Il crée ses plats signatures en quelques minutes et parle des produits avec passion. Très structuré et méticuleux, Frédéric Anton ne s’accorde presque aucun répit dans son restaurant triplement étoilé où il vise tous les jours la perfection. Il se confie dans un salon du Pré Catelan, à quelques pas de la cuisine dont il ne s’éloigne jamais longtemps.

Quand on obtient sa troisième étoile à 42 ans, ce qui est très jeune, comment appréhende-t-on la suite ?

Il faut continuer, simplement. Ces trois étoiles c’est le graal mais a-t-on besoin d’autre chose lorsque l’on est cuisinier ? Est-ce que tu as besoin d’avoir plusieurs établissements ou tu te contentes du lieu où tu travailles et tu fais en sorte que ce soit toujours parfait ? Quand je sais qu’il y a 26 trois étoiles en France, j’ai juste besoin que mon restaurant soit reconnu et qu’il mérite ces trois étoiles. Donc je travaille, je garde cette régularité, je suis toujours à la page, dans la création et le maintien des choses. Cela fait 12 ans que j’ai ces trois étoiles Michelin et je n’ai rien eu besoin de faire de plus. En fait, je me dis que je suis à la 26ème place et je vise à être l’un des meilleurs, même s’il n’existe pas de classements parmi les trois étoiles. On me donne une distinction, dans mon établissement, et il faut que je la mérite au quotidien, 365 jours dans l’année, c’est le plus important.

Justement, qu’est ce qui fait un plat 3 étoiles ?

Ma cuisine, c’est le produit travaillé le plus simplement possible, sans le dénaturer avec mille choses. Finalement, c’est l’intention qu’on donne au produit dans sa transformation qui en fait un produit de luxe. On a fait la réputation du Pré Catelan avec une carotte confite au pain d’épices ou encore une betterave au Comté. La cuisine, c’est avant tout un produit, une cuisson et un assaisonnement. Ce n’est pas toujours du homard, du caviar et de la truffe. Bien sûr, il y a des gens qui se réfèrent à ça, mais si on met du caviar dans un plat, il faut que ce soit secondaire, comme un condiment.

Ma cuisine, c’est le produit travaillé le plus simplement possible, sans le dénaturer avec mille choses.
Frédéric Anton

Comment naissent les plats du Pré Catelan ?

Chez moi, la création est spontanée. Tous les plats qui fonctionnent ont été faits en trois minutes. Il y a une idée et après on re-travaille pour obtenir la recette finale. Je ne suis pas quelqu’un de cérébral qui va rêvasser et faire des tas de croquis, même si j’en ai beaucoup fait avant. La spontanéité de la créativité est hyper importante pour moi.

C’est de cette façon que vous avez créé, il y a 20 ans, l’os à moelle qui est toujours à la carte du Pré Catelan aujourd’hui ?

L’os à moelle est effectivement là depuis 20 ans et s’est fait en quelques secondes. Si je n’avais pas fait ce plat, je ne serai peut-être pas là aujourd’hui. Servir un os à moelle de cette façon, dans un restaurant gastronomique, ça n’avait jamais été fait. C’est un peu ma mascotte, je ne l’enlèverai jamais. L’histoire de ce plat est simple : un jour, j’ai reçu un coup de téléphone d’une journaliste gastronomique qui faisait un spécial barbecue et qui voulait que je prépare quelque chose. Je suis sorti de mon bureau – qui était tout proche des cuisines à l’époque – et il y avait des os à moelle sur la planche de travail. Je les ai pris, je les ai assaisonnés et posés sur la grillade et je me suis dis que j’allais faire un os à moelle au barbecue. J’ai pris une grosse pomme de terre épaisse que j’ai cuite sur le barbecue. Le but du jeu était de cuire cet os à moelle dans sa coque, de le renverser sur la pomme de terre et de le manger de cette façon. Ensuite, quand je me suis retrouvé avec cet os à moelle vide, j’ai eu l’idée de le tronçonner pour le farcir, selon les saisons, avec une purée de petits pois, une embeurrée de chou, des cèpes ou encore des morilles. Nous l’avons donc décliné sur les quatre saisons. C’était à la fois avant-gardiste et inédit. C’est peut-être ce qui a fait ma renommée.

D’où vous est venue l’envie de décliner un produit de différentes façons ?

Dans la vie, on peut avoir du mal avec la séparation, quel que soit le domaine. Quand on fait un plat qui est bon et parfait, pourquoi le changer ? Parce qu’on va te reprocher de ne pas faire de nouveau plat, parce que tu vas créer quelque chose de nouveau… Mais est-ce que le nouveau va être mieux que l’ancien ? C’est quand même dommage de se séparer de quelque chose qui est bien. Donc quand j’ai fait, par exemple, un plat avec cinq pièces de Saint-Jacques, au lieu de l’enlever je me suis dit que j’allais le garder avec trois pièces de Saint-Jacques et en faire un nouveau avec les deux autres. Et c’est comme ça jusqu’à avoir cinq plats avec une pièce de Saint-Jacques chacun. L’idée part d’une question : quand on se sépare de quelque chose que l’on aime, pour diverses raisons, est-ce que ça doit être banni totalement à jamais ou est-ce qu’on doit avoir des souvenirs ?

De quoi ne pouvez-vous pas vous passer en cuisine ?

Je crois que c’est le sel, parce qu’il fait tout dans la cuisine. Bien sûr à petite dose, mais un produit non salé n’a pas de goût ou du moins pas le goût que l’on souhaite lui donner. L’assaisonnement est primordial en cuisine.

Quelle est la plus grosse difficulté à laquelle vous avez dû faire face en cuisine ?

Trois semaines après ma troisième étoile en 2007, je me suis cassé les deux jambes en parachute. Je me suis fait ça le dimanche, je me suis fait opérer le lundi et le mercredi j’étais de retour en cuisine. Tout le monde m’a vu débarquer en fauteuil roulant et je leur ai dit “les gars, vous pensiez pas que j’allais rester à la maison pendant trois mois ?”. C’était très dur de se retrouver avec deux plâtres, mais j’en ai tiré beaucoup de choses.

Au Pré Catelan, vous touchez à tout et êtes très impliqué, comment vous organisez-vous ?

Je vis dans un lieu où tout doit être calé, organisé. Je fais quatre ou cinq métiers différents dans une journée : je vais être interviewé là, faire la cuisine après, partir sur un chantier, travailler sur un livre de cuisine… Je suis aussi le directeur du Pré Catelan avec le côté administratif à gérer. Je passe d’une chose à l’autre, donc il faut que je sois posé, serein et que tout soit clair. Le week-end, je profite, je vais au restaurant, je vois mes amis, je me ressource, mais la semaine, j’ai une vie saine, je ne fais pas d’écart et je suis quelqu’un de très structuré. C’est très important pour moi de me reposer pour aborder chaque journée sereinement.

Vous avez écrit 9 livres de cuisine. Dans quel but ?

Au départ, j’estimais que faire un livre était prétentieux. Pour en écrire un, il faut transmettre un savoir et pas le faire n’importe comment dans le but de faire du business. Donc ce n’était pas intéressant pour moi jusqu’au jour où j’ai trouvé les bonnes personnes, où j’avais la matière qu’il fallait. Je voulais faire quelque chose d’intelligent donc on a fait une collection avec des thèmes, des produits déclinés de 100 façons différentes. Pour moi, c’est plus de la transmission qu’autre chose. On le sait tous, quand tu as tout payé, les produits etc. sur un livre de cuisine tu ne gagnes pas d’argent. C’est bien sûr aussi de la communication.