Le chef du Château de Saulon électrise sa cuisine d’une idée dans l’air du temps : travailler à partir des produits du potager de l’établissement. En lien avec le jardinier, l’identité très personnelle qu’il donne au nouveau restaurant gastronomique comme au bistrot se charge de son histoire comme de l’amour de la terre.

La vue offerte depuis les cuisines tout juste rénovées du Château de Saulon offre d’un seul coup d’œil une lecture plutôt fidèle de la volonté des propriétaires. Au bout d’un chemin blanc, le château de style renaissance apparaît comme un trésor en pleine nature. Cerclé de part et d’autre par les deux cours d’une rivière, enveloppée d’arbres majestueux, l’établissement quatre étoiles classé à l’inventaire des Monuments historiques dispose aussi depuis l’an dernier, de son propre potager. Situé sous les fenêtres de la cuisine, à hauteur d’yeux de la brigade de Mohamed Henni. L’emplacement n’a évidemment rien d’un hasard.

 

« La volonté de Thierry Goux, le propriétaire, était d’aller plus loin dans la démarche de circuit-court »

 

« A mon arrivée en juin 2018, j’étais déjà dans cette optique. J’ai rencontré Maxime le jardinier, on a tout de suite été sur la même longueur d’onde avec la même logique de travail. »

Château de Saulon
Château de Saulon
© Christophe Fouquin
Château de Saulon
Château de Saulon
© Christophe Fouquin
La brigade du Château de Saulon
La brigade du Château de Saulon
© Christophe Fouquin

Auto-production

C’est ce binôme d’un genre nouveau qui fonde aujourd’hui le socle des Deux-Rivières, l’identité culinaire du château. Avant de réfléchir à la carte et aux plats, Mohamed Henni a d’abord dû se demander ce qu’il voulait planter dans le potager. Semant ainsi les prémisses de l’entité des restaurants, le château ayant ouvert mi-novembre une table gastronomique. « J’avais carte blanche pour créer mes recettes, et les produits à disposition. Se servir de ce qui m’entoure et le sublimer, c’est ça aussi respecter le produit et plus largement la nature ». Le potager compte bien sûr tous les légumes dont le chef a besoin mais aussi une variété foisonnante d’herbes et aromates : tagette, mélisse, fenouil bronze apportent ainsi le relief recherché par Mohamed Henni. Les légumes du château alimentent ainsi 40% du besoin en cuisine, avec une ligne de conduite très engagée : « Nous utilisons chaque produit, que ce soit pour le restaurant gastronomique, le bistronomique ou la partie évènementielle », appuie Mohamed Henni. Les fonds, fumés, bouillons agrémentent les recettes en même temps qu’ils participent à réduire l’empreinte carbone. « Mon marché, je le fais chaque matin sous les fenêtres de la cuisine. On produit et on valorise sur place dans le respect de l’environnement ». Cette démarche responsable devrait prendre une nouvelle dimension dès l’an prochain : le château envisage de doubler la production du potager. Mais il prévoit aussi d’y installer quelques poules – la déchetterie écologique par excellence – ainsi qu’une pisciculture dans le cours d’eau. Ecrevisses, truites sont aussi attendues impatiemment dans l’étang situé tout au fond du jardin.

Ma cuisine ne rentre pas dans une case : elle connecte mes origines à l’endroit où je me situe
Mohamed Henni
Mohamed Henni
Mohamed Henni
© Christophe Fouquin
Mohamed Henni
Mohamed Henni
© Christophe Fouquin

Trois-en-un

De quoi démultiplier le champ des possibles pour Mohamed Henni. Que ce soit pour le restaurant gastronomique fraîchement ouvert comme pour le bistronomique et l’Orangerie, qui accueille mariages, séminaires et autres évènements de groupes. « Nous avons trois entités bien distinctes admet le chef, mais les process, les techniques, le message sont similaires. Il n’est pas question de strates, mais de proposer une expérience différente ». Et puisque tout doit partir du produit, point de menu à la table gastronomique, mais une découverte, une « Traversée », une « Odyssée » dans lesquelles Mohamed Henni dispose d’une liberté presque sans limite. « L’autre jour, Maxime notre jardinier me dit que les blettes vont être mûres. Notre travail est de nous adapter et d’utiliser le produit quand il est le meilleur. Pour créer mes recettes, je pars de là ; je prends l’identité de tout ce qui m’entoure : ensuite, j’agis un peu comme un filtre et je renvoie dans l’assiette, une interprétation de ce que j’ai senti ». En cuisine, l’ambiance, décomplexée, rigolarde, tranche presque avec la rigueur des recettes, la précision de la mise en scène. Mohamed Henni, 32 ans seulement, laisse toute liberté de création à sa brigade. Simon, le chef pâtissier arrivé juste avant l’ouverture du restaurant gastronomique a déjà ses habitudes : avant de créer un nouveau dessert, il file au jardin pour sa cueillette d’idées. Mohamed Henni approuve : « il n’est pas question d’enfermer l’équipe dans des fiches techniques. Pour qu’une recette raconte quelque chose, on doit y mettre à chaque fois un peu de nous-même. »

Sa bonne adresse
Chez Régis Marcon, l’endroit où je voudrais emmener mon épouse à Noël. J’adore son travail autour du champignon, c’est un produit que j’aime personnellement cueillir et cuisiner.
Dorade sauvage
Dorade sauvage
© Christophe Fouquin
Pigeon, céleri et truffe d’hiver
Pigeon, céleri et truffe d’hiver
© Christophe Fouquin

Racines méditerranéennes

Le soi-même de Mohamed Henni est riche d’enseignement. La cuisine coule dans les veines de cet Algérien exilé en France alors qu’il n’était qu’un petit garçon. « Mon grand-père a été directeur d’hôtel, responsable d’une école hôtelière en Algérie. Aujourd’hui à 85 ans, il continue de tenir son restaurant à la Française », admire le chef. « C’est sa grand-mère qui lui donne envie de faire de la cuisine. « A 5 ans, elle me faisait rectifier l’assaisonnement d’une soupe ». Lorsque la famille arrive en France, Mohamed Henni continue de baigner dans la cuisine. « Mes grands-parents m’ont donné l’amour de la table mais c’est ma sœur qui m’a donné envie de faire de la cuisine quand elle est entrée à l’école hôtelière et que j’ai vu ses premières tenues de cuisine, sa première mallette, ses livres ». Les recettes du chef des Deux-Rivières sont évidemment teintées de cette culture méditerranéenne, de ses poivres et épices qu’il affectionne. Mais de son présent aussi. Sa femme, Ukranienne, lui a fait découvrir les techniques de conservations et de fermentations slaves, voilà qui apporte une nouvelle dimension au potager du château. Ajoutez-y un peu d’Alsace, la terre d’accueil du chef, saupoudrez de saveurs bourguignonnes et vous obtiendrez la parfaite définition de la cuisine de Mohamed Henni : celle qui ne rentre dans aucune case. « Je fais, illustre Mohamed Henni, une cuisine d’équilibre, connectée à mes origines comme au territoire qui m’entoure. » Dans l’assiette, le pigeon – le produit préféré de Mohamed Henni – se cuit en deux façons : sur le coffre pour garder le côté juteux et rosé tandis que les cuisses, confites longuement dans une graisse de foie gras. Le butternut et les courges, en abondance cette année dans le potager, se fondent dans un velouté avec une crème montée à la châtaigne et des graines de courges soufflées pour le restaurant bistronomique. Elles se déclinent en purée muscovado pour la partie gastronomique. Un produit, deux interprétations. Mais surtout, pas d’étiquette. Adepte des vieux documentaires sur Bocuse, admiratif d’un Pierre Gagnaire comme d’un Daniel Humm pour ses accords entre le végétal et l’animal, ce passionné de vin puise dans son vécu pour progresser. Dès sa première expérience gastronomique chez L’Agneau, près de Strasbourg, il se reconnaît dans le sens de la rigueur et le travail, difficile, mais motivant. Aux côtés de Steve Schmidt, au Kempferhof, en terres alsaciennes toujours, il affine sa technique. A Grignan, au Clair de la Plume, il part à la conquête d’une étoile Michelin. Avec Fabien Beaufour au Domaine des Etangs entre Limoges et Angoulême, il développe une approche très intéressante de la cuisine pour l’évènementiel haut de gamme. A la lecture de son parcours, on comprend que le Château de Saulon était pour lui une évidence : « c’est comme si tout s’articulait. Être ici, c’est comme être à la maison », apprécie le chef. Une cohérence entre l’établissement, les plats, le parcours de l’homme : le court-circuit Mohamed Henni semble avoir trouvé le bon courant.

Château de Saulon - la salle du restaurant
Château de Saulon - la salle du restaurant
© Christophe Fouquin
Château de Saulon - la salle du restaurant
Château de Saulon - la salle du restaurant
© Christophe Fouquin

Château de famille

L’ambiance qui règne au Château de Saulon-la-Rue a ce quelque chose qui transporte dans une autre époque : la belle époque, celle des jardins à la Française de Le Nôtre, des parures de dames, d’un endroit où le temps s’arrête. Ici, dans cette douceur de vivre ouatée, on savoure la balade le long de la rivière, on s’attarde en terrasse, on se retrouve en famille dans la toute nouvelle Orangerie. L’embellissement des lieux participent à cette nouvelle atmosphère. Arès deux ans de métamorphose par le propriétaire Thierry Goux, président de Rinck Group, une holding prestigieuse d’architecture intérieure et d’ateliers de fabrication, l’établissement quatre étoiles est davantage ouvert sur le village. « Les propriétaires voulaient faire de l’endroit un lieu d’animation, que tout le monde puisse s’approprier », confie Christian Baudry, le directeur d’exploitation. En plus de l’ouverture du restaurant gastronomique, le château de Saulon a construit une orangerie remarquable de 450 m2 avec vue imprenable, dédiée aux réceptions privées comme aux rencontres business. Le lieu, qui offre une carte postale majestueuse du château est également le théâtre de brunchs le week-end : une bulle pour venir se ressourcer le dimanche en famille, avec animations pour les enfants à la clé.