Depuis deux décennies, Eric Frechon croque la vie au Bristol, à Paris, comme ses convives fondent pour sa cuisine authentique. Le Monsieur Loyal du restaurant Epicure orchestre le plaisir de célébrer dix ans de trois étoiles. Royal.

Au garde-à-vous, parfaitement alignés, cernés par leur sauce suprême et leur jus de poulet truffé, discrètement dissimulés sous du vieux parmesan, ils sont à Eric Frechon ce que la soupe VGE est à Paul Bocuse. Emblématiques, grandioses, millimétrés … mais surtout divins. Les macaronis farcis de truffe noire, artichaut et foie gras de canard résument avec délice ce qui lie le Bristol au chef normand. Le cuisinier a réussi le pari d’habiller d’atouts précieux un ingrédient populaire – le macaroni, pour créer une symphonie culinaire devenue le best-seller du restaurant gastronomique d’un palace parisien. Il aurait été inconcevable de ne pas les inscrire au menu « 20 ans », qui célèbre autant d’années de collaboration entre l’hôtel 5 étoiles et Eric Frechon. Une recette qui n’a jamais quitté la carte d’Epicure depuis 1999. Cette année-là, le chef est le patron depuis quatre ans de son propre bistrot, la Verrière d’Eric Frechon. Une table qui attire le tout- Paris dans un quartier qui n’a pas encore les louanges des critiques, les Buttes- Chaumont. Dans le XIXe arrondissement, l’ancien apprenti de la Grande Cascade cuisine les macaronis aux morilles pour accompagner une côte de veau, jusqu’à ce jour où l’ancien président directeur général du Bristol, Pierre Ferchaud, lui propose un challenge : devenir le chef des cuisines de son hôtel où Eric Frechon était entré 17 ans plus tôt comme commis. Il ne dispose que d’une semaine pour choisir son destin, et celui de ses macaronis. « Je trouvais la recette tellement délicieuse que j’avais envie de leur consacrer un plat à part entière. En arrivant au Bristol, je les ai repensés. J’entretenais régulièrement le mariage du foie gras à l’artichaut dans une salade. Je l’ai donc adapté en chaud. Et puis, travailler la morille était délicat, c’est un produit très saisonnier. Je voulais tester la truffe » raconte le chef avec autant de sérieux que ses macaronis sont taillés à la perfection. Pas un millimètre ne dépasse. Puisque le plaisir de ses clients est l’unique raison de sa cuisine, des bocaux de truffes noires sont précieusement conservés toute l’année pour rejouer la scène.

Eric Frechon
© Photo : Franck Juery

De l’or noir dans les mains

La truffe, c’est la connexion du gamin originaire de Normandie avec la terre. En finition sur une soupe de lièvre. Base d’un bouillon, ou en coulis. Pour aromatiser un jus avant de déglacer. Le champignon est un outil récurrent de la cuisine terre/mer de Frechon. Parfois protagoniste, souvent deuxième rôle, de temps à autre figurante, la truffe noire, qui se troque aussi contre la blanche d’Alba, est une parfaite définition de la signature du meilleur ouvrier de France. Un ingrédient, certes luxueux, qui apporte finesse et élégance, mais qui puise toute sa richesse et sa qualité dans ses racines. Celles de Frechon sont ancrées en Seine-Maritime, au Tréport. Le jeune Eric est fou de vélo et en demande un à son père qui l’invite à travailler pour se l’offrir. A treize ans, le futur cuisinier étoilé est engagé comme saisonnier dans un restaurant de la côte. « Pour gagner deux francs six sous, je n’avais pas le choix, c’était soit travailler dans un restaurant, soit participer aux moissons dans les campagnes » se souvient-il. Eric Frechon découvre le métier du service en salle, fi le en pâtisserie, compose les plateaux de fruits de mer, jusqu’à finalement désigner la cuisine comme vocation.

Des histoires, le chef d’Epicure en raconte bien d’autres à ses convives. Son poireau cuit au gril est une anecdote aussi délicieuse que le tartare d’huîtres qui coiffe le légume. « C’est le plat du premier réveillon que j’ai cuisiné pour mes parents. C’était il y a 35 ans. J’avais monté un sabayon au beurre noisette » confesse t-il, avouant s’en souvenir comme si c’était hier. Et de poursuivre « c’est une recette qui a beaucoup évolué dans mon esprit. Lors d’un voyage au Sénégal, j’ai découvert des huîtres préparées dans un feu. Elles étaient archi-cuites, mais leur goût fumé avait piqué mon intérêt. J’avais réellement envie de le retranscrire dans un plat. En revenant, j’ai expérimenté un foie gras poêlé aux huîtres, associé à un bouillon de canard fumé ». Finalement, ce poireau d’Ile-de-France, gorgé de gourmandise par un beurre d’algues, aura maturé durant une quinzaine d’années avant d’être servi. Faire bon. Eric Frechon est un stakhanoviste du goût du vrai. Le vrai goût de l’authenticité, c’est le secret de sa longévité au 112 rue du Faubourg Saint-Honoré.
Et celui de ses trois étoiles Michelin ?

La consécration

2009. Le guide rouge célèbre sa centième édition et duplique sa sélection de restaurants sur iPhone pour la toute première fois. Eric Frechon, lui, s’offre le luxe d’être l’unique lauréat du triple macaron de ce millésime historique. Dix ans après être revenu au Bristol pour en diriger les cuisines. Huit ans après avoir décroché la deuxième étoile qui manquait au restaurant Epicure. Et un an après avoir été désigné « espoir trois étoiles ». « A l’époque, on ne s’y attendait pas. On ne travaille pas pour les trois étoiles. C’est une récompense, celle d’un travail d’équipe. Si vous cuisinez pour elles, vous vous enfermez. Cette troisième étoile m’a épanoui » confie celui pour qui 2009 sera l’année des félicitations, avec le titre de « Chef de l’année », voté par ses pairs. Son challenge personnel ? Sa réussite au concours du Meilleur ouvrier de France en 1993. Une expérience qui forgera l’homme timide dans son appétence pour la rigueur et la précision. Devenu technicien, l’ancien second de l’Hôtel de Crillon – époque Christian Constant se libère et se consacre à aiguiser les saveurs autant que les convives ont l’autorisation, sinon l’obligation, de saucer les assiettes en porcelaine dessinées par Elisabeth Monroy. Ici même, dans cet antre du luxe parisien, où la salle du restaurant triplement étoilé est à elle seule une représentation de l’art de vivre à la française. Des rideaux pourpres Pierre Frey pour inviter au regard sur le jardin français (le plus grand de tous les palaces parisiens, ndlr), des couteaux Cristofle, des fauteuils de style Louis XVI dans lequel les quarante chanceux gastronomes, surveillés par une tapisserie d’Aubusson datant de 1730, s’enfoncent pour observer le ballet du service, exécuté dans l’exacte philosophie du chef : la justesse des gestes engage l’assurance de vivre une expérience authentique.

Inauguré en 1925, le Bristol Paris a été le premier hôtel cinq étoiles français à recevoir la distinction palace en 2011.
© Photo : Franck Juery

Le résultat est savamment orchestré, parce qu’Eric Frechon a pris le temps de la réflexion. En 2007, ses fourneaux subissent une vaste cure de jouvence. Et voilà le chef qui hérite d’un petit morceau de la cuisine de son ami Christian Le Squer, alors toque au talent connu et reconnu du Pavillon Ledoyen à Paris. Le Breton accueille le Normand pour la préparation de l’un de ses collaborateurs au concours du Meilleur ouvrier de France. Un épisode que le chef du Bristol retient comme une leçon. A son retour rue du Faubourg Saint-Honoré, il passe de l’autre côté du passe-plat. « J’ai observé le mode de fonctionnement de Christian. J’ai compris qu’il fallait que je sorte de ma cuisine pour grandir et regarder mes plats différemment. Il ne touchait jamais une queue de casserole et faisait réaliser des essais tous les jours. Il avait ainsi un oeil extérieur à sa cuisine, tout en étant dedans » explique Frechon. Objectif : avoir la capacité de décortiquer, commenter, analyser chacune des tentatives. « Lorsque c’était moi qui les réalisais, je n’étais pas assez dans la critique » concède le patron, qui donne le tempo en indiquant les produits de la nouvelle composition pour que sa brigade tente les expériences.

Le Bistrol - Restaurant Epicure par Eric Frechon
Le Bistrol - Restaurant Epicure par Eric Frechon
© Photo : Franck Juery
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© Photo : Franck Juery
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© Photo : Franck Juery
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© Photo : Franck Juery
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Le Bistrol - Restaurant Epicure par Eric Frechon
Le Bistrol - Restaurant Epicure par Eric Frechon
© Photo : Franck Juery
Le Bistrol - Restaurant Epicure par Eric Frechon
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Le Bistrol - Restaurant Epicure par Eric Frechon
Le Bistrol - Restaurant Epicure par Eric Frechon
© Photo : Franck Juery
40 cuisiniers s’affairent dans la brigade d’Eric Frechon et travaillent à l’unisson avec l’équipe de salle pour servir des assiettes ultra millimétrées.
© Photo : Franck Juery

Céleri 2.0

Eric Frechon n’est pas un chef qui doute. C’est un perfectionniste qui suit son instinct. Chaque année, il ose remettre en question ses assiettes aux côtés de son bras droit, Franck Leroy. Ses collaborateurs préparent de nouveaux essais. « On les compare avec le plat de l’année précédente. Il faut que ce soit meilleur pour finir sur la carte. On ne change pas pour dire de changer » prévient-il. Exit donc son céleri-rave cuit au gros sel, qui a pourtant fait fondre la critique durant plusieurs années. Et bienvenue au millefeuille de légumes. « Tout a commencé par un céleri cuit au four. On le présentait en salle, le service le creusait et versait un bouillon de truffes, avec une râpée de truffes et de beaufort. Ce plat était délicieux mais je le trouvais grossier. Le millefeuille permet de donner au légume une forme régulière. Et je me suis dit qu’on allait le rôtir à la broche. J’adore ce mode de cuisson ! » déroule le MOF de façon méthodique. A la carte depuis mi-octobre, le céleri 2.0 d’Eric Frechon est désormais composé d’oignons, de truffes et de pomme de terre, accompagné d’une rémoulade de céleri, avec noix et truffes blanches. Un futur plat signature, selon les pronostics de son auteur.

Ses produits coup de cœur

Le curry de l’Ile Maurice

« Le chef du Royal Palm à l’Ile Maurice, Michel de Mattéis, réalise son propre mélange et j’en ramène toujours lorsque je me rends là-bas. Ce curry est parfaitement équilibré dans la force et dans le parfum. C’est une épice que j’apprécie beaucoup. On en saupoudre quasiment partout sans que cela ne soit perceptible. Le mélanges d’épices du curry relève le plat et ajoute une sorte d’addiction ».

La fleur de sel

« J’aime beaucoup utiliser la fleur de sel de Guérande ou le sel d’Himalaya. Ces sont deux ingrédients que l’on trouve facilement ».

La cerise cœur de pigeon

« J’adore ce produit ! On collabore avec le comptoir des producteurs, qui parvient à obtenir les cerises de petites productions au fil de la saison. Sinon, on ne pourrait en cuisiner que durant quinze jours. C’est un fruit qui s’accommode bien à la cuisine. Il a une jolie acidité tout en étant sucré. Et c’est très parfumé. On la cuisine en sucré ou en salé ».

Le beurre

« Nous venons de changer le beurre proposé aux clients d’Epicure, pour celui d’une ferme normande, située à Moyon. J’ai découvert celui de Julien Viard de la Ferme de Bourg Groux au Relais Louis XIII, chez le chef Manuel Martinez ».

La truffe noire

« C’est un légume, un condiment, un champignon. C’est un produit exceptionnel. C’est très terreux. Je dois sans doute être attiré par ce côté terrien. C’est Paolo chez nous qui se rend sur les marchés à Cahors ou à Richerenches pour fournir le restaurant ».

Le Bistrol - Restaurant Epicure par Eric Frechon
Le Bistrol - Restaurant Epicure par Eric Frechon
© Photo : Franck Juery