© Arnaud Dauphin Photographie
Après Salvador Dali, Yves Montand ou encore Gérard Depardieu, c’est désormais à mon tour de me rendre dans ce lieu de légende. Situé à mi-chemin entre Paris et Lyon, mon road trip commence. En ce début octobre, le soleil pointe encore le bout de son nez mais le mercure, lui, ne trompe pas. Le tableau de bord affiche 4°C. Pas étonnant que les charolaises soient restées à l’étable. Petit à petit, les sapinières remplacent les vertes prairies. Ici, pas de doute, le conifère est véritablement le roi des forêts. Bienvenue dans le Morvan, celui que l’on surnomme aisément le « petit Canada ». C’est dans cet environnement préservé que Bernard Loiseau a échafaudé sa cabane du bonheur il y a quarante ans. Cet Auvergnat d’origine ardéchoise qui a régalé le Tout-Paris lorsqu’il faisait ses classes à La Barrière Poquelin ne quittera plus la Bourgogne. S’il accueille chez lui le gratin mondial, ce sera aussi l’un des premiers à rentrer dans le cœur et la cuisine des Français. Malin et précurseur, il a toujours un coup d’avance. Aussi bien reconnu par ses pairs (19,5/20 et 4 Toques au Gault & Millau en 1990, trois étoiles au Guide Michelin en 1991) que par monsieur et madame tout le monde – en entrant au Musée Grévin et en faisant coter son affaire en bourse -, il disparaît au sommet de sa gloire. « Bernard avait totalement envoûté les gens. Certaines personnes m’en parlaient comme s’il était l’un de leurs amis alors même qu’ils ne l’avaient jamais vu », nous confie son épouse Dominique Loiseau, actuelle présidente du groupe Bernard Loiseau. Comme toutes les rock stars, il connaîtra un destin tragique. En février 2003, Loiseau quitte son nid et décide de rejoindre le ciel. Une page se tourne à la Côte d’Or qui devient désormais le Relais Bernard Loiseau, rebaptisé par sa femme.
Passage à témoin
Née à la fi n des années 80, c’est à ce moment-là que je fais la connaissance de ce personnage qui a les yeux pétillants et le sourire franc. À mon arrivée chez lui, impossible de ne pas saluer son portrait qui trône, tel le gardien des lieux, au-dessus de la réception. Si ses initiales sont gravées du sol au plafond, pour le reste, Bernard Loiseau a bel et bien passé le témoin. Pour s’en rendre compte, c’est en cuisine qu’il faut se rendre. Allure impeccable, regard concentré, rasage millimétré, Patrick Bertron a tous les attributs du mec bien. « Bernard avait bien conscience que ce garçon était l’opposé de lui mais, c’était nécessaire pour que ce binôme puisse fonctionner. C’est quelqu’un de très fidèle et d’observateur qui connaissait bien sa philosophie et sa manière de travailler », précise Dominique Loiseau. Tout comme son mentor, Patrick Bertron a fait de la Bourgogne sa terre d’adoption. Breton et fi er de l’être, il quitte ses racines sur un coup de tête. Après plusieurs mois de service militaire et une première expérience chez Marc Tison, au restaurant du Palais à Rennes, il n’a qu’un seul objectif en tête : continuer sa route dans les cuisines des grands chefs. Bernard Loiseau sera le premier à répondre à sa candidature par courrier. Il ne lui en faudra pas plus pour parcourir sur le dos de sa rugissante bécane les six cents kilomètres qui le séparent de Saulieu. À son arrivée, c’est le choc des cultures. Ici, pas de mer ni de paquebots, de coquillages ni de crustacés. « Les premiers jours, je ne savais pas que le beurre doux existait », avoue-t-il.
© Arnaud Dauphin Photographie
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Le goût, une obsession
À ses côtés pendant vingt et un ans, Patrick Bertron prendra le temps d’apprivoiser celui qui était parfois indomptable : « Bernard était quelqu’un de très anxieux qui avait besoin d’être rassuré. Soit il était inquiet, soit il était très speed. Je pensais que c’était son caractère mais maintenant, j’ai compris qu’il était bipolaire » (Dominique Loiseau). Malgré cela, il possédait aussi un grand nombre de qualités, à commencer par son engouement pour une nouvelle cuisine, plus légère et surtout, plus goûteuse. « Pour lui, le goût était primordial. Le dressage dans l’assiette, il s’en fichait ! » (Patrick Bertron). Initiateur du déglaçage à l’eau pour récupérer les sucs qui se sont glissés au fond de la poêle au début des années 80, il crée une mini-révolution à une époque où les cuissons sont longues, riches en beurre et en crème. « La meilleure astuce pour conserver le goût d’un produit, c’est de ne pas le dénaturer. Des fonds réalisés avec des carcasses et une garniture aromatique, on est passé à des sauces où l’on colorait les viandes comme si l’on démarrait un sauté. Et si l’on veut rajouter une garniture, il faut l’inclure lorsque la base est maîtrisée. C’est de cette manière que l’on conserve le goût primaire. » (Patrick Bertron)
Bertron quitte le nid
À cette gastronomie qui respecte la règle des trois ingrédients-trois saveurs, il a ajouté sa patte, celle d’une cuisine du moment, gourmande, vive et généreuse. « Monsieur Loiseau avait une vision de la cuisine beaucoup plus brute que la mienne. J’aime sentir une subtilité, qu’il s’agisse d’une herbe ou d’une épice. Pour moi, c’est ce qui apporte la gourmandise, l’envie de goûter ». Aux côtés des escargots gros gris de Bourgogne cuisinés dans un tempura d’ache des montagnes et de la poitrine de pigeon de Mesquer, jus aux arômes de pain d’épice, un vent d’Armorique souffle dans nos assiettes. Les huîtres Belon à l’étuvée, jus marin, concombre et tapioca comme un risotto s’offrent en prémices. S’ensuivront, un turbot de pêche du Guilvinec et son sabayon à la mélisse, embeurrée de pommes de terre et un homard bleu des casiers de Penmarch accompagné d’une bisque au cidre et de rutabaga à la pomme. Attaché à ses racines, le chef n’en délaisse pas pour autant sa terre d’adoption en proposant l’un des fleurons de la Bourgogne, le bœuf de Charolles AOP cuit au foin du Morvan et enveloppé dans une terrine en croûte d’argile de l’Auxois, devenu son plat signature. Dans cette recette, on retrouve les parfums de sous-bois qui guident ses promenades en vélo dans les sentiers alentours.
© Photo le Relais Bernard Loiseau
© Photo le Relais Bernard Loiseau
L’avenir c’est aujourd’hui
Si aujourd’hui, la quasi-majorité de la carte est signée par le chef breton, les jambonnettes de grenouilles à la purée d’ail, le sandre et sa fondue d’échalote ainsi que le blanc de volaille fermière, son foie gras de canard poêlé et sa purée de pommes de terre truffée semblent rester fi gés dans le temps. Que l’on souhaite faire revivre le passé ou amorcer le futur en exposant une cuisine d’auteur, Patrick Bertron et Dominique Loiseau sont unanimes sur l’avenir qu’ils ambitionnent pour le Relais Bernard Loiseau. Ils comptent bien récupérer l’étoile que Bibendum leur a fauchée lors de sa tournée l’année dernière. « Le Relais Bernard Loiseau sait rebondir. Pour diverses raisons, on a été plusieurs fois contraints de tourner la page pour en commencer une autre. C’est ce qui a été le cas en 2016 et, comme un chef qui vient d’avoir deux étoiles, je compte bien tout faire pour décrocher la troisième. » (Patrick Bertron). Pour Dominique Loiseau et sa directrice générale Ahlame Buisard, le Relais entre aussi dans une nouvelle dimension. Avec un nouveau spa et une nouvelle table à la clé pour le printemps 2017, avec un budget total de six millions d’euros, elle compte bien séduire la génération Y et montrer à tous que le Relais Bernard Loiseau est plus vivant que jamais.
2 rue Argentine
21210 Saulieu
03 80 90 53 53
http://www.bernard-loiseau.com