Des changements, il y en a eu à l’Hostellerie Cèdre & Spa ces deux dernières années. Du côté de l’hôtel bien sûr avec la modernisation des lieux à commencer par l’accueil, la rénovation des chambres qui se poursuivra d’ailleurs cet hiver, la création d’un spa dans les anciennes caves voûtées, l’extension de la terrasse du restaurant gastronomique… C’est le renouveau insufflé par Amaury Rostagnat et Lucie Brindjonc à un établissement luxueux qui ne se veut pas guindé et cela se ressent jusqu’en cuisine. Confier à Jordan Billan la responsabilité d’être chef est un choix fort, à l’image de cette renaissance. L’implication, le dynamisme et le talent de celui qui n’a pas encore atteint la trentaine viennent renforcer l’état d’esprit familial où chacun s’épanouit tout en exécutant parfaitement sa partition.
Jordan Billan en cuisine avec toute son équipe
Jordan Billan en cuisine avec toute son équipe
© Christophe Fouquin
Jordan Billan en train de dresser le ris de veau rôti
Jordan Billan en train de dresser le ris de veau rôti
© Christophe Fouquin
Jordan Billan en cuisine
Jordan Billan en cuisine
© Christophe Fouquin

À coup sûr, la maison vigneronne de 1876 impeccablement conservée dans laquelle est niché le restaurant ne devrait pas subir de bouleversement. Et ce pour le plus grand plaisir du chef qui aime plus que tout cette authenticité, ce côté France d’antan soulignée par des nappes blanches et de la belle argenterie. Certes Jordan Billan a tous les attributs de la jeunesse mais il aime la tradition : « Elle est très importante car elle nous permet de savoir d’où l’on vient. On la retrouve dans tout, dans les recettes comme dans la technique. ». Comme il le dit souvent à ses équipes : « Avant de faire de la cuisine déstructurée, il faut savoir faire un bœuf bourguignon dans les règles de l’art. ». Formé aux côtés de Franck Schmitt et Stéphane Derbord, qui lui ont enseigné les bases de la cuisine française et le respect du terroir, Jordan Billan est entré à l’Hostellerie Cèdre & Spa sans prétention, en tant que chef de partie, à l’époque où Christophe Canati officiait encore et détenait l’étoile. Rapidement et à force de travail, il passe second sous les ordres de Christophe Ledru jusqu’à devenir chef. Une évolution au sein de la maison peut-être inspirée par sa famille : « Mes parents sont hôteliers restaurateurs depuis toujours. Mon père a exercé tous les métiers, de cuisinier à gérant, notamment de la Brasserie Georges à Lyon, il a même été sacré 2e meilleur sommelier de France. ». Discret et travailleur infatigable, Jordan Billan se trouve chanceux d’être aux manettes des cuisines du Cèdre où il a carte blanche et toute la confiance de sa hiérarchie.

Les cuisines du Cèdre à Beaune
Les cuisines du Cèdre à Beaune
© Christophe Fouquin
Jordan Billan, chef de l'Hostellerie le Cèdre
Jordan Billan, chef de l'Hostellerie le Cèdre
© Christophe Fouquin

CHEF ANTI-GASPI

Libre de choisir ses produits, il s’approvisionne directement auprès des producteurs locaux. Il en connaissait déjà certains grâce à son père qui l’emmenait depuis tout petit avec lui, les autres il est allé à leur rencontre en explorant les routes de Bourgogne. Au-delà du produit, le chef aime connaître l’histoire qui se cache derrière, celle de l’Homme qui le cultive. Un respect de la terre qui dicte des valeurs avec lesquelles il ne transige pas :« Lorsque je cuisine, rien ne doit se perdre. ». Quand il achète une viande ou un poisson, c’est en grosse pièce et il utilise tous les morceaux. Il prépare, sépare, découpe, et montre toutes les étapes à sa brigade pour leur transmettre ce savoir-faire. Puis il décline la matière brute, en cru, en cuit sublimée par différentes cuissons, en suc pour faire des jus, notamment avec la carcasse.

«Lorsque je cuisine, rien ne doit se perdre.»
Jordan Billan
Ris de veau rôti,  panais, purée de coing, jus à l’agastache
Ris de veau rôti, panais, purée de coing, jus à l’agastache
© Christophe Fouquin
Tartelette potimarron,  châtaigne, miel et tournesol
Tartelette potimarron, châtaigne, miel et tournesol
© Christophe Fouquin

Pour lui, revenir à ce que faisaient nos grands-parents est naturel, ce qui le conduit à conditionner et conserver certaines de ses préparations comme le jambon de bœuf qu’il fait sécher et qu’il garde dans le sel, les champignons en pickles ou encore la sauce tomate qu’il prépare en bocaux. Cela vaut aussi pour les légumes qu’il utilise entièrement. Malgré ses efforts, tout ce qui ne pourra pas être utilisé est composté. Une approche qui le pousse à réduire son empreinte carbone dans le même temps. S’il ne se fournit que localement ou dans le reste de la France quand il n’y a pas d’autre alternative (pour certains poissons et crustacés qu’on ne trouve pas dans nos rivières), il évite également les épices. Logique, puisque notre terroir n’en produit pas. Pour équilibrer et assaisonner ses plats, il compense avec des aromates, des plantes, des herbes et des fleurs comestibles qu’il trouve notamment chez Lamandine à Rouvres-en-Plaine. En arpentant la cuisine, personne n’est donc surpris de tomber nez à nez avec un seau de fleurs fraîches bien rempli et coloré. Dedans, on aperçoit de l’agastache au goût légèrement anisé, du tournesol, de la ciboule de Chine, du basilic sacré, de la menthe poivrée ou encore de l’hysope légèrement mentholée. Ce n’est qu’un aperçu d’une très large gamme complétée par des mini légumes en pousse du Potager des Ducs. Dans le même état d’esprit, le restaurant s’apprête à s’équiper de ses propres ruches, pour minimiser au maximum le recours au sucre raffiné et pour participer à la réintroduction des abeilles. Le chef qui aime faire des choses de ses mains n’aurait pas rechigné, bien au contraire, à faire son potager sur place mais la disposition des lieux ne le lui permet pas. On ne peut pas tout avoir ! Qu’à cela ne tienne, il fait confiance à Daniel Noël et à son potager personnel, cultivé dans la plus pure tradition, pour lui fournir ce qu’il ne peut faire pousser lui-même.

"La tradition est très importante car elle nous permet de savoir d’où l’on vient. On la retrouve dans tout, dans les recettes comme dans la technique."
Jordan Billan
Chef Jordan Billan
Chef Jordan Billan
© Christophe Fouquin
Chef Jordan Billan
Chef Jordan Billan
© Christophe Fouquin

LE GOÛT AVANT TOUT

Au-delà des considérations locales et environnementales, Jordan Billan ressent un besoin absolu de connaître et comprendre ses produits. Pour cela, il échange avec les producteurs, déguste, réfléchit, prend du temps… C’est de cette manière qu’il trouve l’inspiration : « J’ai besoin de sentir le vrai goût du produit, sans artifice ».

Non seulement parce qu’il aime valoriser le produit brut dans l’assiette mais aussi car dans son processus créatif, la mémoire gustative est primordiale. Lorsqu’il compose un plat, il se souvient. Les réunions entre amis, les vacances, les dimanches en famille, les évènements… Souvent tout cela se passe à table, bien entouré, autour d’un repas fait maison, dans l’intimité ou au restaurant.
Il se remémore les goûts et ça déclenche des émotions. C’est ce que Jordan Billan appelle le souvenir émotionnel. C’est ce qui le lie profondément à la cuisine mais c’est aussi son but lorsqu’il compose ses propres recettes.
Comme un effet madeleine de Proust, il espère que celui ou celle qui déguste se souvienne de l’instant en associant le plaisir d’un moment à des saveurs. Là encore la tradition et la mémoire jouent un rôle essentiel.
Qui n’a jamais cherché à retrouver le goût d’un plat mijoté par sa grand-mère ? D’où son plaisir à revisiter des recettes anciennes avec sa touche personnelle qui fait exploser un ensemble de saveurs en bouche. Mettre de la complexité dans la simplicité sans jamais perdre de vue que l’essentiel reste le goût.
La simplicité passe aussi par des produits élémentaires mais travaillés de telle manière que celui qui les déguste à l’impression de les redécouvrir. En utilisant moins de poisson et moins de viande (rapport à la santé et l’environnement), il remet les légumes au centre de l’assiette. Leur apport dépend de la saison tout comme leur déclinaison : croquant, fondant, cuit ou cru. C’est flagrant lorsque l’on découvre sa pomme de ris de veau rôtie estivale qui, une fois dressée dans l’assiette, ne vole pas la vedette aux artichauts, aux pommes de terre fondantes, au fenouil et au condiment de raisin qui apportent une juste touche de couleur. Un plat gourmand tout en équilibre. Une même exigence que l’on retrouve avec le tartare de boeuf charolais que l’on devine avec envie sous les touches de haricots verts croquants, les câpres, les amandes fraîches, le ketchup de cassis et la pomme soufflée surmontée d’une pointe de caviar français. Même avec son statut de restaurant gastronomique, Jordan Billan tient à maintenir un prix juste tout en intégrant ici et là quelques produits d’exception d’autant plus appréciés qu’ils ne sont pas là pour jeter de la poudre aux yeux.

"J’ai besoin de sentir le vrai goût du produit, sans artifice."
Jordan Billan
Jordan Billan aime valoriser le produit brut dans l’assiette
Jordan Billan aime valoriser le produit brut dans l’assiette
© Christophe Fouquin
Recette Jordan Billan
Recette Jordan Billan
© Christophe Fouquin

LE RAPPORT AUX AUTRES

La cuisine, ça se partage. Cela semble évident mais pour Jordan Billan, ce précepte prend une toute autre dimension. À l’entendre parler, on se rend compte que les rapports humains sont au cœur de son travail. Sa passion transmise par ses parents, ses échanges directs avec les producteurs mais aussi sa bienveillance avec sa brigade. « Je n’ai pas voulu courir les plus grandes maisons pour en arriver là car je n’aime pas la rivalité et les cuisines rythmées par les cris » explique-t-il.
Avec sa brigade, aussi jeune que lui, il discute, installe une ambiance calme sans rogner sur le dynamisme et l’exigence pour autant. Il tient à leur transmettre ce qu’il sait car, avec une générosité naturelle, ce qu’on lui a donné il le rend à son tour. Au moment d’élaborer de nouvelles recettes, chacun apporte sa pierre à l’édifice et cela donne naissance à des plats comme une pumpkin pie revisitée, accompagnée d’une douce crème glacée à la confiture de lait, inspirée par l’un des membres de la brigade originaire du Mexique. Et bien sûr, au bout de la chaîne, il y a le rapport avec les clients. Il tient à les régaler mais aussi à leur faire passer un moment dont ils se souviendront. Il lui arrive donc de laisser ses fourneaux pour venir en salle râper à la mandoline quelques tranches de truffe directement sur l’assiette ou de préparer un plat de truite ou de biche fumée en coffret qui, à l’ouverture à table, réserve un spectacle devant lequel tout le monde se retourne. Il aime à observer les réactions des clients et s’assurer qu’ils passent un bon moment. C’est sûrement une des raisons pour lesquelles, lorsqu’il lance une nouvelle carte, elle n’est pas entièrement terminée.
Elle a toujours une partie évolutive qui sera retravaillée en fonction des retours : « J’aime côtoyer des gens qui recherchent l’excellence pour me remettre en question, cela fait partie de mes valeurs. ». Les cartes sont aussi élaborées en collaboration avec Benjamin Maillet, le chef sommelier avec qui il fait des dégustations pour s’assurer de la cohérence des accords. Le tout coordonné en salle par le Maître d’hôtel Gwëndoline Baton pour qui tout est millimétré, de l’intitulé des plats et son histoire à la perfection du service. Pour Jordan Billan, la proximité avec ses équipes est primordiale. Un ensemble bien huilé, une inspiration débordante qui laissent imaginer que le chef pense à la reconquête de l’étoile perdue par l’établissement en 2015. « Jordan a trouvé son identité et s’épanouit en tant que chef. Il cherche toujours à maintenir une exigence certaine tout en se dépassant constamment. Ce serait donc une belle reconnaissance. L’étoile est un but pour lui mais pas une obsession. » confie Lucie Brindjonc, directrice générale de la maison. Sa réussite n’en serait que plus belle puisqu’il la partagerait à coup sûr avec ceux qui l’entourent. Pour l’instant, le chef est concentré sur la saison qui arrive et sur une recette qui l’inspire, le lièvre à la royale qu’il pense déjà revisiter avec une sauce cacaotée…

https://www.cedrebeaune.com/

«Je n’ai pas voulu courir les plus grandes maisons pour en arriver là car je n’aime pas la rivalité et les cuisines rythmées par les cris.»
Jordan Billan
Brigade Cèdre & Spa
Brigade Cèdre & Spa
© Christophe Fouquin
Chef Jordan Billan
Chef Jordan Billan
© Christophe Fouquin