A 42 ans, Serge Vieira peut être fier du chemin parcouru. Bocuse d’Or, chef d’entreprise avec sa femme Marie-Aude, à la tête du Château du Couffour, 2 étoiles au Michelin, labéllisé Gastronomie durable en janvier 2020, et de Sodade, l’hôtel 4 étoiles et sa brasserie ouverts en 2018. Cet heureux papa de deux bambins de 7 et 3 ans a par ailleurs pris la présidence de la Team France du Bocuse d’Or 2021 en juin dernier. Excusez du peu ! Interview croisée.

Après un parcours de cuisinier exemplaire et de couple très uni, pourquoi être venus vous installer à Chaudes Aigues ?

Marie-Aude : On a un côté terrien, tous les deux. C’est pour ça qu’on a choisi un lieu comme ça pour vivre. Pour moi, travailler en ville, ce n’était pas possible. Je suis fille d’éleveurs de chèvres. Dès que Serge a eu son Bocuse d’Or, Régis Marcon, chez qui nous travaillions ensemble alors, a poussé Serge à s’installer.

Serge : Notre choix, c’était l’Auvergne, surtout et d’abord. Je suis de Clermont-Ferrand. J’avais une vision un peu campagnarde du Cantal, avec les vaches (rires). Mais, pas question d’aller en Haute-Loire, marcher sur les pieds de Régis Marcon ; ni du côté de Vichy, Jacques Décoret est un copain. Ni dans le Puy de Dôme. Le Cantal était plus disponible. On a commencé à chercher. On nous a proposé tout et n’importe quoi. Au final, seul Bruno Avignon, en charge de Cantal Expansion, a su vraiment nous écouter.

Marie-Aude : Le Château du Couffour, ça a été un coup de cœur lors de la deuxième visite, en avril. La vue y est magnifique.

Serge : Là, j’ai dit à la commune de Chaudes Aigues : nous on veut bien venir ici, mais je suis fils d’ouvrier Michelin – les pneus, pas le guide – on a 10 000 € en banque et une voiture neuve. C’est tout ce qu’on a. On a monté un dossier, démarché les banques. J’ai « vendu »  mon Bocuse d’Or sur le papier. Et avec le soutien du Département, de la Région et même de l’Europe, la commune a financé la construction d’un établissement indépendant, jouxtant la tour du château.

Marie-Aude : Notre chance, c’est que le maire de l’époque était un vrai gastronome. Aujourd’hui, il est fier qu’on soit là.

Serge : Quand on a vu le Château, on a vite compris que l’on ne pourrait pas créer un restaurant dedans. Atelier 4, le cabinet d’architectes d’Issoire, a réalisé ce projet architectural troglodyte en partie sous la colline. Nous voulions quelque chose entièrement de plain-pied. On a beaucoup discuté avec l’architecte, notamment de la décoration.

Marie-Aude : L’allée de fleurs, c’est nous. Les racines qui descendent, aussi. L’architecte a traduit ça par ce motif fait de lignes entrecroisées en cortène, un alliage acier et cuivre qui rouille mais ne se détériore pas.  Un motif décliné à l’intérieur qui est devenu le logo du restaurant gastronomique.

Serge : C’est la première fois qu’on arrive dans un hôtel-restaurant par le toit. Une sorte de voyage futuriste au centre de la terre. L’allée métallique vous accompagne, dans le respect de la bâtisse du 16ème siècle un peu austère, jusque dans un bâtiment à notre image, jeune, dynamique, entièrement ouvert sur la nature. On voulait ça : une salle de restaurant de 40 à 50 couverts et une cuisine dimensionnée pour avoir 20 à 25 salariés alors qu’on était 5 quand on a ouvert.

Marie-Aude : L’univers aquatique de la boutique et des toilettes du restaurant évoquent les eaux thermales de Chaudes-Aigues. Et nos trois chambres portent les noms de fleurs sauvages. Du haut de gamme et une gestion la plus écologique possible de l’établissement.

Vos assiettes sont à l’unisson du décor ambiant : graphiques, bucoliques et parfumées. Qu’avez-vous envie de transmettre à votre clientèle ?

Serge : Des émotions. Au début, je pensais uniquement à des émotions culinaires. C’est plus global que ça. L’accueil, le service, la singularité des lieux, la vue et l’assiette, bien-sûr. Aujourd’hui, Chaudes Aigues est presque plus connu pour la gastronomie que pour ses eaux chaudes !

Vous renouvelez sans cesse votre carte. Qu’est-ce qui impulse la création d’un plat ?

Serge : Je ne crée pas un plat en me disant, tiens je veux raconter telle histoire. Je le fais parce que j’ai envie de le faire comme ça. Le démarrage, ça peut être le produit ou une image, là dans ma tête. Une fois, j’ai vu une étoile filante en rentrant du marché. A cette époque, on travaillait sur un dessert à la myrtille qu’on n’arrivait pas à mettre au point. Cette vision m’a fait penser aux planètes, à Saturne. Ça m’a inspiré pour créer ce dessert avec deux anneaux, une crème Madame à la pistache, une sphère légère avec une écume d’orange, un cœur de pistache et myrtille. L’inspiration, elle dépend du moment, de l’envie créative, de la fatigue, aussi. Ça vient ou ça ne vient pas. On cuisine comme on est, avec ce qu’on a vécu avant.

Quelle part de vous avez-vous mis dans Sodade, votre hôtel 4 étoiles et son restaurant bistronomique ouverts en 2018 à Chaudes Aigues même ?

Serge : Beaucoup de choses. Notre détermination, d’abord. Ça nous a pris beaucoup de temps et d’énergie. On s’était toujours dit qu’on ferait un jour un bistro brasserie avec 50 à 60 places, de l’espace. Aujourd’hui, on est fiers d’avoir ouvert cet établissement de 18 chambres 4 étoiles et sa brasserie haut de gamme.

Marie-Aude : Le mobilier, la décoration, ce sont des créations de l’architecte designer ébéniste Pascal Michalon que Jacques-Yves Mansuis, ébéniste près d’Yssingeau nous a présenté.

Serge : A Sodade, on joue beaucoup avec les matières. Ce grand panneau de bois à pans coupés, c’est du Douglas fumé. Les tables sont en frêne. Et ce mur textile vert peps, en écho au pliage du bois, réalisé par le tapissier Philippe Cuvelier, sur une idée de Pascal. On a la même exigence, il pense à tout, soigne les détails. Ça colle bien avec ce qu’on aime faire.

Pourquoi ce nom de Sodade pour votre hôtel-restaurant ? On n’a pas l’air mélancolique chez les Vieira ?

Serge : Non. Il y a beaucoup de joie, ici. Sodade, c’est juste un petit clin d’œil à mes origines. La version phonétique de saudade, un chant traditionnel portugais, car déjà déposé. Petit à petit, on fera des clins d’œil à la cuisine portugaise. Je ne veux pas communiquer sur mes origines. J’en suis très fier, mais je ne veux pas en faire une spécificité. Ne pas m’enfermer. Je suis né français. J’ai fait le tour du monde. Aujourd’hui, ma vie est là.

Marie-Aude : Le logo de Sodade représente une goutte d’eau, pour Chaudes Aigues, et quatre petites feuilles, comme les quatre Vieira que nous sommes, les enfants, Serge et moi.

On sent que la famille est centrale pour vous deux ?

Marie-Aude : Nos deux familles sont à peu près à l’exact opposé, par rapport à leur histoire.

Serge : Je suis le cadet d’une famille de cinq enfants. Je suis très proche de ma famille. Notre réussite tient beaucoup à elle. Mes frères et sœur ont toujours été là pour nous. Tout ce que mes parents m’ont appris, transmis se retrouve aujourd’hui dans ce que je suis. J’ai mis le nom de Vieira là-haut, au Château, parce que j’ai toujours voulu que le nom de mon père soit connu. Il travaillait chez Michelin, à l’usine, s’occupait de la gomme. Il faisait les 3 x 8. Fils d’ouvrier portugais, c’était pas facile. Il fallait s’intégrer, se tenir à carreaux, ne pas faire de vagues. Les valeurs de travail, c’était très important. On ne manquait de rien mais il n’y avait qu’un salaire.

Marie-Aude : Mes parents étaient agriculteurs. J’étais très proche d’eux. Je les ai toujours vus travailler. Quand j’ai perdu mon père, en 2016, l’année de la naissance de notre fille, ça a été très dur pour moi. Je suis très proche de la famille de Serge.

Qu’est-ce qui vous rend fiers, aujourd’hui ?

Marie-Aude : Notre parcours bien-sûr. Fière d’avoir des entreprises qui fonctionnent, un restaurant étoilé. D’être un couple uni avec deux beaux enfants.

Serge : C’est un peu pareil. Là où je suis très fier aussi, c’est le Bocuse d’or. Il a lancé ma carrière. Fier d’avoir aujourd’hui 40 collaborateurs. Nos équipes, c’est hyper important :
on a des jeunes très dévoués, des stagiaires étrangers. Et des clients qui viennent de l’autre bout de la planète. C’est une réelle fierté. Qui aurait cru ça pour un fils d’ouvrier Michelin. Fiers d’avoir ouvert Sodade aussi. On a eu la volonté de sortir ce truc-là après 7 ans de procès. Moi, je suis un compétiteur, je déteste perdre. J’accepte la défaite, mais ne pas ouvrir Sodade, ça m’aurait vraiment désolé.

Vous avez fêté les 10 ans de votre restaurant gastronomique au printemps 2019, en invitant 10 chefs à cuisiner 4 diners d’exception à plusieurs mains ? Quelle fête ça a été ?

Serge : Un succès et un immense plaisir de voir de grands chefs venir des Etats-Unis, de Suède de Norvège et de partout en France, y compris mon voisin cantalien, Sébastien Bras. Philipp Tessier est arrivé de Californie pour faire un plat !

Marie-Aude : Pour les équipes, en cuisine, c’était super de travailler avec tous ces chefs.

Serge : Pour le dernier dîner « anniversaire », alors que je devais partir, tous les jeunes se sont levés et m’ont applaudi, alors ce n’est pas moi qui avait cuisiné… C’est hyper émouvant. J’ai senti que quelque chose avait changé dans notre maison. Avec le départ de mes deux sous chefs les gars me voient un peu plus. Quand on a deux sous-chefs et cinq chefs de partie, on ne fait pas que de la cuisine ; et heureusement, parce que sinon les projets ne sortiraient pas.

Au-delà de Sodade qui prend son envol, quelles sont les prochaines étapes ?

Serge : Notre projet, ce serait de racheter ce château communal pour y réaliser 4 chambres supplémentaires rapidement, voire huit. Mais la priorité, c’est le spa. On en a besoin.

Marie-Aude : La clientèle l’a toujours réclamé. Avec les chambres de Sodade, on offrirait la possibilité de séjours plus longs.

Serge : On a fait une offre. On est en pleine discussion. Pour notre clientèle haut de gamme, le centre thermal de Chaudes Aigues est trop grand, pas assez intimiste et raffiné. L’idée ce serait de faire faire une piscine, intérieure, une extérieure, deux salles de massage.