Successeur de Laurent Jeannin au poste de chef pâtissier, Julien Alvarez entretient la réputation sucrée du Bristol. En moins d’un an et demi, cet as du dessert, champion du monde de pâtisserie 2011, a relevé le défi de jouer dans la cour des grands. Rencontre avec un technicien hors-pair, qui ne veut imposer aucune limite à sa création, si ce n’est celle de respecter le goût du vrai.

Vous avez rejoint le Bristol en janvier 2018. Comment s’est passée votre nomination ?

Le chef Frechon m’a contacté directement. J’étais en Chine. J’ai été à la fois heureux et surpris. Car le Bristol est une maison gastronomique de rêve. Je n’avais encore jamais officié dans un restaurant à trois macarons Michelin. Je sais que ce type d’établissements fonctionne selon certains codes. Sur le papier, je ne possédais pas le CV adéquat pour succéder à Laurent Jeannin (Julien Alvarez a participé à l’ouverture du Peninsula Paris et a travaillé au Café Pouchkine, ndlr).

Laurent Jeannin était autant un grand talent de la pâtisserie française qu’un pilier du Bristol. Sa disparition à l’été 2017 a laissé le monde de la gastronomie en émoi. Avez-vous facilement trouvé votre place en arrivant ?

Laurent a marqué son temps, il a marqué le Bristol. Il a composé l’équipe gagnante du restaurant et a participé à l’obtention des trois étoiles. Je suis arrivé six mois après sa disparition. J’ai découvert son bureau, son laboratoire et des effets personnels, comme des moules qu’il avait créés. A ma prise de fonction, j’ai essayé de prendre du recul. Je ne me suis pas trop mis de pression par rapport à cette succession. Il y avait bien sûr une forme d’adrénaline. C’était un challenge. Et c’est ce que je recherchais : me mettre dans une situation dans laquelle je devais m’adapter à une nouvelle maison. Quel que soit le cadre, il ne faut jamais débarquer en terrain conquis. Je voulais être digne de la suite.

Avez-vous retravaillé ses desserts pour proposer votre propre version ?

J’ai pris du temps pour comprendre tout ce qui avait été accompli par Laurent. A chaque saison, je profitais des fruits disponibles pour m’imprégner de ses recettes et je cherchais les axes d’amélioration. Proposer une pâle copie du talent de Laurent n’avait pas de sens. Les plats d’un chef appartiennent à celui du restaurant. Et ma pâtisserie appartient au Bristol. Nous avons fait évoluer la carte au fur et à mesure avec le chef Frechon. C’était normal qu’il y ait encore quelques-uns de ses desserts au début. Désormais, une seule de ses créations est inscrite à la carte : le citron de Menton.

La pâtisserie contemporaine tend à être de plus en plus désucrée. Est-ce un axe de travail ?

La pâtisserie, c’est du plaisir. Le sucre et le gras sont des exhausteurs de goût. J’ai déjà dégusté des desserts qui étaient si peu sucrés que la notion de plaisir était absente. On réduit bien sur la quantité de sucre ajouté. Dans certains desserts, il est inutile d’en mettre, lorsque l’on utilise des fruits par exemple.  Nous avons beaucoup désucré les sorbets. Mais, je n’en fais absolument pas une fixation. Tout est une question de quantité. Je ne mange pas un kouign amann tous les matins. Mes desserts doivent être beaux et gourmands. Le manque de goût ne pardonne pas le surplus de sucre et de gras. Il n’y a rien de pire que les desserts magiques pour l’œil mais sans saveur.

Quel est le catalyseur d’une nouvelle création ?

Cela peut être l’ingrédient, le format, le service. Il faut surtout que le menu ait une identité unique. La continuité est fondamentale. Voilà pourquoi je travaille main dans la main avec le chef Frechon. Il a un recul que je n’ai pas toujours. Je lui propose mes nouvelles idées à la dégustation, et parfois même des essais. Je peux ainsi déterminer s’il y a une piste encourageante.

La cuisine du chef Frechon vous inspire-t-elle pour imaginer de nouveaux desserts ?

On ne copie-colle pas les plats salés en sucré. Toutefois, son utilisation des épices, de vinaigres, sinon des techniques de cuisson comme une croûte de céréales ou le fumage de certains ingrédients peuvent impulser quelque chose de neuf.

Au Bristol, vous ajoutez aussi une corde à votre arc, celui de chocolatier. Comment est né le projet de la chocolaterie au sein de l’hôtel ?

C’était dans les tuyaux depuis plusieurs années. L’hôtel du Cap-Eden-Roc d’Antibes, qui est aussi membre de l’Oetker Collection, disposait déjà de sa propre chocolaterie. Il y avait donc une réflexion autour d’une fabrication maison. A mon arrivée, je n’ai pas hésité à partager mon enthousiasme à ce propos.  Le chocolat, c’est une manière et une matière que j’apprécie de travailler. Les quantités sont plus importantes en comparaison de la pâtisserie. C’est moins journalier, il y a moins de perte. C’est un métier technique, qui demande de la précision. C’est un travail d’horlogerie.

Que produisez-vous au sein de cette chocolaterie ?

Nous sommes des fondeurs de chocolat. Nous réalisons des ganaches, des pralinés, des tablettes, de la confiserie mais aussi des pièces artistiques. Nous n’ambitionnons pas de présenter une offre pléthorique. On préfère mettre en lumière une production maison. C’est un nouvel outil qui permet de nous ouvrir à une clientèle extérieure.

Et y aura-t-il une boutique dans l’hôtel pour acheter les coffrets ?

L’objectif est de bénéficier d’un espace consacré aux créations de la chocolaterie. Pour le moment, les coffrets de Noël seront exposés au sein de l’hôtel. Une vitrine est en projet pour rassembler nos chocolats.

 

Julien Alvarez

Cafe Moka d'Ethiopie
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© Cafe Moka d'Ethiopie