Avec beaucoup d’humilité, Régis Marcon et son fils Jacques content l’histoire de leur village d’Auvergne dans des déclinaisons surprenantes d’authenticité. A 62 ans, le père pousse sa cuisine dans une nouvelle dimension santé et bien-être, tutoyant la nature dans son plus simple élément. Dépaysant.

Il faut oser quitter l’autoroute et s’abandonner dans les lacets qui conduisent au petit village de Saint-Bonnet-le-Froid en Haute Loire. Il faut oser, car le jeu en vaut la chandelle. Là-haut, sur les hauts plateaux du bout du bout de l’Auvergne, au détour d’un dernier serpent de route, un écrin niché au cœur des gorges de deux affluents du Rhône offre une vue imprenable sur la nature dans ce qu’elle a de plus brut : bienvenue à l’hôtel-restaurant Régis et Jacques Marcon.
C’est le café matinal et les tartines à la confiture d’abricots nous accueillent ce jour-là, au beau milieu des cuisines. La vingtaine d’employés savourent chacun à sa manière ce petit-déjeuner dressé sur le plan de travail du Relais & Châteaux, un peu comme une famille à la maison. Tout un symbole pour Régis Marcon qui, malgré sa notoriété gastronomique – son établissement est classé trois étoiles au Guide Michelin depuis 2005 -, cultive depuis 35 ans, le même sens de l’accueil et de la décontraction. Le chef n’est pas loin, à la finition d’une paëlla aux champignons, l’une des recettes phare de son dernier ouvrage dédié aux céréales et aux légumineuses, et qui paraîtra à l’automne.

Etat sauvage. Nichée sur les hauteurs du village, face à une nature laissée volontairement à l’état sauvage, la table 3 étoiles constitue à elle seule un hommage au terroir. Petit, Régis Marcon y construisait des cabanes. C’était aussi son terrain de jeu pour ramasser quelques coulemelles.
© Jonathan Thevenet

Bien-être dans l’assiette

Après son livre consacré aux champignons – l’emblème de la maison – il y a quatre ans et un second sur les herbes en 2016, Régis Marcon pousse à 62 ans, sa cuisine dans une nouvelle dimension : celle du bien-être, avec une envie : aller au bout de la démarche « parce que s’intéresser à la nutrition, dit-il, c’est faire un pas de plus vers la nature ». Dans son livre de recettes, on apprend également comment choisir les légumineuses, les conserver, les préparer, les digérer. Un exemple de pédagogie, avec derrière « l’envie de rendre ce qu’on {lui} appris ». Le spécialiste du règne fongique en connaît un rayon sur les céréales. Il aime les conjuguer aux éléments qui l’entourent, « donner du sens à la recette ». Exemple très concret avec sa paëlla dont il cherche la touche finale : « on met de la ciboulette ? », interroge le chef. Non. Du persil ? Non plus. Le visage de Régis Marcon s’illumine quand son regard croise un pot sur l’étagère en face de lui : ce sera des plumes de cébettes, tout juste ramassées. Il les ordonne minutieusement à la pince, entre les cèpes, les chartreuses violettes et les girolles. L’histoire est posée. La composition suivante est tout aussi caractéristique de la patte Marcon et des leçons de choses que le chef triplement étoilé aime semer. Le gâteau de quinoa, fèves et champignons se veut un plat graphique, certes, mais il est servi dans une assiette aux couleurs des herbes du pays. Régis Marcon les a fait réaliser pour le restaurant par un artiste local. « En cuisine, l’intérêt est de s’associer avec d’autres pour montrer toute la richesse de notre terroir », apprécie le cuisinier.

La nature, maîtresse des lieux

Vous l’avez compris, ici, la nature, prégnante, ne s’invite pas à table. Elle en est le personnage principal, la maîtresse des lieux que Régis Marcon valorise à l’état le plus pur. La salle du restaurant surplombant les vallées de l’Ardèche, offre au premier plan, une toile panoramique de fleurs et d’herbes folles renouvelée à chaque saison. Ce sont ces fleurs sauvages qui composent les bouquets champêtres de la salle. Ils accompagnent l’ondulation de la nappe, un mouvement central dessiné grâce à un jeu habile de plis et qui rappelle la caresse du vent. Sur la table, les amuse-bouches jouent à cache-cache dans une sculpture en bronze, magistrale en forme de sapin, réalisée elle aussi par un artiste local. Les convives viennent y cueillir des amandes au sapin, croquer dans des têtes de cèpes à la coque au beurre de cacao et purée de champignons, grignoter quelques graines de courge ou feuilles de sauge frites. Le tout avec beaucoup de simplicité et de liberté, comme on piocherait des baies et des cèpes dans une forêt. Cette immersion en pleine nature, Régis Marcon l’accompagne toujours d’un bonjour amical, d’une anecdote, d’un récit de cueillette… Quand il n’improvise pas en cuisine un cours particulier devant des clients médusés. « Ici, confie-t-il, on ne vient pas seulement déguster mais pour passer un bon moment, pour comprendre cette nature qui nous entoure et l’apprécier. » En cuisine aussi la nature a ses lettres de noblesse : l’endroit spacieux, moderne – le nouveau restaurant a ouvert en 2005 – jouit d’une vue imprenable sur la forêt. Saint-Bonnet-Le Froid, ses 1150 m d’altitude et ses hauts plateaux sont une source d’approvisionnement naturel idéale pour le chef. Régis Marcon en connait le moindre élément : il est né ici. Il a commencé à travailler au sein du restaurant familial dans le bas du village. Il ne voulait pas – il se rêvait aux beaux-arts – mais le destin – son père est décédé quand il avait 11 ans – en a décidé autrement. Et puis il y a pris goût. C’est dans cette auberge qu’il décroche une à une les précieuses étoiles, avant de déménager le restaurant sur les hauteurs de Saint-Bonnet, là où il jouait étant gosse. Une reconnaissance obtenue au prix de travail et d’efforts bien sûr, mais qu’il doit d’abord, assure-t-il, à sa terre natale, qu’il affectionne et qu’il veut faire connaître. Ce plaisir de partager, ce rôle d’ambassadeur, il le transmet chaque jour à ses équipes, à ses clients, à sa famille aussi.

Binôme. Même patte, même rigueur, même amour de la nature : à 40 ans, Jacques, le fils aîné compose un savoureux quatre mains avec son père et partage la même ligne de conduite : «le plaisir, confie le chef, ce n’est pas que la cuisine : c’est un ensemble, le travail de toute une équipe. »
Binôme. Même patte, même rigueur, même amour de la nature : à 40 ans, Jacques, le fils aîné compose un savoureux quatre mains avec son père et partage la même ligne de conduite : «le plaisir, confie le chef, ce n’est pas que la cuisine : c’est un ensemble, le travail de toute une équipe. »
© Jonathan Thevenet
En cuisine chez Régis Marcon
En cuisine chez Régis Marcon
© Jonathan Thevenet
Binôme. Même patte, même rigueur, même amour de la nature : à 40 ans, Jacques, le fils aîné compose un savoureux quatre mains avec son père et partage la même ligne de conduite : «le plaisir, confie le chef, ce n’est pas que la cuisine : c’est un ensemble, le travail de toute une équipe. »
Binôme. Même patte, même rigueur, même amour de la nature : à 40 ans, Jacques, le fils aîné compose un savoureux quatre mains avec son père et partage la même ligne de conduite : «le plaisir, confie le chef, ce n’est pas que la cuisine : c’est un ensemble, le travail de toute une équipe. »
© Jonathan Thevenet
Jacques Marcon en pleine action dans ses cuisines
Jacques Marcon en pleine action dans ses cuisines
© Jonathan Thevenet
REPORTAGE_AEG_MARCON_ (111)
REPORTAGE_AEG_MARCON_ (111)
Des gestes minutieux de dressage en cuisine chez Régis Marcon
Des gestes minutieux de dressage en cuisine chez Régis Marcon
© Jonathan Thevenet
Régis Marcon en pleine action dans ses cuisines
Régis Marcon en pleine action dans ses cuisines
© Jonathan Thevenet
Des gestes minutieux de dressage en cuisine chez Régis Marcon
Des gestes minutieux de dressage en cuisine chez Régis Marcon
© Jonathan Thevenet
Régis Marcon en pleine action dans ses cuisines
Régis Marcon en pleine action dans ses cuisines
© Jonathan Thevenet
Des gestes minutieux de dressage en cuisine chez Régis Marcon
Des gestes minutieux de dressage en cuisine chez Régis Marcon
© Jonathan Thevenet

Cuisine à quatre mains

Car l’histoire de Régis Marcon ne s’écrit pas au singulier. Il y a d’abord eu sa maman et sa femme, Michèle, avec qui l’aventure culinaire démarre en 1979 par la reprise de l’auberge. Et puis la maison Marcon a grandi : Jacques, l’aîné des quatre enfants, 40 ans, concocte avec son père un savoureux « quatre mains » depuis une quinzaine d’années. « Le goût de Régis, la composition de Jacques », résume leur sous-chef Romain Masset. Aussi créatifs l’un que l’autre, aussi travailleurs et exigeants, père et fils signent avec précision et complémentarité, des variations pleines de textures et d’originalité. « Avoir deux chefs en cuisine, ce n’est pas facile, reconnait volontiers Régis Marcon, mais quel bonheur ! ».
Si Jacques s’efface volontiers, préférant la quiétude de son jardin d’aromates aux mises en lumière médiatiques, il œuvre pourtant chaque jour avec énergie au développement de l’entreprise familiale. Tantôt à la pluche de la montagne de champignons, tantôt en superviseur pour le coup de feu ; il goûte un jus, encourage les jeunes recrues à suivre la cadence, passe derrière les fourneaux pour montrer une technique de dressage. Aussi pédagogue que son père et doté du même esprit de partage et de transmission, de cet amour du territoire qui semble dépasser la simple filiation.

A sa façon, l’aîné s’apprête à écrire un nouveau chapitre de l’histoire familiale, intimement liée à celle du village. Il veut planter sur un terrain en contrebas de Saint-Bonnet-Le-Froid un jardin de légumes et de plantes aromatiques – des variétés à l’ancienne qui prennent le temps de pousser. Son idée : faire revivre le lieu-dit de Gambonnet en y cultivant une certaine forme de slow tourisme. « J’aimerais un endroit où les gens de l’hôtel descendraient se promener, pique-niquer et pourquoi pas installer une table d’hôtes et des cabanes en bois », imagine Jacques Marcon.

"Parce que s’intéresser à la nutrition, c’est faire un pas de plus vers la nature"
Régis Marcon
Restaurant Régis et Jacques Marcon
Restaurant Régis et Jacques Marcon
© Jonathan Thevenet
Restaurant Régis et Jacques Marcon
Restaurant Régis et Jacques Marcon
© Jonathan Thevenet
"Mon métier, c’est de montrer à travers une recette, cette nature qui nous entoure, ceux qui la cultive, ceux qui élèvent, ceux qui la valorisent"
Régis Marcon

Saga familiale

Cette envie d’authenticité, cette quête du bien-être sont en totale harmonie avec l’esprit de la maison. En plus du restaurant étoilé, d’une boulangerie, d’un bistrot – La Coulemelle, l’historique auberge, mémoire de l’aventure gastronomique familiale – les Marcon gèrent deux hôtels. L’un au cœur du village, l’autre, adossé à la table gastronomique sur les hauteurs. Fondues dans la nature, conçues en matériaux bio et naturels, dix suites offrent aux touristes une perspective improbable sur le Mont Mézenc, le ciel et la montagne pour seuls voisins.
Avec cette déclinaison, Régis Marcon a fait germer au cœur du village de 290 habitants une véritable dynamique de développement local, à la croisée des chemins d’un tourisme gastronomique, gourmand et nature, qui puise ses forces dans les ressources naturelles de la région. Il y a trois ans, le centre de remise en forme Les Sources du Haut Plateau est venu étoffer cette proposition. Orchestrée par un certain Thomas Marcon, le second fils de Régis, cette ode au bien-être est en résonance directe avec la cuisine de la maison. « Nous avons décidé, confirme le chef aux trois macarons, d’associer le bien-être, la santé avec l’alimentation. Nous n’inventons rien, c’est notre travail tous les jours de faire plaisir avec la nourriture ». Une envie contagieuse, presque virale que Régis Marcon enseigne chaque jour à ses équipes, aux particuliers dans son école hôtelière… mais aussi à un certain Paul. Son fils cadet de 24 ans, cuisinier et ancien membre de l’équipe de France des Olympiades en 2017, nourrit l’espoir de rejoindre dans quelques temps le clan derrière les fourneaux. Il devrait ce jour-là, rendre un homme encore plus heureux.

Restaurant Régis et Jacques Marcon
Restaurant Régis et Jacques Marcon
© Jonathan Thevenet
Restaurant Régis et Jacques Marcon
Restaurant Régis et Jacques Marcon
© Jonathan Thevenet
Restaurant Régis et Jacques Marcon
Restaurant Régis et Jacques Marcon
© Jonathan Thevenet
Restaurant Régis et Jacques Marcon
Restaurant Régis et Jacques Marcon
© Jonathan Thevenet
Restaurant Régis et Jacques Marcon
Restaurant Régis et Jacques Marcon
© Jonathan Thevenet

Les dates clés de Régis Marcon :

1973
Meilleur apprenti au championnat de France des Desserts

1974
CAP et BEP Cuisine

1978
Mariage avec Michèle avec qui il a 4 enfants Jacques, Thomas, Marie et Paul

1979
Reprend l’auberge familiale

1987
Entre au Gault et Millau

1989
1ère étoile au guide Michelin

1995
Gagne le Bocuse d’Or

1997
2ème étoile au guide Michelin

2000
Nommé cuisinier de l’année par le Gault et Millau

2005
3ème étoile au guide Michelin

2009
Missionné par le Gouvernement sur l’alternance et les formations dans l’hôtellerie-restauration

2017
Mandaté par le ministre de l’Éducation nationale sur la transformation de la voie professionnelle en milieu scolaire

Régis Marcon en pleine action dans ses cuisines
© Jonathan Thevenet