Il est bientôt 9h. Nous quittons le ballet incessant des voitures pour rejoindre le Bois de Boulogne, dans l’ouest parisien. Au cœur de cet écrin de verdure, nous découvrons bientôt un élégant pavillon de style Napoléon III, dressé entre les arbres et survolé par un couple d’oies sauvages. C’est dans ce lieu à part, propriété du groupe Lenôtre, que Frédéric Anton officie en tant que directeur et chef des cuisines du restaurant triplement étoilé au Michelin, le Pré Catelan.
Guidés par les premières effluves, nous le rejoignons dans les cuisines où plusieurs tabliers blancs s’affairent déjà à préparer des asperges, détailler des billes d’avocats et entamer des cuissons. Le calme n’est rompu que par le tintement familier des culs de poule, le frémissement des casseroles… et les interventions du chef. Frédéric Anton n’a pas encore revêtu sa veste qu’il a déjà un œil partout et chaperonne ceux qu’il surnomme “les enfants”. Ici, il réajuste le dressage d’un plat. Là, conseille un jeune commis. Puis s’immisce dans une dégustation d’huiles, avale une gorgée de cappuccino et immortalise une préparation avec son smartphone pour faire saliver les milliers d’abonnés de son compte Instagram. Difficile d’arrêter celui qui dirige les lieux depuis 22 ans, avec une énergie débordante. Il s’accorde tout de même une pause pour nous recevoir, à l’écart des distractions de la cuisine.
Détermination et motivation
En tête à tête, Frédéric Anton se révèle en homme réfléchi, rigoureux et déterminé, conscient de son talent, mais jamais présomptueux. Ce sont ces qualités qui lui ont permis de se faire un nom dans la gastronomie française, lui qui pourtant, adolescent, se voyait ébéniste. “J’ai toujours bricolé et je vivais dans les Vosges, au milieu de la forêt, donc le bois m’inspirait, se souvient-il. Finalement il s’oriente vers la cuisine, un métier “de débouchés”. Je n’ai pas de belle histoire avec la cuisine, reconnaît-il. Je n’ai jamais fait de gâteau avec ma mère ou ma grand-mère. Mais, en m’exerçant, je me suis vite rendu compte que finalement c’était un métier manuel, d’artisan, de transformation de matière, et cela m’a plu.” à partir de ce moment, Frédéric Anton monte “crescendo”. Il ne connaît pas encore la haute gastronomie ni les grands restaurants mais il est déjà curieux, retient les noms qui circulent dans les cuisines, comme celui de Joël Robuchon qu’il espère rencontrer un jour, et travaille sans relâche. “Je ne faisais pas de chasse à l’excellence, ça s’est fait au fur et à mesure, raconte-t-il. mais j’étais très à l’aise dans cet univers et je faisais toujours mon maximum donc j’évoluais vite”.
© Franck Juery
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7 ans aux côtés de Joël Robuchon
Au Flambard à Lille (2 étoiles Michelin), aux côtés de Robert Bardot, il s’initie à la cuisine avant-gardiste. Puis il rejoint le Domaine Les Crayères à Reims (3 étoiles Michelin) où il côtoie le luxe et retrouve une cuisine française plus classique, poussée à l’excellence. Enfin, Frédéric Anton décroche son “graal”: une place de commis chez Joël Robuchon, grâce à sa persévérance… et son écriture. “Cela faisait plusieurs années que j’écrivais à Joël Robuchon et il m’a finalement proposé de le rejoindre, explique le chef. Plus tard, il m’a révélé qu’il m’avait embauché grâce à mon écriture. Il m’a dit qu’un garçon qui écrivait de façon si appliquée et minutieuse, ne pouvait être qu’un bon cuisinier !”
Chez Joël Robuchon, Frédéric Anton gravit les échelons très vite, de chef de partie à second, puis chef avec ce qu’il appelle “des responsabilités magiques”. “La chose la plus folle était de côtoyer cet homme au quotidien, se remémore-t-il. ça ne peut être que de l’énergie, du savoir. Tu observes et tu comprends pourquoi Joël Robuchon est devenu le plus grand cuisinier du monde. Il y avait un tel dynamisme qui se dégageait, une régularité et une perfection qui était liées et qui amenaient à l’excellence.” Auprès de celui que beaucoup considèrent comme un génie de la gastronomie, Frédéric Anton progresse, en collaborateur fidèle. “J’ai découvert un cuisinier méticuleux et passionné. […] Il est l’un des trois meilleurs cuisiniers avec lesquels j’ai travaillé”, écrira Joël Robuchon en préface de l’un des livres de recettes du chef du Pré Catelan.
L’ascension du Pré Catelan
Lorsque Joël Robuchon dépose son tablier, Frédéric Anton se lance dans la grande aventure de sa carrière : la reprise du Pré Catelan. En 1997, l’établissement vient de perdre sa deuxième étoile. “Il fallait reconstruire l’identité du restaurant, pour qu’on en reparle, et dans le bon sens, se souvient le chef. J’ai donc mis en application tout ce que j’avais appris, simplement.” Une recette qui porte rapidement ses fruits : un an après l’arrivée de Frédéric Anton, le Pré Catelan confirme sa première étoile puis, en 1999, en gagne une deuxième. En parallèle, le chef réussit le concours de Meilleur Ouvrier de France. Il lui faudra à peine 10 ans pour décrocher une troisième étoile, à seulement 42 ans. “Cela fait 12 ans que nous maintenons cette troisième étoile avec mes équipes qui m’accompagnent et sont à mes côtés tous les jours, que ce soit en cuisine ou en salle, précise-t-il. Christelle Brua a par exemple travaillé avec moi pendant 16 ans [ndlr. Elle vient de quitter le Pré Catelan pour rejoindre les cuisines de l’Elysée] et mes seconds travaillent avec moi depuis 6 ou 7 ans”. Le côté familial est l’une des forces du Pré Catelan. Les membres de l’équipe de salle sont parfois là depuis plus de 15, 20 voire même 30 ans.
Une continuité qui se retrouve aussi à la carte du restaurant. Le fameux trio d’os à moelle farcis, dont la recette varie selon les saisons, y figure depuis plus de 20 ans et a toujours autant de succès. Décliner une série de plats à partir d’un même produit est devenu la marque de fabrique du chef également connu pour son crabe au curry au caviar ou sa raviole de langoustine au foie gras et sa gelée d’or. Les créations de Frédéric Anton sont très graphiques et leur structure reflète sa personnalité. Carré et impliqué, il a su donner un nouvel élan au Pré Catelan en perfectionnant sa cuisine et son style. “Je pense qu’aujourd’hui c’est un endroit magique et que nous avons réussi à en faire un lieu emblématique de la gastronomie française à Paris”, se réjouit le chef. Un avis partagé par le guide Michelin qui loue un établissement “somptueux et chargé d’histoire, mais inscrit dans notre époque”.
© Franck Juery
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