À la manière d’un Jackson Pollock (1), Maxime Laurenson joue sa partition au Rustique, à Lyon. Celle d’une cuisine paysanne contemporaine revendiquée, brute par le choix des produits, artisane par son savoir-faire, gourmande et ludique dans sa scénarisation, étoilée en 2021.

À un jet de pierre de la place Carnot, Rustique, le restaurant du jeune chef étoilé Maxime Laurenson se niche rue d’Enghien. Simplicité voulue de la devanture, rusticité étudiée à l’intérieur. « On a créé un lieu sincère et vivant qui nous ressemble pleinement », assure celui qui a ouvert Rustique en octobre 2019 avec Hélène, sa femme, soutenus par leur ami et partenaire Jean-Philippe Durand. Le concept de menu unique en dix plats de Rustique a fait le tour de la ville et bien au-delà en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. L’adresse de ce restaurant ouvert seulement tous les soirs de la semaine, s’est répandue comme une trainée de poudre. Les vingt-deux chanceux qui s’attablent autour des plateaux de noyer veiné et empoignent l’Opinel pour savourer la cuisine inspirée de Maxime Laurenson voyageront entre Auvergne, Alpes et Rhône.

UNE BALADE PAYSANNE EN DIX PLATS
La séquence apéritive met le silure de Bresse dans tous ses états : fumé, en tarama, en bouchée charnue et fondante, excitée par l’oseille et la moutarde maison. Herbacé et long en bouche. Le chef, en quête incessante de gourmandise, crée l’évènement avec ses grenouilles : plonger sa mouillette rondouillette dans l’œuf en son nid tient de l’expérience multi sensorielle. Onctuosité, subtilité, croquant des éclats d’amande, mâche des jambonnettes des grenouilles 100% françaises de Patrice François, à Pierrelatte. On nous appelle les « froggies », non ? Fichtre, ça démarre fort ! Zoom arrière sur le beurre fumé au foin qui renvoi à l’été chez grand-mère. Comment fume-t-on du beurre ? « Avec amour », lance Maxime Laurenson dans un grand sourire. « Il y a un côté très régressif dans ce qu’on fait. Avec mes parents, on ramassait des plantes, des mûres quand j’étais gamin. On faisait des confitures, des conserves, on faisait le cochon », raconte le jeune chef, élu « Grand de demain » en 2021 par Gault et Millau.

La table de Maxime Laurenson garde tous les codes du monde rural : des goûts francs et marqués, beaucoup de vivacité. Ce qu’il retranscrit dans sa cuisine, c’est l’histoire de ce territoire, avec des produits qui ont fait son enfance. La cave de Rustique regorge des « bocaux de la patronne » : baies de sureau, bourgeons de sapin, pickles de fleurs, cerises. Le fameux biscuit de brochet, plat signature du chef, est servi avec du saké du Pilat. Utiliser les produits locaux, certes, mais sans dogmatisme, « surtout pas au détriment de la qualité », précise le chef. « Travailler avec des gens bien qui travaillent bien, c’est ma quête ».

 

UN ACCORD À SE DAMNER
La rose de betterave façon Rustique, ciselée en son écrin, renversera les sceptiques du tubercule : douceur exquise réveillée par la morsure de la neige de raifort et la petite claque de la vinaigrette de sureau. Quel équilibre, mes amis ! Promenons-nous … au bord de la rivière avec l’omble chevalier et son sabayon de fleurs des champs. À chaque bouchée, sa saveur florale qu’accompagne la cuvée l’Effrontée de Simon Gastrein, Hameau de Toucheboeuf, dans le Pilat. Beau et bon. Suivront les ris de veau, lait fumé. Sublime. Un accord à se damner, ponctué d’œufs de poisson qui explosent en bouche, nappé d’une sauce acidulée, subtile balance à l’onctuosité des ris. C’est rond, iodé, moelleux, parfumé. Un sommet de gourmandise dans la progression du menu. Un chardonnay 100% sud Bourgogne de Viré-Clissé élevé en biodynamie par Michel Guillemot, soutient le côté riche et fumé du plat. Le pigeon, breton « parce que ce sont les meilleurs, à ce jour », est au diapason : cuisson parfaite, promesse tenue d’une incursion en enfance mâtinée d’antésite, de baies de sureau confi tes, myrtilles acidulées et crispi d’épeautre. Les desserts du moment célèbrent la saison et subliment les fruits de la nature. Le tout avec beaucoup d’amour.

UN PARCOURS DE TRAVAIL ET D’ARTISAN
« La force et la vitalité qu’il y a en cuisine » ramènent Maxime Laurenson du Canada. Il a 23 ans. Michel Hulin lui ouvre les cuisines du Cabro d’Or. « Ça a été dur, mais j’ai adoré. » Dès lors, il se consacre à la haute-cuisine. « J’ai toujours travaillé avec des chefs à très fortes identités ; c’est ce qui m’intéressait ». Jean Sulpice à Val Thorens, Mathieu Vianney à La Mère Brazier, François Gagnaire au Puy en Velay, Julien Rougetot au Lancaster à Paris, puis en tant que chef à Loiseau Rive Gauche auquel il apportera sa première étoile en 2018. Un parcours de travail et d’artisan dans lequel il s’engage à 100%. Son empreinte et ses convictions signent aujourd’hui chacun de ses plats. Des gestes rejoués chaque jour avec la même précision, la même exigence pour donner du plaisir aux gens, puisant force et amour dans les yeux « vert des mers du sud » d’Hélène qui règne sur la salle. « J’ai fait ce métier pendant toutes ces années par pure passion », lance le chef. Un couple et son équipe dédiés à un concept vertueux, « différent, pour le bien-être du personnel, en étant fermés le week-end », cultivant la dimension humaine jusqu’à « créer une économie autour de nous, d’un point de vue plus social ». Rustique et éminemment sympathique.

(1) Jackson Pollock, peintre inventeur de l’expressionnisme abstrait