À 30 ans, le Chef Thibault Nizard prend son envol. Après avoir chapeauté les fourneaux du Drouant, à Paris, il vient de créer sa propre maison, tout en sobriété, entre Louvre et Palais-Royal. Une table inspirée par l’instant, l’instinct du Chef et la classe des grands classiques de la cuisine française. Pour diriger la salle, il a choisi son épouse, Elinor Nizard. Esprit de famille oblige.
Thibault Nizard
© Natalia KHOROSHAIEVA

Un chef de grandes maisons

Né à Paris, Thibault Nizard a grandi entre la capitale et le sud de la France, où deux de ses oncles sont restaurateurs : l’un en salle, l’autre en cuisine. C’est avec eux qu’il découvre pluches et plonge dès ses 10 ans. La préparation de son premier plat ? « C’était une salade César et j’avais 12 ans. » La suite : un apprentissage en alternance à Tours, puis à Paris. Car la cuisine, « c’était une évidence », confie Thibault Nizard, qui garde intact le souvenir de son oncle, « grand, costaud, avec son tablier blanc qui tombait jusqu’aux pieds ». D’emblée, il va privilégier les tables gastronomiques pour l’excellence, la rigueur, mais aussi pour comprendre et apprendre recettes, dressages, produits, saveurs, accords.

Attiré par les tables triplement étoilées

À Paris, Thibault Nizard passe ainsi par les fourneaux du Collectionneur, ceux du Chiberta, jusqu’à intégrer l’équipe du Chef triplement étoilé Alain Solivérès au Taillevent. Puis, échappée d’un an sous le soleil marseillais au Petit Nice de Gérald Passédat, lui aussi auréolé de 3 macarons au Michelin. À son retour dans la capitale, Thibault Nizard trouve d’abord ses marques aux fourneaux des 110 de Taillevent, puis il retrouve les cuisines du Taillevent, où il est nommé sous-chef à tout juste 24 ans. Au départ d’Alain Solivérès, en 2018, il ne reste pas et rejoint Guy Savoy à La Monnaie de Paris, autre table alors triplement étoilée et, là aussi, en tant que sous-chef. Enfin, après une courte période dans un petit restaurant de Boulogne- Billancourt, où il a carte blanche pour tout cuisiner au feu de bois – « Je m’éclatais ! Je changeais le menu tous les jours ! » -, Thibault Nizard arrive au Drouant, d’abord comme « second » du Chef Émile Cotte, en collaboration avec le Meilleur ouvrier de France Philippe Mille, puis comme Chef des cuisines : il n’a que 28 ans. Un parcours sans faute, « auprès de Chefs avec du tempérament », dit encore Thibault Nizard, hissé au rang de « jeune talent » dans l’édition 2023 du guide Gault & Millau.

Fraises des bois, sorbet fromage blanc et basilic
© Natalia KHOROSHAIEVA

Un projet ambitieux

À la sortie des périodes de confinement, Thibault Nizard a envie d’autre chose. Après des semaines à rester enfermé, cloîtré, loin de ses fourneaux, il a soif de liberté. Il souhaite pousser plus loin encore l’excellence, l’exception et la perfection dans l’assiette, mais avec davantage de marche de manœuvre. Il recherche le quasi « sans limite ». Il rencontre des investisseurs, prêts à le suivre dans une nouvelle aventure plus personnelle. Un véritable pari pour Thibault Nizard, qui s’apprête à souffler ses 30 bougies. Mais le Chef aime les défis autant que la montée d’adrénaline lors des coups de feu. Pas pour lui, la routine et le confort qui finit par lasser, ennuyer, démotiver. Il veut voler de ses propres ailes, s’ouvrir à de nouveaux horizons. Il dit alors « banco » aux financiers qui souhaitent l’accompagner. Sa seule certitude, alors qu’il n’a même pas encore trouvé de lieu : son équipe. Elle sera composée de fidèles, de disciples, de proches. Car, sans confiance, pas de complicité ni de réussite en cuisine.

Envie de “jouer à domicile”

Audacieux autant qu’ambitieux, Thibault Nizard veut « jouer à domicile ». Il a envie d’être chez lui. Pour avoir la main aussi bien sur une carte, un menu, que sur le choix d’une déco, l’organisation d’un décor, la place des fourneaux, les horaires d’ouverture… L’idée : faire le meilleur sans faire comme les autres ; être créatif sans sombrer dans la facilité ; surprendre sans ostentation ; proposer une offre juste, pertinente et originale, pour fidéliser les équipes comme les clients. C’est ce qu’il souhaite instaurer dans son restaurant baptisé L’Aube « comme l’amorce de quelque chose, le début d’une émancipation… » – et situé à mi-chemin entre le Louvre et les jardins du Palais- Royal, en plein centre de la capitale.

Une cuisine de traditions aux goûts du jour

Saucier de formation, je suis un cuisinier d’instinct, sur l’instant. J’aime les grands classiques, mais je n’ai pas envie de m’ennuyer. Il doit y avoir de la vie dans une assiette, sans pour autant oublier
ce qu’attend le client.

C’est ainsi que Thibault Nizard résume son identité culinaire. Entre traditions, transmissions et modernité, son cœur balance. Alors il adapte les codes des grandes maisons aux goûts du jour :

Je vais à Rungis plusieurs fois par mois pour découvrir, goûter partager. Les fournisseurs guident mes cartes et menus.

Foie gras marbré, gelée de cidre, pomme rôtie
Foie gras marbré, gelée de cidre, pomme rôtie
© Natalia KHOROSHAIEVA
Huître prat ar coum 00 rôtie (1)
Huître prat ar coum 00 rôtie (1)
© Natalia KHOROSHAIEVA
Gourmandise de volaille, langoustines et bisque de volaille crémée
© Natalia KHOROSHAIEVA

Gourmandises de volailles, poissons et charcuterie “maison”

À la carte de L’Aube figurent un menu « déjeuner » et un menu « après-spectacle », inspiré par la proximité de la Comédie Française et du Théâtre du Palais Royal. Celui-ci sera proposé entre 22 et 23 heures, uniquement sur réservation. À cela s’ajoute un menu « dégustation » en 5 et 7 temps, qui évoluera peu à peu en 6 et 8 temps. Question de rodage et de réglage. Le parti pris du Chef pour ces différents menus : « Décliner la version dégustation sur toute la carte. Tous les plats seront ainsi travaillés avec les mêmes produits, ils auront la même cuisson et le même goût. » Le chef Thibault Nizard parle de « cohérence » et d’« intelligence de travail », surtout à l’heure du « zéro déchet » et de la chasse au gaspillage alimentaire. Quant aux recettes, le Chef évoque ses « gourmandises de volailles », ainsi que sa passion pour les poissons et la charcuterie qu’il réalise lui-même… Le tout servi dans les règles de l’art, avec découpes et flambages en salle.

Pour le sucré chaque dessert est imaginé par Thibault Nizard et dressé à même le passe, comme les plats. Côté cave, avec un stock de 6 000 bouteilles et quelque 300 références, dont une part belle faite aux vignerons du Rhône – région de prédilection du Chef, pour les crus – les accords mets et vins visent le subtil, le précis, l’exquis.

Un lieu unique

Même s’il a une affection particulière pour le quartier de l’Odéon, à Paris, c’est à deux pas du Louvre et de la Comédie Française que Thibault Nizard a f inalement trouvé le bon écrin pour son restaurant. Un établissement traversant de 320 m2 répartis sur deux niveaux, avec une entrée rue de Richelieu et une autre rue de Montpensier. Côté déco, le Chef a tout supervisé, en misant sur la sobriété. Il a veillé avant tout au bien-être de ses équipes, en termes de circulation, travail en cuisine, luminosité, jusqu’à la moquette dans les tonalités de gris et bleu – qu’il a souhaité épaisse et posée sur une thibaude en résine, afin de la rendre plus souple à l’usage. Sur les murs, une peinture gris perle.

Moucharabiehs, fleurs et luminaires épurés

À l’entrée côté Richelieu et dans une alcôve côté Montpensier –, des moucharabiehs laissent passer la douceur d’une lumière tamisée. Toujours à l’accueil, des bouquets de fleurs fraîches rappellent qu’autrefois, ici, vivait et travaillait un fleuriste. Les luminaires, qui prennent la forme de pales de bateau, jouent la carte de l’épure et la contemporanéité.

Chef en salle, îlots dédiés au sommelier et haute table d’hôtes

La salle de L’Aube multiplie les curiosités, singularités et autres subtilités. D’abord avec un parti pris pour une cuisine ouverte et le Chef qui réalise le dressage de ses plats à même le passe, entièrement revêtu de granit noir, où une place est réservée « pour l’ami de passage ». Thibault Nizard tient beaucoup à ce concept de « Chef en salle », au plus près des clients, pour leur expliquer sa cuisine, ses accords, mais aussi pour répondre à leurs attentes et ouvrir le dialogue. Le tout en direct. Lors du coup de feu. Au moment le plus fort d’un service. Quant au sommelier, il dispose de deux îlots aménagés pour décanter, goûter et conserver ses vins au frais. Fini les bouteilles posées sur la table. À cela s’ajoute une « Chef’stable » de 130 cm de hauteur, tout en bois et traversée d’une rivière en résine, pour un effet de profondeur. Entourée de hauts tabourets et située face aux fourneaux, cette « Chef’s table » pour six convives, avec guéridon dédié au sommelier, invite à une immersion immédiate au cœur de la cuisine.

Agneau de la Vienne, échalotes fondantes et blettes
Agneau de la Vienne, échalotes fondantes et blettes
© Natalia KHOROSHAIEVA
Le chef Thibault Nizard
Le chef Thibault Nizard
© Natalia KHOROSHAIEVA

Tables napées, excellence et cave de vigneron

Tables de deux, de quatre ou encore tables rondes pour cinq convives : tous les scénarios sont possibles. Avec une répartition équilibrée entre la salle côté rue de Richelieu, dont les baies vitrées s’habillent d’un léger voilage, et le côté rue de Montpensier, plus proche des théâtres et entrée privilégiée pour le souper d’après spectacle. Sur ces tables nappées, élégance et excellence sont de mise. Avec une porcelaine de la manufacture familiale Jacques Pergay, des couverts en métal argenté signés Christofle, des couteaux à viande issus des ateliers Perceval et une verrerie Riedel. Enfin, quelques mots de la cave des rouges et de celles des blancs et champagnes : situées sous le restaurant, elles se visitent avant un dîner en compagnie du sommelier. Soucieux de créer une expérience supplémentaire, Thibault Nizard a recouvert le sol de gravier blanc – « qui préserve la fraîcheur » – et paré les murs de noir. L’idée : « Se sentir comme dans une cave de vigneron. »

Un esprit d’équipe

Fidélité, amitié et conf iance résument l’esprit qui anime l’équipe de L’Aube. Ils sont une vingtaine au total, dont huit en cuisine et certains aux côtés de Thibault Nizard depuis plusieurs années. À commencer par le chef-adjojnt, Bastien Veziat, rencontré aux 110 de Taillevent. Pour souder un peu plus encore cette « garde rapprochée », Thibault Nizard a instauré la semaine de quatre jours et demi, « pour que chacun préserve une vie de famille ».

L’Aube, c’est un rêve et une équipe de rêve

souligne le Chef.

Discipline, justesse et agilité

Thibault Nizard parle aussi d’« esprit de famille ». Et pour cause : son épouse, Elinor Nizard, dirige la salle de L’Aube. Dans la restauration depuis ses dix-huit ans, elle partage avec lui des valeurs de rigueur, discipline, justesse, précision. Véritable ambassadrice de l’art de recevoir à la française, elle sait aussi faire preuve de souplesse, adaptabilité, agilité, dès qu’il s’agit de personnaliser un accueil, un service, ancrer les codes du classique dans le XXI e siècle. Enfin, esprit de famille encore, conclut le Chef : « C’est un brainstorming familial qui a permis de trouver le nom du restaurant.