurs. On essaie d’aider le conjoint à trouver un travail sur place ». Leurs deux sous-chefs, restés 6 et 9 ans, viennent de prendre leur envol. Alexis a été nommé second au printemps 2019. « Il est jeune et prendra toute sa dimension d’ici deux ans. »
Une pièce unique, affinée dans les tunnels de Neussargues
L’Auvergne toute entière trône sur le chariot de fromages. Des brebis, frais et secs, des Gorges du Bès au Galinou crémeux ; les chèvres, en tomme et pyramide ; les vaches bien-sûr, avec des pièces d’exception : un Saler de 26 mois d’affinage, préparé et affiné dans les tunnels de Neussargues par Monsieur Benech. Unique. En regard du Saler hors d’âge, le Sala de Charlotte Sala, autre « production dissidente » à laquelle l’AOP Saler est refusée. Ultimes tentations avec un Saint Nectaire fermier, coulant en diable ou ce Severac. à moins que les pâtes persillées d’un bleu de Saint-Flour, d’une Fourme d’Ambert ou, autre rareté, ce bleu de Vassivière, ne l’emportent. Avec une cuillerée de gelée de pomme ou d’huile d’olive ?
La puissance d’une caresse
Le printemps apporte ses premières fraises. Gariguettes au gingembre, billes de yaourt au lait de brebis, croustilles et sorbet Mara des bois. Une beauté céleste que l’on dégustera avec la gourmandise empressée des enfants. On se prend à rêver aux promesses de l’été, les pêches, les abricots que des infusions de verveine ou de romarin viendront rehausser, peut-être ponctuées de chocolat ? Dans la cuisine de Serge Vieira, il y a quelque chose de réconfortant. Quelque chose de l’ordre de la caresse, du câlin dans la composition et la réalisation des plats. C’est beau, c’est doux, au regard comme en bouche, avec une forte puissance évocatrice. Ses assiettes, très architecturées, composées comme de sages jardins à la beauté indomptée, sont empreintes de poésie, d’une délicatesse toute féminine. « On me dit souvent que j’ai une cuisine féminine. Je ne sais pas ce que ça veut dire au juste. Pour un mec qui pèse 115 kilos, c’est original, non ? » plaisante le chef avec un large sourire.
© Jonathan Thevenet
© Jonathan Thevenet