On parle souvent de vous comme d’un rebelle ou d’un OVNI de la cuisine, vous retrouvez-vous dans cette expression ?
Les gens qui parlent de moi me connaissent très peu en fait. Je n’ai pas réellement cherché à m’intégrer dans ce milieu ni à les faire changer d’avis. On m’a donné la parole très tôt et quand on donne la parole à un gosse il dit forcément des conneries. Ce que je dis à tout le monde c’est : si vous voulez en apprendre plus sur moi, venez prendre un café et on va parler. Il y a beaucoup de choses qui se disent sur moi en bien et en mal, ça me passe un peu au-dessus.
Avant de vous atteler à la cuisine, vous avez fait vos premiers pas en pâtisserie. Pourquoi avoir choisi cette voie ?
J’ai voulu faire de la pâtisserie d’abord pour contrarier mes parents. Il y a 15 ans, il n’y avait pas toute cette médiatisation autour des chefs donc les parents ne se sentaient pas à l’aise à l’idée d’envoyer des jeunes au parcours scolaire correct dans un CFA. Tous les adolescents cherchent à un moment donné à contrarier leurs parents. Les miens se sont finalement pris au jeu. La première réaction de mon père a été de dire « ok tu veux faire le malin, et bien je vais te trouver un stage pendant tes vacances de Pâques ». Pendant ce stage, c’est lui qui venait me réveiller tous les jours à 3 heures du matin pour que j’aille travailler. Finalement j’y ai pris goût.
Vous enchainez 6 ans chez les Compagnons du devoir puis passez par de grandes maisons (La Durée, Dalloyau, Fauchon). Qu’est-ce qui vous a poussé ensuite à passer côté cuisine ?
Il y a deux raisons qui font que je me suis mis à la cuisine. D’abord, j’avais envie d’impacter l’expérience client du début à la fin du repas, et pas juste sur un dessert. Ensuite, quand j’ai commencé la pâtisserie le dessert était une option très facultative en fin de repas. C’était compliqué de faire toute une mise en place et un service sans être sûr de finalement vendre les produits. C’est un mélange de cette envie d’exister dans tout le menu et d’exister réellement qui m’a fait passer en cuisine.
Vous participez à l’émission « Qui sera le prochain grand pâtissier » puis « Top Chef » quelques années plus tard. Pourquoi miser sur la télévision ?
D’abord, je viens d’une famille de sportif et j’ai toujours aimé la compétition. Ensuite, ce qu’il faut comprendre c’est que je suis cuisinier, pâtissier, mais également entrepreneur. J’ai des salaires, des loyers et l’Urssaf à payer, des producteurs à faire vivre. Il y a un moment où il y a un besoin économique. Après les attentats, on est descendu à -70 % de chiffre d’affaires chez Nomos (son premier restaurant à Paris 18). Top Chef c’était le plan B, C ou D mais il fallait trouver des solutions. J’avais tout tenté, je commençais à remettre la boîte à flots mais on avait engendré des dettes énormes. Je pense que j’ai été retenu parce que je suis le candidat le plus banquable de la planète : un petit con qui ne sait pas la fermer ! Mais ça reste l’un des concours les plus durs que j’ai fait de par les conditions. Grâce à Top Chef, les clients sont revenus en masse et j’ai relevé la boîte en trois mois. C’est ce qui m’a permis de me projeter sur un autre restaurant rapidement.
« Une fois que l’on sait, c’est difficile de faire autrement, mais si on ne sait pas on peut tout faire. «
Vous décidez finalement de fermer Nomos pour ouvrir NE/SO ?
On connaissait les points faibles de Nomos : on savait que l’outil n’était pas vraiment adapté à ce que j’avais réellement envie de faire, que l’emplacement n’était pas le bon non plus. Après tout ce qu’on a vécu là-bas, toutes les galères, il était temps de tourner cette page proprement.
Quelle est votre marque de fabrique chez NE/SO aujourd’hui ?
Je pense que notre marque de fabrique c’est ma méconnaissance de cette culture de la cuisine. Une fois que l’on sait, c’est difficile de faire autrement, mais si on ne sait pas on peut tout faire. Chez NE/SO, on joue à fond le jeu des saisons mais on a aussi appris à les contrer. On va aller chercher les meilleurs produits pendant leur pleine saison et on va les servir quelques mois plus tard en les conservant. Ça passe par des techniques de conservation banales à des fermentations plus poussées, des salaisons, des mises en gras ou des maturations. Tout ça agit ensuite sur le goût, de la même manière qu’un levain apporte de l’acidité à un pain.
Comment avez-vous découvert ces techniques de conservation ?
A Nomos, la baisse de fréquentation a engendré de grosses pertes de matière première. Pour éviter de jeter, j’ai cherché à mettre en place des techniques de conservation que j’avais expérimentées dans les pays scandinaves. Aujourd’hui, chez NE/SO on n’a pas de pertes et on réduit notre impact en CO2 puisqu’il n’y a pas de livraison en camion tous les jours.
Ces préoccupations écologiques sont importantes pour vous ?
Je suis persuadé qu’un chef a une utilité et un rôle à jouer sur la situation environnementale et l’éducation du client. Mon discours a évolué au fil de ma carrière. Aujourd’hui, je me dis : quitte à faire un job, autant le faire de manière intelligente et tenter d’apporter ma pierre à l’édifice. Il est temps que les gens regardent la qualité du produit et pas seulement sa saisonnalité. Il y a trop de mauvais restaurants qui sont pleins chaque jour.
Au-delà de l’utilisation de produits de qualité, qu’est-ce qui fait qu’un plat est réussi selon vous ?
Je crois qu’il est réussi à partir du moment où il procure une émotion. Procurer une émotion ce n’est pas forcément se rouler par terre tellement c’est bon, ça veut dire qu’à partir du moment où on met la fourchette dans la bouche il se passe quelque chose. Ça peut juste être un mouvement de recul ou de surprise.
Rares sont les chefs qui font de la cuisine et de la pâtisserie. Ce sont des métiers très différents ?
En fait, je ne vois pas de différences entre la pâtisserie et la cuisine. C’est juste le produit qui change et la manière de l’aborder. Moi je cuis une noix de Saint-Jacques comme je rôtis un abricot. C’est vrai qu’il y a un certain type de cuisine qui ne pourra jamais aller vers la pâtisserie mais à contrario il y a des cuisiniers très rigoureux qui pourront aller à la pâtisserie sans aucun problème. Je ne comprends pas pourquoi on a dressé un mur entre la cuisine et la pâtisserie. Ça me fait marrer que les pâtissiers parlent aujourd’hui d’assaisonnement car ça fait 15 ans que j’en parle et à l’époque tout le monde me prenait pour un fou. Mais c’est bien, ça veut dire que ça évolue.
Après ces quelques mois d’ouverture, comment voyez-vous l’avenir ?
L’idée aujourd’hui c’est de stabiliser l’économie du restaurant et son équipe, fidéliser les clients, continuer à faire notre cuisine à fond sans jamais perdre notre liberté et notre ADN. Pour l’instant, le restaurant n’a que quelques mois et on est un peu l’attraction parisienne. On pourra dire que ça marche dans un an.
Les guides gastronomiques s’étaient intéressés à Nomos. Est-ce qu’ils sont dans la ligne de mire de NE/SO ?
On essaie de ne pas y penser mais on va avoir besoin d’eux. Ce qui est complexe avec mon profil c’est que je ne fais partie de l’écurie de personne. Je ne suis pas un ancien de Ducasse ou de Passard, donc même si on tape fort l’assiette et que l’équipe se donne à fond tous les jours, si on n’est pas suivis par les principaux guides on finira par mourir. L’important c’est d’en être conscient. Ils ont toujours été hyper attentifs à mon travail donc je pense que c’est une question de temps et de confiance.