Depuis l’hôtel du Prince de Galles qui lui a permis de décrocher sa première étoile, Stéphanie Le Quellec se livre sur sa cuisine, son quotidien et ses projets.

Quelles sont les particularités du travail de chef dans un hôtel de luxe ?

D’abord, ça ne s’arrête jamais. Il y a toujours quelqu’un dans la cuisine et le piano n’est jamais éteint sauf pour le nettoyage pendant 20 minutes. Ensuite, ce qui me plait beaucoup c’est le fait d’avoir plusieurs terrains de jeu. Il y a le « gastro » mais aussi le bar. C’est très sympa de faire de très jolis club-sandwichs et burgers. C’est bien pour les équipes parce que ça me permet de les responsabiliser et je les intègre beaucoup dans la réflexion autour des menus et dans les essais. On peut s’amuser autour d’un brunch, d’un petit-déjeuner, d’un plat en room service ou encore d’un banquet. Avec Cédric Maupoint, directeur de salle et chef sommelier, on fait des dîners du Prince le mardi : il choisit les vignobles et les vins et on fait le menu en fonction. Dans ce genre d’établissement il y a une palette d’expression qui est assez large, mais il y a une limite : on est dans un cadre et un groupe avec des codes spécifiques. Sur la saisonnalité, je peux avoir des positions très extrêmes sur le restaurant qui est ma signature, mais qui sont difficiles à tenir en room service. C’est compliqué d’expliquer à un client international qu’il ne peut pas avoir sa sole meunière parce que ce n’est pas la saison. Il y a une forme de concession à faire sur sa vision et sur une partie de l’établissement.

"Ma cuisine est à mon image : franche, sincère et authentique"
Stéphanie Le Quellec

Comment s’organise une journée type ?

J’arrive vers 8h55 parce qu’à 9h on a le morning meeting : c’est le seul moment de la journée où tous les chefs de service se retrouvent et peuvent échanger. à 9h30, je commence par ouvrir ma centaine de mails et répondre aux plus urgents puis je me mets en cuisine : je vérifie les produits reçus le matin et les factures. La matinée passe assez vite car nous avons un petit meeting restauration à 11h pour faire le point sur le nombre de couverts ou encore les préférences de nos clients. Ensuite, le service démarre. En général, à 14h je grignote quelque chose à la cafeteria ou sur un coin de mon bureau en vérifiant mes mails. L’après-midi est normalement réservé à travailler sur les recettes et faire des essais avec les équipes… mais c’est souvent ponctué par des interviews, des réunions ou encore des shootings ! Sur les coups de 18h-18h30 je fais parfois une petite pause pour aller faire une bise à mes enfants. Vers 19h, je suis de retour à l’hôtel pour le début de service et je ne quitte pas les lieux avant 22h30-23h selon les soirs.

Depuis plusieurs années, vous travaillez en binôme avec le chef pâtissier Nicolas Paciello, comment se passe votre collaboration ?

Il y a 5 ans, ma rencontre avec Nicolas a été une évidence. Il a d’abord pris le poste de sous-chef pâtissier mais on a tout de suite eu un très bon feeling et j’ai été heureuse qu’il devienne chef quand l’occasion s’est présentée. Nous sommes exactement sur la même longueur d’onde et il est le prolongement parfait de ma cuisine. C’est une partition qui s’écrit à deux et il n’y a rien de plus insupportable que d’avoir un décalage de niveau ou de vision entre la partie salée et le sucré. Humainement, c’est aussi quelqu’un avec qui j’apprécie vraiment de travailler.

Comment définiriez-vous votre cuisine aujourd’hui ?

C’est difficile de mettre des mots sur une cuisine parce qu’elle est en elle-même un mode d’expression. Je dirais qu’elle est à mon image : franche, directe, sincère, authentique, parfois un petit peu brute dans son approche. Je m’appuie beaucoup sur mes bases classiques car je n’ai travaillé qu’avec des chefs meilleurs ouvriers de France. Parmi les chefs de ma génération, il y a une tendance à dire « allez on oublie tout, on fait de l’assemblage, on met de l’huître avec de la banane et du kiwi, ça va être formidable… » Peut-être, mais ce n’est pas moi. La cuisine classique, c’est aussi notre histoire, notre patrimoine et je me considère comme une passeuse de cette histoire-là. Je suis un chef profondément classique qui n’est pas à la mode et tant mieux car j’ai envie d’être là encore dans 20 ans. Sur ces bases classiques viennent ensuite ma sensibilité, mes émotions, qui je suis, mon histoire, mon parcours, mes trois enfants, mes voyages et mes 6 ans passés dans le Sud.

Où trouvez-vous l’inspiration ?

Je commence par me replonger dans des saveurs qui me parlent. Je ne fais pas de la cuisine d’expérimentation, je fais des jus, des sauces comme j’ai appris à les faire. Ensuite, je tâtonne, j’essaie des choses mais, pour moi, la cuisine c’est avant tout de la gourmandise. Je la fais comme j’aime la manger. Après c’est un cheminement. Sur un premier poste de chef au départ on est forcément dans la démonstration. Aujourd’hui, j’ai dépassé ça. Il faut qu’on se régale, que le client ait envie de saucer l’assiette, qu’il redemande de la sauce. Ça me fait plaisir quand on me dit « c’est le meilleur ris de veau de ma vie ». Je n’ai rien réinventé, j’essaie de faire très bien la cuisine que j’ai appris à faire depuis 20 ans.

Comment renouvelez-vous vos recettes ?

Depuis 5-6 ans, je commence à avoir des recettes signature avec des plats qui reviennent. Je m’appuie dessus et ils évoluent. Je travaille par exemple depuis 4 ans sur le radis beurre à la fève de tonka. Tous les ans, la recette est revue et celle d’aujourd’hui est, à mon sens, beaucoup plus aboutie que les précédentes. Après, il y a la nouveauté, le retour de voyage où j’ai goûté un produit qui m’a marqué ou retenu une technique que j’ai envie d’essayer.

Quels sont les produits que vous aimez particulièrement cuisiner ?

J’adore travailler les produits simples. J’ai par exemple toujours un œuf à la carte. D’abord parce que j’adore ça et ensuite parce que ça me fascine de faire rêver les clients avec un œuf, une sardine ou un merlan. Pour moi, la vraie valeur ajoutée du cuisinier est là. Il y a aussi le ris de veau que j’adore et qui me rappelle mon enfance. C’était un plat en sauce que faisait ma maman et qui était délicieux. J’en mangeais à la maison mais j’ai vraiment appris à le travailler en entrant dans de grandes maisons. Aujourd’hui, c’est drôle parce que mon père réclame mon ris de veau !

Quels chefs vous inspirent ?

Jean-François Piège bien sûr car tout ce qu’il fait est extrêmement intelligent, c’est un monstre sacré, quelqu’un qui travaille beaucoup et je le respecte pour ça. Selon moi, c’est probablement l’un des plus grands chefs d’aujourd’hui. J’adore aussi plusieurs chefs qui sont mes amis comme Emmanuel Renaut et Christophe Bacquié qui ont des cuisines atypiques, très signées et ancrées dans leur terroir. Humainement, ce sont également des personnes superbes. Je citerais également Eric Frechon que j’admire pour sa simplicité, son humilité et sa grande maîtrise de la technique. Il a une vision résolument moderne de la cuisine de palace.

Vous emmenez vos enfants au restaurant ?

Oui et ils adorent ! C’est un plaisir pour moi. Avec mes deux grands, on essaie de faire une, deux ou trois table(s) dans l’année : des étoilés, un bon fish & chips ou encore des bistrots. Le principal pour moi c’est de partager le moment à table avec les gens que j’aime : mon mari, mes enfants ou mes amis sont toujours de la partie.

Vos garçons s’intéressent-ils aussi à la cuisine ?

à 14 ans, mon aîné adore manger mais ne sait pas se faire cuire des pâtes ! Par contre, je crois que mon deuxième a le truc. Ça a démarré avec la pâtisserie. Quand j’ai fait ma première pâte feuilletée avec lui il a eu ces petits gestes naturels qui ne s’expliquent pas. Je pense qu’il a le palais et les prédispositions, après il va falloir qu’il travaille !

Vous allez l’encourager dans cette voie ?

Je vais l’encourager, tout en le mettant en garde comme je le fais avec mes équipes au quotidien. Ce métier, il faut brûler pour lui sinon il vous brûle. C’est très dur donc il faut absolument être sûr de s’épanouir et d’être heureux dedans. Si vous lui donnez beaucoup, il vous le rendra, j’en suis l’exemple. C’est un métier de justice : si on est besogneux et rigoureux, ça peut aller très vite et il offre de belles perspectives d’avenir à ceux qui ont envie. C’est un peu le revers de la médaille des émissions de cuisine : c’est super que l’on ait valorisé et mis en lumière nos métiers, mais ce qu’on ne voit pas forcément à la télévision c’est que ça reste un métier d’investissement, de passion et de travail.

Conseilleriez-vous aux jeunes cuisiniers de faire des concours comme Top Chef ?

Absolument ! Top Chef c’est une ligne sur mon CV et c’est une expérience à part entière. Je considère que ça fait partie de mon apprentissage aujourd’hui. Ça m’a apporté des choses donc je conseille de le faire mais il faut garder à l’esprit que c’est de la télévision, que c’est éphémère. Top Chef ça marche si on se dit que cela va donner une résonnance à ce qu’on a dans les mains et si on veut vraiment exercer un métier de cuisinier.

Envisagez-vous d’ouvrir un jour votre propre restaurant ?

Pour l’instant, mes projets sont au Prince de Galles car c’est un travail de longue haleine de faire d’une institution parisienne une destination culinaire. On est en passe de le réussir mais c’est un travail de tous les jours. Je comprends les chefs comme Jean-François Piège ou Yannick Alléno qui ont eu envie de quitter les palaces pour avoir quelque chose à eux. Je n’en suis pas à ce stade-là.

Vous pourriez travailler avec votre mari ?

On était très fermé sur le sujet pendant un moment, mais aujourd’hui on l’est moins et ce n’est pas exclu. On a déjà travaillé huit ans ensemble au George V puis à Terre Blanche, mais on est au même niveau et il ne peut pas y avoir deux chefs dans une même cuisine. Nous avions en plus appris avec les mêmes chefs et chacun devait développer sa cuisine. On le fait depuis maintenant 7 ans et aujourd’hui je pense que nous sommes assez complémentaires. David peut pousser la technique sur des viandes et des gibiers beaucoup plus loin que moi qui la pousse plus sur les poissons et les sauces. Il y a aussi une complémentarité en termes de caractère : il est aussi timide que moi je peux être à l’aise, donc travailler ensemble pourrait faire sens et créer une vraie valeur ajoutée.