À la veille des fêtes, Gérald Passédat (Le Petit Nice***, Marseille) met le feu aux poudres. Au bord de la mer Méditerranée, le capiston compte bien faire du poisson fumé la star de l’hiver. Face au saumon du nord de l’Europe, il dégaine dorade, seiche et langoustine pêchées au pied de son rocher.
Face au château d’If, Gérald Passédat est lui aussi à la tête d’une véritable forteresse. Sur son rocher, le chef triplement étoilé jouit d’un spectacle bien huilé. Sous ses yeux, il profite d’un décor digne d’une scène de cinéma, à faire pâlir d’envie l’un des personnages de la célèbre trilogie marseillaise de Marcel Pagnol. Comme Marius, le gamin du cru est happé par la grande Bleue qui borde la maison qui l’a vu grandir. S’il sillonne les profondeurs de la mer Méditerranée depuis son plus jeune âge, le chef phocéen aura besoin d’un déclic pour transposer ses plus belles découvertes marines dans les assiettes de ses convives. « Un jour, je me suis aperçu que j’avais la Méditerranée à mes pieds. Nous sommes une région “du peu” et il était logique que je choisisse le potager marin pour animer ma cuisine. Accrochée dans mon bureau, il y a une maxime que je retiens, on met longtemps à voir ce que l’on a sous les yeux. » S’il aime redonner un nouveau souffle à une série de poissons oubliés tels que le chambris, le beaux-yeux, le canthe ou le fielas, il s’attelle aussi, depuis peu, à relancer l’art du fumage. Utilisé autrefois par les adeptes de la cuisine crétoise pour conserver le poisson lors de son voyage, il compte bien, quant à lui, proposer de nouvelles créations, qui contribueront à faire de sa cuisine l’expérience la plus singulière possible.

Au Petit Nice, vous cuisinez le poisson de mille et une façons. Comment l’idée de le fumer vous-même est-elle venue ?

Gérald Passédat : C’est en lisant des livres antiques sur le régime crétois que je me suis aperçu que nos ancêtres utilisaient cette méthode pour conserver le poisson lorsqu’ils étaient amenés à voyager.

Lorsqu’on évoque le fumage, on pense d’abord au jambon de Parme ou à la pancetta. Rapporter cette technique de fumage au poisson est-elle un clin d’œil à vos origines italiennes ?

Oui, en effet, ma famille est originaire de Rapallo, une ville portuaire située dans la province de Gênes en Ligurie. Ils ont de très belles gamberoni rosso mais, en revanche, je n’y ai jamais vu de poisson fumé. J’aime utiliser la cuisine pour révéler des goûts qui ne sont pas encore – ou plus – d’actualité, même si ce fut le cas durant le siècle dernier.

Quand on parle « poissons fumés », on pense forcément à ces deux stars, le saumon et la truite. Est-ce possible d’en trouver à la table de Gérald Passédat ?

Jamais, et ce tant qu’ils ne viendront pas se balader dans nos eaux. J’aime surprendre ! Dans notre recette de carpaccio de turbot et de seiche, ce n’est pas le turbot qui est fumé, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Rien ne m’empêche non plus de fumer une langoustine semi-cuite avec une branche de thym et de sarriette juste avant de l’envoyer en salle. Tout dépend de la définition que l’on donne au fumage.

Certains poissons se prêtent-ils mieux à l’exercice que d’autres ?

Il est forcément plus facile de s’attaquer au fumage d’un poisson gras parce qu’il accepte tout. Parmi les soixante-cinq espèces que nous cuisinons chaque année, certains crustacés et mollusques se prêtent facilement au jeu. Ce qui est le cas de la seiche, à la chair très dense et sèche comme son nom l’indique. Pour cela, on commence par la faire sécher à la verticale, suspendue à une ficelle dans une pièce à température ambiante, puis on la met dans notre fumoir, très peu de temps avant de la couper en fines lamelles.

 » Un jour, j’ai servi un loup fumé à Roland Petit. Il me l’a renvoyé en pleine figure. « 

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Avez-vous fait chou blanc avec certains poissons ?
On n’est encore loin d’avoir tout testé mais la pélamide (bonite à dos rayé), une cousine du thon, n’est pas vraiment une bonne cliente. Sa chair est beaucoup trop sèche.

Ici, dans le Sud, on connaît la poutargue de Martigues qui est séchée. Est-ce possible de fumer des œufs de poisson ?
Parfaitement ! Ceux du loup se prêtent facilement au jeu. D’aspect, ils sont plus clairs mais aussi plus râpeux avec un léger goût de noisette. C’est vraiment exquis et en prime, ça chatouille la langue !

Le poisson est une denrée fragile. Certaines précautions sont-elles à prendre ?
L’art du fumage ne s’improvise pas ! Les poissons que l’on fume doivent être d’une extrême fraîcheur. Lorsqu’on les reçoit, ils ont encore leur hameçon dans la gueule et n’ont pas le temps de reposer sur la glace. On travaille toujours avec des gants. Le poisson est vidé avant d’être séché. Il reste entier, sans la tête. Il est ensuite enroulé dans un linge absorbant qui est contrôlé et changé plusieurs fois par jour.

Pour attendrir la chair du poisson avant le fumage, utiliser une marinade, est-ce une bonne astuce ?
Je suis plutôt partisan de la fleur de sel de Camargue. C’est un peu le cousin du sel de Guérande mais en plus iodé. En revanche, je ne suis pas pour les marinades à base de gingembre, de piment d’Espelette ou de lait de coco. Je dis toujours que la cuisine n’est pas un entremets où tout doit se fondre.

L’art du fumage requiert-il un ustensile indispensable ?
La sciure de bois car il faut bien quelque chose pour fumer ! (rires) Cette dernière doit être 100 % naturelle et bien sèche. Évitez absolument la sciure de bois moisie, fraîchement abattue ou encore vernie qui risquerait d’engendrer une intoxication alimentaire. Ici, nous utilisons du bois de hêtre mais j’aimerais bien en trouver à base de bois d’olivier, pour être encore plus local.

Sans fumoir professionnel, est-ce possible de fumer un poisson ?
Il faut simplement trouver un moyen pour que la fumée reste le plus longtemps possible en contact avec les chairs. Pour cela, vous pouvez prendre un réfrigérateur qui ne vous sert plus. À l’aide d’une perceuse, vous réalisez deux trous à l’arrière pour l’aération. Vous disposez ensuite, à l’intérieur, une boîte en inox à double paroi pour pouvoir y insérer votre sciure.

Certains prennent le parti de personnaliser le fumage avec des baies ou encore des herbes. Est-ce votre cas ?
Thym, sarriette, sauge, laurier, laitue de mer… les possibilités sont infinies ! Veillez simplement à ce qu’elles soient bien sèches avant de les mixer. Lorsque j’ai fait mon apprentissage chez Michel Guérard, je le voyais passer dans la salle à manger avec une branche de thym séchée qu’il enflammait et qu’il remuait pour donner une bonne odeur gustative. Ça m’est resté.

Votre première recette à base de poisson fumé, vous vous en souvenez ?
C’était en 1987, un vrai désastre ! (rires) J’avais en tête de fumer des pièces entières de poisson et de les présenter sur table avec la tête. Un jour, j’ai servi un loup fumé à Roland Petit (ndlr : danseur et chorégraphe français). Il me l’a renvoyé en pleine figure. Sur le coup, j’étais un peu vexé.

Et la dernière…
Un loup grillé au fenouil comme on  faisait dans les années 70 sauf que là,  je ne le ferai pas flamber au pastis ! Nous allons faire fumer une grosse tête de poisson que l’on séchera pour en extraire la joue que l’on associera avec du fenouil, lui aussi fumé.