Pas facile d’extraire Régis Marcon de ses fourneaux pour l’exercice des questions-réponses. Perfectionniste, le chef peaufine une assiette, ajoute une herbe, montre un tour de main… avant d’enfin lâcher prise. Dans son cabinet de curiosités, il tombe le tablier et se livre avec modestie et sincérité sur sa passion communicative. C’est ça l’effet Marcon.

Comment définissez-vous votre cuisine ?

Ma cuisine, c’est le bonheur d’un homme, d’un couple. La cuisine m’a fait découvrir davantage mon village, l’histoire des herbes, des champignons. à un moment, on a envie de montrer toutes ces belles choses aux autres. C’est passionnant et ce métier nous donne la possibilité de faire venir des gens de toute la planète jusque dans ce village, dans une nature que vous avez envie de partager. C’est le bonheur absolu. Notre but c’est d’amener les gens dans cette petite montagne pour montrer cet environnement. Quand vous aimez la nature, vous avez envie de partager cette passion.

Le champignon est l’un de vos produits de prédilection ? Pourquoi ?

Il y a une envie de mêler la tradition et de se démarquer. Le champignon fait partie de nos gènes. Ici, tout le monde ramasse des champignons. Il a été le détonateur. Aujourd’hui, il y a les herbes aussi, les légumineuses, les céréales, mais pas pour faire de nouvelles choses : il faut que ça reste en connexion avec notre territoire. Il faut rester vrai, sincère, que cela corresponde à nos valeurs et nos envies.

"Il se passe des choses magiques au restaurant qui dépassent le stade de la cuisine"
Régis Marcon

Vous entretenez un lien particulier avec vos clients…

Il y a une chose essentielle : quand vous avez réservé depuis des mois, que c’est un peu un rêve de venir ici, on ne peut pas décevoir. On doit être reconnaissant. Mes clients, je leur dis d’abord merci : d’avoir fait la route, d’être là. à partir de là, vous faites le maximum. L’autre jour un garçon ne savait pas ce qu’il voulait manger. Il a demandé du bœuf et des frites. Pas de problème. On lui fait des frites maison mais je dis à mes gars : on va aller plus loin. Challenge ! On lui fait une petite purée de pommes de terre au foin, des pommes soufflées. Le gamin était bluffé ! Faire plaisir aux gens, c’est ça notre métier.

Vous travaillez en binôme avec votre fils Jacques, comment cela se passe-t-il ?

Ce n’est jamais facile mais c’est du bonheur de vivre ça avec sa famille. L’amour entre père et fils c’est indestructible. C’est notre cordon ombilical qui fait que même si ça tire parfois, il est là, il ne rompt pas. C’est essentiel. Mon fils a envie de réussir, moi j’ai envie qu’il soit heureux. Et je suis fier de lui car il a aussi d’autres projets. Ma crainte c’est de m’accrocher, de ne pas lui laisser assez de place, mais j’essaie.

La transmission fait partie de vos valeurs et de vos enseignements. Pourquoi est-ce si fondamental ?

J’ai toujours aimé transmettre par mon métier de moniteur de ski déjà. Il y a l’aspect pédagogique que j’aime bien. J’ai eu la chance à l’école hôtelière de rencontrer un professeur extraordinaire qui par sa façon d’être, sa façon de montrer les choses nous éblouissaient alors qu’à l’époque, je ne voulais pas faire de la cuisine. J’ai vu la cuisine autrement et je me suis mis à l’aimer. Aujourd’hui, je redonne ce qu’on m’a donné.

Cette envie de transmettre vous a conduit à la tête d’une mission gouvernementale sur la transformation de la voie professionnelle. Dans quel but ?

Avec Céline Calvez, nous avons rendu notre rapport en juin. J’ai le sentiment qu’on a enfin compris qu’il fallait que les choses changent en matière de formation. Et que pour y arriver, il fallait partir de la base. Dès la maternelle, on doit donner un peu de savoir-être, le goût de l’effort, pour réussir. Amener si possible des jeunes à la troisième en sachant lire et écrire. Le but de cette directive, c’est de rendre ces jeunes non pas plus intelligents mais plus débrouillards et autonomes. Et arriver dans les métiers avec beaucoup plus de liberté. C’est pour cela que dès la rentrée, les filières seront réorganisées par famille de métiers, pour oser, ne plus avoir peur de se tromper et bénéficier de passerelles. Les temps ont changé, les jeunes sont amenés à changer plusieurs fois de métier. C’est dans ce système que l’on amène doucement les élèves vers les métiers, vers l’apprentissage. On engage aussi l’entreprise à accueillir plus de jeunes, les former, leur donner envie de faire ce métier, leur apprendre les valeurs, la rigueur.

C’est la recette que vous appliquez ici au quotidien ?

Exactement. Ici, on suit les jeunes. Nous avons des tuteurs qui les accompagnent et notent leurs progrès dans un petit carnet que je consulte tous les jours. On a un côté paternaliste, pas trop non plus, mais c’est important d’apprendre à aimer son métier, car il donne un sens à sa vie.

à vous entendre, on a le sentiment que vous avez envie d’aller plus loin dans cette démarche…

J’aurais envie de monter ma propre école. C’est un rêve depuis longtemps parce qu’à force de faire des discours sur le sujet, je veux montrer que j’ai des méthodes. Que je pourrais ici, embaucher des jeunes pour qu’ils puissent vivre à la fois l’entreprise et l’école. Prendre un jeune et lui expliquer de A à Z ce qu’est une recette : comment lui va se valoriser à travers cette recette, comment il va en comprendre l’histoire et la restituer. Vous avez des jeunes qui à 18 ans percutent et sont imbibés de réponses, qui veulent entreprendre très vite, être libres. Et dans des métiers comme les nôtres on peut le faire. Il faut les accompagner par l’école et l’entreprise. Mettez un jeune ici un an, il va y arriver.

C’est un métier qui a de l’avenir encore, la cuisine, malgré les contraintes ?

énormément. Il faut juste apprendre à gérer, à faire des choix. Moi je ne sais pas ce qu’est un samedi, un dimanche, je n’ai pas connu. à un moment, il faut savoir où on prend son bonheur. Et que le travail peut vous amener vers l’épanouissement de votre vie.

Avec trois étoiles au guide Michelin depuis 13 ans, qu’est-ce qui fait briller vos yeux aujourd’hui ?

Je suis très surpris parce que je me suis toujours dit : tu vas arriver à la soixantaine, tu vas être fatigué et tu vas faire un refus de ton métier. J’ai fait le chemin à l’envers. à 22 ans, je travaillais énormément, étant seul en cuisine, je n’arrêtais jamais, je maudissais quelques fois le métier. Aujourd’hui, j’ai une équipe et nous avons les moyens de faire de la qualité comme notre restaurant est toujours complet. On voit le bonheur des clients, on fait tout pour qu’ils passent un bon moment, on s’amuse même. Je me retrouve à 60 ans en ayant encore plus envie de faire la cuisine qu’avant.

"Je me retrouve à 60 ans en ayant encore plus envie de faire la cuisine qu’avant"
Régis Marcon

Vous faites partie des grands. Quels chefs admirez-vous et pourquoi ?

Je ne parlerais pas d’admiration mais de respect ; la réussite dans ce métier on n’y n’arrive pas tout seul. Derrière, il y a du travail, de l’investissement. Et chacun a son identité. Un Pierre Gagnaire par exemple dont j’aime beaucoup la folie, le côté espiègle instantané, le vent de modernité. Michel Bras, précurseur de cette cuisine de la nature, Robuchon parce que c’était la rigueur, la précision. Bernard Pacaud pour son côté un peu bourru, très intransigeant sur les produits. Chacun a quelque chose en fait.

Une belle journée, c’est quoi pour vous ?

C’est une journée avec des rencontres, des découvertes et des projets. C’est une journée où on a la larme à l’œil. Parce qu’il se passe des choses magiques au restaurant. L’autre jour un monsieur m’a fixé avant de me répéter à deux reprises qu’il était heureux d’être ici : il venait de faire sa demande en mariage. Ça dépasse le stade de la cuisine.

Un souvenir d’enfance ?

Les charbonniers, ces champignons de nos montagnes. Je me rappelle, avec mes frères et sœurs, nous étions 7, c’est des soirées en famille, où on les nettoie. C’est des soirées de rigolade et puis aller le dimanche matin en veste blanche les servir au restaurant à la louche, avec cette marinière, et voir nos clients qui se régalent.

Un conseil pour tous ces jeunes qui rêvent de se lancer en cuisine ?

Faire plaisir aux gens. Bien réfléchir avant de se lancer, je conseille de faire un stage dans une entreprise parce que la cuisine chez soi et la cuisine dans un restaurant, c’est souvent différent. On se couche en étant heureux …