Parmi la constellation d’étoiles que compte la France, il est un cuisiner qui brille par son avant-gardisme et sa philosophie à contre-courant. Dérangeant pour les uns, surprenant pour les autres, Thierry Marx mène la cuisine par le bout de ses deux baguettes. Embarquement direction la planète Marx.
Sur Mesure par Thierry Marx
© Arnaud Dauphin Photographie

Pas de quartier sur les origines

« Je suis né à Paris dans un quartier modeste, à Ménilmontant, où la gastronomie ne faisait pas du tout partie de notre quotidien. à 12-13 ans, j’ai eu la chance de rencontrer un boulanger réputé dans le coin, Bernard Ganachaud. C’était la boulangerie du dimanche où l’on s’offrait quelques petits plaisirs. Les autres jours, je passais devant sa boutique, j’admirais le savoir-faire et la réussite de cet homme manuel. J’avais sous les yeux le parfait exemple que l’apprentissage pouvait mener à des projets d’avenir. N’ayant pas de diplôme, je suis alors entré chez les Compagnons du Devoir en tant qu’apprenti pâtissier. Mais à la sortie, pas de travail, je végétais dans ma cité. Je voulais lui échapper à tout prix, la seule solution fut de m’engager dans l’armée. Parachutiste pendant presque cinq ans, j’ai vécu des moments éprouvants qui vous marquent à tout jamais. à mon retour en France j’étais un peu perdu, j’ai repris la pâtisserie sans grande conviction. En fait, je n’arrivais pas à m’intégrer dans mon propre pays, chaque fois mes origines banlieusardes me revenaient en pleine figure. J’ai voulu partir le plus loin possible pour échapper à la stigmatisation, j’en ai eu assez d’être jugé. »

Je suis né dans un quartier modeste, à Ménilmontant (Paris), où la gastronomie ne faisait pas du tout partie de notre quotidien.
Thierry Marx

L’échappée australe salutaire

« à 23 ans, je suis parti en Australie, au Regency Hôtel à Sydney, au service des banquets pâtisserie. Ayant appris que j’étais français, le chef m’a demandé si je savais cuisiner pour donner un coup de main côté cuisines. Je n’avais pas de formation mais j’ai fait illusion pendant une année et c’est là que j’ai eu le déclic. J’ai tissé des liens très forts au sein de la brigade, il y avait une sorte de fraternité entre nous, je me sentais bien et à ma place. J’ai réalisé que la relation avec le client est une ouverture sur l’autre, elle donne lieu à des échanges. Même si le convive conteste votre travail, il se passe quelque chose. De retour en France, j’ai passé un CAP de cuisine en candidat libre. Mais j’ai été confronté aux mêmes difficultés pour trouver ma place, il fallait toujours se justifier de tout un tas de choses pour entrer dans une maison. Et puis, ma bonne étoile m’a mis sur le chemin de Claude Deligne au Taillevent. Je découvre alors la haute gastronomie, le savoir-faire d’un établissement trois étoiles. Après plusieurs expériences en France et à l’étranger, c’est le moment de se lancer dans une première affaire à Montlouis-sur-Loire où j’ai obtenu une étoile. Je me suis battu corps et âme pour prouver que je pouvais le faire, même sans être élève ou fils de. En 1996, j’ai pris les commandes de Cordeillan-Bages à Pauillac et décroché l’étoile dans la foulée. La deuxième est arrivée en 1999. C’est dans cet établissement que j’ai expérimenté la cuisine dite moléculaire. »

Les cuisines du restaurant Sur Mesure par Thierry Marx
Les cuisines du restaurant Sur Mesure par Thierry Marx
© Arnaud Dauphin Photographie
Thierry Marx en 5 dates
1962 Naissance à Paris / 1988 Première étoile au guide Michelin / 1996 Chef de Cordeillan-Bages à Pauillac / 2006 Cuisinier de l’année par le Gault & Millau / 2010 Chef du Sur Mesure au Mandarin Oriental

L’Asie pour lubie

« Ado, je suis tombé en admiration en regardant la Triologie Samouraï du réalisateur Hiroshi Inagaki. Je suis bluffé par l’esthétisme, le récit, la beauté du scénario. Dans ma tête, je rêve du Japon, je m’en rapproche par la pratique du judo et du jujitsu. Mais je ressentais le besoin de m’y rendre physiquement. Lorsque j’ai mis les pieds dans le pays du soleil levant, un bouleversement total s’est opéré en moi. Ils ont une relation à la nature d’une dimension incroyable, mais pour bien la comprendre il faut un temps d’adaptation. Comme dans la cuisine française, on retrouve la volonté de sublimer le produit. C’est pour ça que le débat ‘la cuisine japonaise est-elle meilleure que la française’ m’agace, nous avons cette même quête de l’excellence. Il faut simplement arrêter de se regarder le nombril et de vouloir se mesurer aux autres. Le bon et le mauvais sont partout, en France, au Japon, n’importe où. ».

Sa cuisine

Séculaire sauce moléculaire

Pendant des années, Thierry Marx a endossé le tablier de la cuisine moléculaire. Il lui a toujours préféré le terme encore un peu plus savant de cuisine techno-émotionnelle, comme si moléculaire était une insulte. « J’ai subi de multiples agressions, il n’y a pas d’autres termes, sous prétexte que la cuisine moléculaire était une hérésie. » D’un parcours classique, il en garde les bases sans jamais les renier. Il connaît même le guide culinaire Escoffier sur le bout des baguettes. « Il n’y a pas de conflit entre la tradition et la modernité, c’est ce que j’ai retenu de mes périples au Japon. J’ai une formation très classique mais ça n’empêche en rien d’être audacieux, curieux et de réfléchir. Vous savez ce que c’est la cuisine classique ? C’est un plat moderne qui a réussi ! » N’en déplaise à ses détracteurs, le chef fraye son chemin, imprime son style et atteint même les étoiles. Les cartes actuelles des cuisiniers en vogue semblent lui donner raison, les cuissons sous vide et autres écumes sont tombées dans une routine culinaire qui ne choque plus personne. Si les débats sont derrière lui, il reste attaché à l’innovation pour faire évoluer les choses, ne souhaitant pas rester dans un savoir-faire « muséophile » comme il aime à le dire.

Sur Mesure sans commune mesure

Depuis 2010, c’est aux commandes des cuisines du palace le Mandarin Oriental (Paris)que l’on retrouve le chef devenu une star du petit écran. Dans son restaurant doublement étoilé, le Sur Mesure, il signe une carte plus sage qu’à Cordeillan-Bages mais conserve l’avant-garde qui a fait son succès. La technique et le minimalisme sont de rigueur pour des émotions gustatives mais surtout intellectuelles. Variations de textures, de températures et trompe l’œil sont autant de détails qui révèlent les saveurs. Ici, les sens sont comme réinventés, les ingrédients sont déstructurés pour être restructurés sous une forme que l’on ne connaît pas. Pour autant, Thierry Marx respecte le produit, « c’est simplement une autre manière de travailler. La cuisine n’est pas une histoire de recette comme le disait Alain Chapel, c’est le savoir-faire du geste, la maitrise du feu et du temps. Le reste c’est de la fantaisie intellectuelle » confie t-il. Dans l’assiette, l’illusion est parfaite. Qui irait imaginer que le biscuit est réalisé sans œufs et sans cuisson ? Que la gelée du plat de cochon est naturelle ? Que la coque des moules est parfaitement comestible ? A chaque service, le chef et sa brigade prouvent que les aliments ne sont pas issus d’un laboratoire mais bel et bien d’une cuisine où le goût et le respect des matières règnent en maître.

marx
marx
© Arnaud Dauphin
Sponge cake café
Sponge cake café
© Arnaud Dauphin
Moules prêtes à déguster
Moules prêtes à déguster
© Arnaud Dauphin
Escargots de Bourgogne
Escargots de Bourgogne
© Arnaud Dauphin

Un lieu : des univers

Le mandarin oriental

Lorsque l’on aperçoit la façade extérieure du Mandarin Oriental, rien ne laisse présager l’époustouflant décor qui nous attend. Le hall d’entrée s’ouvre sur le jardin et une sculpture signée de l’artiste Nathalie Decoster. Au centre du bâtiment, la végétation nous fait oublier la folie parisienne. Le patio est une petite oasis à ciel ouvert de plus de 450 m2. Coupé du monde qui nous entoure, on y sirote un verre où l’on déguste la cuisine du bistrot chic le Camélia. En se faufilant tout au fond sur la gauche, on plonge dans l’univers féérique du Bar 8. Éclairage tamisé, matériaux nobles, c’est un écrin délicat et bienveillant. En effet, le nombre 8 porte bonheur dans les pays asiatiques. Dans les étages le voyage continue. L’hôtel dispose de 99 chambres et 38 suites, toutes chics et luxueuses, dans un style alliant moderne, Art déco et touches orientales.

Mandarin Oriental Paris
Mandarin Oriental Paris
© Mandarin Oriental Paris
Mandarin Oriental Paris
Mandarin Oriental Paris
© Mandarin Oriental Paris
Mandarin Oriental Paris
Mandarin Oriental Paris
© Mandarin Oriental Paris

Le restaurant

Le restaurant gastronomique, lui, surprend par ses allures de vaisseau spatial à la fois futuriste et surnaturel. Dans un espace monochrome, la lumière jaune et artificielle emmène les convives dans un voyage aux frontières de l’ésotérisme. Les murs drapés sont comme éventrés et donnent une impression d’inachevé parfaitement étudiée. « Je voulais un restaurant qui donne la sensation de ne pas être terminé » s’amuse Thierry Marx. Ici pas de carte mais des menus de 5 à 9 plats, dont une proposition au déjeuner à 75€. A goûter absolument : le risotto de soja, devenu un plat signature.

Sur Mesure par Thierry Marx
Sur Mesure par Thierry Marx
© Arnaud Dauphin Photographie
Sur Mesure par Thierry Marx
Sur Mesure par Thierry Marx
© Arnaud Dauphin Photographie

© Arnaud Dauphin Photographie
Sur Mesure par Thierry Marx
Sur Mesure par Thierry Marx
© Arnaud Dauphin Photographie

Ses engagements

Le Centre Français d’Innovation Culinaire (CFIC)

Après le Food Lab, Thierry Marx a inauguré début 2013, aux côtés du chercheur en physico-chimie Raphaël Haumont, le Centre Français d’Innovation Culinaire. Autour de plusieurs missions – recherche fondamentale et appliquée, innovation, formation, enseignement, actions de vulgarisation des sciences, actions de communication et prestations – les deux compères souhaitent créer un lien entre le monde de l’artisanat gastronomique et la recherche scientifique. Ainsi, la cuisine bénéficie des instruments et de la connaissance des chercheurs pour aller plus loin. En ce sens, la gastronomie moléculaire n’est pas un effet de style mais un outil de compréhension. « Si aujourd’hui on sait faire une gélification avec la pectine de fruits et le calcium de l’eau minérale, c’est parce que l’on a fait des tests. Pas besoin d’ajouter de la poudre de gélatine alimentaire, qui est conservée dans des sulfites ! » s’exclame Thierry Marx. De cette manière, le cuisinier et le chercheur comptent bien prouver qu’il ne faut pas diaboliser la cuisine moléculaire, elle est bien plus naturelle qu’elle n’y paraît.

Cuisine mode d’emploi(s)

Cuisine mode d’emploi(s) est un programme de formation, entièrement gratuit, lancé en mai 2012, pour apprendre les rudiments du métier de commis. Il s’adresse en particulier aux jeunes sans diplôme, aux demandeurs d’emplois et aux personnes en reconversion professionnelle. En petit comité et pendant douze semaines, les apprentis sont accompagnés par une équipe pédagogique qui leur apprend les gestes de base de la cuisine, des recettes et les règles d’hygiène. Forte de son succès, la formation se décline en Cuisine mode d’emploi(s) boulangerie qui verra le jour en octobre 2013. Un projet que tout un chacun peut s’approprier en participant au financement par le biais de My Major Company. Mais pour Thierry Marx, il ne s’agit pas de prendre sa revanche sur son intégration difficile.

 

« J’aime que les marches de la société soit équitables et de la même hauteur pour tout le monde. »

 

Système D

De son histoire personnelle, le chef sait que la cuisine est un formidable vecteur d’intégration. Au centre pénitentiaire de Poissy, il accompagne les détenus pour les soutenir et améliorer leur quotidien en détention. Une fois par mois, les condamnés cuisinent à ses côtés lors d’un atelier qui leur permet de s’évader le temps d’un repas. Des séances où le sens de la débrouille est indispensable et débouche même sur un ouvrage. Paru en mai dernier, Système D est un livre de 60 recettes faciles, pas chères et sans ustensiles, toutes réalisées au centre pénitentiaire. Les bénéfices seront reversés aux détenus de Poissy afin de financer des formations.

Street food en mouvement

Parce que la gastronomie descend dans la rue, l’association Street food en mouvement entend bien démontrer que la cuisine à emporter n’est pas synonyme de plats au rabais. Thierry Marx en est le président et il s’implique pour défendre un artisanat qui peut être une réelle alternative à la malbouffe. Dans une société en pleine mutation, le chef observe que les consommateurs « ne s’attablent plus des heures pour manger. Ce n’est pas une question de prix mais une question de temps ». Street food en mouvement a donc pour objectif d’encadrer et développer cette forme de restauration, pas vraiment nouvelle mais qui inonde de plus en plus le marché de l’alimentation.

https://www.thierrymarx.com/