Perchée à flanc de coteau à Jongieux, il est une petite maison des vignes qui cache bien son jeu. Aux Morainières, table doublement étoilée depuis 2012, Michaël et Ingrid Arnoult réservent des trésors de gourmandise et de sérénité à qui veut bien se donner la peine de grimper jusque-là.

Au cœur de « L’Avant Pays Savoyard », loin du fracas des stations huppées de Savoie, à deux pas des lacs du Bourget et du Léman, Les Morainières distillent leurs charmes : la vue renversante sur les méandres du Rhône en contrebas, les vignes à perte de vue, le calme absolu et l’excellence de la table. Ingrid et Michaël Arnoult s’y sont installés en 2005, après avoir mis leurs savoirs faire au service d’Emmanuel Renaut au Flocon de Sel à Megève. Depuis, la Savoie coule dans les veines de Michaël Arnoult qui sublime les produits du terroir. Les Morainières, c’est l’adresse qui se transmet de bouche à oreille. Un deux étoiles quasi confidentiel, complet à plus de 95%.

DÉCONNEXION ASSURÉE
« Quand on arrive aux Morainières, il faut que ce soit la pleine surprise. Et ça fonctionne. Les nouveaux clients se disent, c’est quoi cette petite bicoque ; on s’est trompés d’adresse ? Et quand ils découvrent la salle, ils sont prêts : on les a embarqués pour la suite. » Loin du bruit de la médiatisation, ce passionné discret construit pas à pas sa légende. Très attaché « à faire bien, à creuser toujours dans l’identité » qui est la sienne, il s’appuie sur une équipe recrutée avec patience. « Un jeune qu’on secouait avant, aujourd’hui, on doit le porter, le valoriser : à partir de là, il va faire des choses superbes. »

RESTITUER CE LIEN AFFECTIF AVEC LE PRODUIT
La cuisine et la salle sont au diapason : élégance et raffinement insoupçonnés vus de l’extérieur, modernité et authenticité. « Faire de la bonne cuisine, c’est facile si on s’entraîne ; au fil du temps, on y arrive. Faire SA cuisine, c’est pas pareil », souligne le chef. Sa cuisine, Michaël Arnoult soutient qu’elle se construit dans ce qui se passe autour de lui, nait de « ces rencontres qui vous enrichissent, vous font penser différemment, créent ce lien affectif avec le produit. Amener cet affectif-là jusqu’au client; si on y arrive, c’est gagné ».

UN CLIN D’ŒIL AUX ORIGINES DU CHEF
Les bouchées à la truite de Chamousset polenta, à la perche du Bourget, œufs de brochet accompagnées du fameux Marestel, vin blanc d’appellation Roussette de Savoie Marestel, millésime 2018, frais et fruité, ouvrent le bal. Autour des ravioles de céleri, le bouillon d’eau de céleri fait de l’œil au gras de canard et truffe. « On est très orientés poissons. Ici, pas de carte, pas de menu. Il y a deux prix, ça se limite à ça en termes de choix. » Michaël Arnoult invite à la confiance. On ne le regrettera pas. « Ma trame, c’est ce que m’apportent les pêcheurs, le maraîcher qui m’indique le meilleur en ce moment. » L’omble chevalier fumé aux sarments de vigne, carotte et cumin des prés est un ravissement. Le dressage est délicat, inédit. Le caviar de Sologne, choux fleur, bergamote et cette sauce à l’oseille des bois dont on ne laisse rien est un clin d’œil aux origines du chef. Finesse et équilibre comme le ballet feutré du service.

Michaël Arnoult

ARRÊTER D’ÉPUISER LES RESSOURCES
Suavité et pointe d’amertume se répondent avec la petite quenelle laquée d’un barbot pêché, là, dans le Rhône, et sa sculpturale fleur de choux de Bruxelles. Le barbot, un poisson que le chef est le seul à prendre. « Parce que oui, il faut arrêter d’épuiser les ressources, de se battre pour de la fera ; il faut se bousculer un peu, chercher d’autres solutions, affirme-t-il . La cuisine de terroir, on peut la moderniser, faire redécouvrir des produits oubliés. » Selon la saison, le dos de chevreuil, les pigeons de Bresse ou l’agneau de lait des alpes du sud seront sublimés en cuisine où l’on travaille en musique. « Ici pas de bruit. Chacun sait ce qu’il a à faire. Les échanges vont à l’essentiel. » Et l’on comprend pourquoi le chef ne peut enlever les ris de veau de lait, juste dorés sous leur voile de lard de colonata : « les gens se déplacent pour ça ». Et « pour ne pas dominer les ris de veaux », Daphnée la sommelière conseille les notes de fruits rouges d’un Marsannay, cuvée La Longeroise, 2019.

Michaël Arnoult
Michaël Arnoult

UNE PETITE MAISON QUI CULTIVE SON INDÉPENDANCE
Joyeux comme un cocon de soie jaune vif, le pré-dessert étonne avant que n’explose en bouche la subtilité d’une mousse au citron, les saveurs résineuses du sapin, la douceur du miel de montagne. Le dessert « local, 100% lait biologique de la ferme voisine » est une folie de légèreté régressive. Une troisième étoile ? « On est déjà bien avec deux, sourit Ingrid Arnoult. Si ça arrive, tant mieux. Elle récompenserait ce que l’on fait déjà. Il n’y aurait pas de changements spécifiques ; on est une petite maison indépendante. La régularité, c’est le plus difficile à tenir. On se bat chaque jour pour ça ».

Depuis 2019, Ingrid et Michaël Arnoult ont ouvert la Maison des Morainières. Six très belles chambres designées par Jade Pernoux, une vaste cuisine pour les petits déjeuners et une piscine dominent la ferme des Crènes dans le village de Saint Pierre de Curtille à quelques kilomètres du restaurant. Une navette fait les liaisons à la demande des clients.