Cosy et chaleureuse, c’est dans la bibliothèque du Relais Bernard Loiseau** que je me prépare à cuisiner notre hôte. Face à l’échiquier qui sépare nos deux fauteuils, tous les coups sont permis. A la place des pions, ce sont les paroles qui s’entrechoquent. Pour avoir un coup d’avance, il faudra jouer franc-jeu !

C.R. | Que fait-on à Saulieu par une journée d’automne ?

Patrick Bertron | On savoure la nature ! L’automne est une saison magnifique avec ses odeurs et ses couleurs que l’on peut apprécier lors d’une promenade en vélo. Il n’y a rien de plus vivifiant pour le corps et l’esprit.

C.R. | Même lorsqu’il fait 4 °C comme aujourd’hui…

P.B. | Il suffit juste d’enfiler un gros pull bien douillet ou si vous êtes frileuse, je vous proposerais alors d’allumer un feu et pourquoi pas, d’entamer une partie d’échecs.

C.R. | Dès les premières minutes où l’on vous rencontre, vous dégagez cette impression d’être un mec bien. Il vous est déjà arrivé de jouer les Bad boy ?

P.B. | Il ne m’est jamais arrivé de jouer les Bad boy mais d’en être un, c’est possible !(rires) Un jour, il m’est arrivé d’envoyer une cocotte vide en salle pour faire une blague à l’un de nos chef de rang. Bien sûr, je n’avais pas mis la volaille à l’intérieur, j’imagine sa tête en salle !

C.R. | Vous faire tatouer ou avoir un piercing à l’oreille, vous y avez déjà pensé ?

P.B. | Jamais ! Certains penseront que je suis peut-être « has been » mais j’aime avoir les cheveux bien coiffés, propres et bien coupés. Je suis un peu moins intransigeant sur la barbe rase le matin mais le piercing et le tatouage, je ne suis pas encore prêt. Ce qui ne veut pas dire que quelqu’un de tatoué ou de percé fera mal son travail mais c’est ma perception du savoir être.

Relais Bernard Loiseau
© Arnaud Dauphin Photographie

C.R. | Pendant vingt-et-un ans, vous avez été le binôme de Bernard Loiseau. Que retenez-vous du chef ?

P.B. | Son obsession pour le goût et cette cuisine épurée. Lorsqu’il voulait montrer qu’il avait raison, il avait toujours ce tic en cuisine de vouloir mettre le produit en question dans la bouche des gens. C’était quelque chose dont j’avais horreur ! Il me disait alors : « quoi, tu as peur ? ». Au final, je le mangeais quand même mais je le prenais moi-même.

C.R. | Et de l’homme…

P.B. | Un vrai boulimique de travail, il n’y avait que ça qui comptait pour lui. Il voulait toujours nous emmener plus loin que ce que l’on imaginait en partageant sa passion dès qu’il le pouvait. On parlait aussi beaucoup de sport, une passion que nous avions en commun. Lui aimait le football, le tennis et la pétanque et moi, je suis un féru de vélo.

C.R. | Après plus de trois décennies passées dans la maison de Bernard Loiseau, on pourrait presque vous considérer comme un membre de la famille finalement ?

P.B. | De la famille, je ne sais pas, mais il est évident qu’au fil des années, le Relais est aussi devenu ma maison. Je ferais presque parti des murs ! (rires)

En coulisse, les casseroles révèlent une cuisine vive et généreuse.
© Arnaud Dauphin Photographie

C.R. | Le 1er février 2016, la terre gronde à Saulieu. Bibendum vous chipe une étoile. Pensez-vous qu’il faille écouter les critiques pour avancer ?

P.B. | Oui il le faut, sinon, on s’enferme dans une bulle et ce n’est jamais bon. À nous, ensuite, de prendre les bonnes décisions pour bousculer l’échiquier. Notre maison à cette force de savoir rebondir, de fermer un livre pour en ouvrir un nouveau. Aujourd’hui, il ne suffit plus simplement de corriger un assaisonnement ou une cuisson pour faire la différence. La cuisine d’un chef trois étoiles doit être celle d’un créateur qui met sa personnalité dans ses recettes et qui le crie, haut et fort.

C.R. | Vous êtes justement un grand timide. Ne pensez-vous pas que pour aller reconquérir cette 3ème étoile, il va falloir forcer votre nature ?

P.B. | Oui en effet, ce n’est pas ma nature de me mettre en avant. Je suis gêné lorsque l’attention est focalisée sur moi surtout lorsqu’il y a toute une équipe derrière. En revanche, dans l’assiette, j’exprime qui je suis, mais le reste ne dépend pas de moi.

C.R. | Contrairement à Bernard Loiseau, j’ai l’impression que vous avez un peu la main lourde sur le beurre ?

P.B. | Le beurre apporte la caramélisation, le goût. Je serais du sud, ce serait l’huile d’olive ! C’est le gras qui va capter les saveurs et va venir patiner les papilles.

Le Relais est aussi devenu ma maison. Je ferais presque parti des murs !
Patrick Bertron

C.R. | J’associe souvent la gastronomie à la haute-couture pour son caractère innovant. Et pour moi, la cuisine au beurre, c’est la cuisine d’hier, non ?

P.B. | Le beurre est présent pour réaliser une cuisson, démarrer une sauce, faire rissoler une garniture de légumes mais, nous ne faisons pas de sauce au beurre comme à l’époque. Sans matière grasse, vous ne pouvez pas prendre les sucs de cuisson. Lorsque vous venez nourrir une viande ou un poisson, vous l’arroser mais le beurre ne s’imbibe pas dans les chairs. Il vient simplement apporter un petit goût de noisette.

C.R. | On entend souvent nos aînés dire que c’était mieux avant. Est-ce votre cas pour la gastronomie française ?

P.B. | J’aime la diversité et je suis heureux que, grâce à certains chefs, elle puisse avancer mais j’apprécie aussi de pouvoir goûter la cuisine qui se faisait avant. La gastronomie révèle une identité à travers un produit et puis, c’est aussi la pertinence et la précision d’une réalisation dans une assiette. Il ne s’agit pas de mettre de la poudre de perlimpinpin pour faire des choses solides qui ne devraient pas l’être. Ça, c’est selon moi, l’expression graphique de quelque chose, comme dans l’art.

C.R. | Si vous deviez faire la couverture d’un grand journal hebdomadaire pour défendre le Made in France. Vous poseriez en marinière ?

P.B. | Si je suis sur un bateau de pêche, ce serait fort probable. Et si j’ai le droit à une seconde photo, je choisirai l’emblème de ma région d’adoption, le bœuf de Charolles AOP.

C.R. | Si Monsieur Loiseau était encore parmi nous et qu’il venait dîner au restaurant. Que lui cuisineriez-vous ?

P.B. | Je commencerais le repas avec des huîtres parce qu’il adorait l’iode. Je poursuivrais avec une assiette de cèpes et de lard Colonata qu’il adorait poser dessus. Je continuerais ensuite avec un dos de brochet sauce pochouse à l’oseille puis, un lièvre à la royale ou une belle pièce de bœuf maturé. Enfin, je terminerais par son Saint-Honoré que je lui servirais à l’identique pour lui montrer que l’on ne l’a pas oublié.

C.R. | Enfin, à 54 ans, vous allez bientôt passer le témoin à votre tour…

P.B. | Oui, ma vie professionnelle aura forcément une fi n. Après, est-ce que ce sera dans sept ou dans dix ans, je ne sais pas !

C.R. | Qu’est-ce qui pourrait vous faire rester plus longtemps, une troisième étoile ?

P.B. | Certainement ! (rires)