En 2005, une famille britannique originaire du Sussex tombait amoureuse des lieux. Comment faire autrement ? L’authentique ancienne abbaye cistercienne du 12e siècle, nichée dans un écrin de verdure, représentait une magnifique opportunité d’achat alors que l’association des Amis de la Bussière était à court de moyens pour l’entretenir et la faire perdurer. En 17 ans, les Cummings ont su transformer l’endroit pour en faire un hôtel de luxe Relais & Château ainsi qu’une adresse gastronomique, tout en assurant la conservation de cet héritage historique.
En fin d’année 2022, ils décident de passer la main en cédant la demeure au couple californien Best qui avait célébré son mariage sur place 10 ans auparavant. L’avenir de l’Abbaye se dessine progressivement avec des objectifs et projets d’envergure. Si rien n’a changé à première vue, les nouveaux propriétaires envisagent quelques évolutions à mettre en œuvre dans les prochaines années. Parmi elles, la modernisation des 20 chambres de la bâtisse principale et l’investissement des bâtiments situés à l’entrée de la propriété qui accueilleront un spa, une piscine, une salle de sport ainsi que des nouvelles chambres en duplex. Les activités au sein de l’hôtel et du parc de 7 hectares devraient également se développer afin de permettre d’accueillir, entre autres, des familles durant des séjours rallongés tout en conservant l’aspect romantique, tant aimé par les couples. De la nouveauté dans la continuité, c’est le défi à relever par la famille Best. Pour pérenniser la réputation de l’Abbaye de la Bussière, les propriétaires misent tout autant sur le restaurant gastronomique, Le 1131, une étape gourmande incontournable à proximité de la Route des vins.
UN NOUVEAU PILOTE DANS L’AVION
Successeur de Guillaume Royer, François Pelletier a pris la direction des cuisines au début de l’année 2022. Pour ce chef originaire du Creusot en Saône-et-Loire, s’installer à La Bussière-sur-Ouche est comme un retour aux sources. S’il rêvait plus jeune de devenir pilote d’avion de chasse, son aptitude ophtalmique en a décidé autrement. C’est en regardant un reportage sur Bernard Loiseau qu’il décide finalement de se tourner vers la cuisine. Le charisme, la passion et l’énergie de ce cuisinier qui a marqué la profession à tout jamais l’a convaincu de se lancer dans le métier. À 16 ans, il intègre le lycée hôtelier du Castel à Dijon où il suivra l’intégralité du cursus, du BEP au BTS : « J’y ai appris les bases classiques avec des professeurs passionnés, investis, qui avaient eux-mêmes une expérience professionnelle solide », explique-t-il. Au gré de stages, il découvre la cuisine étoilée aux côtés du chef Mounier, au restaurant le P’tit Polyte des Deux Alpes. Un séjour enrichissant au point qe François Pelletier décide de retourner y travailler chaque vacances scolaires durant quelques saisons : « La bienveillance des équipes, le travail maison des produits bruts ainsi que la rigueur en cuisine m’ont permis d’acquérir des valeurs essentielles ». L’autre expérience marquante de sa formation a lieu sous les ordres de Jean-Pierre Billoux, alors chef étoilé du Pré aux Clercs à Dijon. C’est lors de sa dernière année d’étude que le chef en devenir s’inscrit au concours national du Boeuf et Races à Viande dont il ressort vainqueur.

© Christophe Fouquin

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VIE GASTRONOMIQUE PARISIENNE
Repéré par les équipes du Ritz à Paris qui ont apprécié la justesse des assaisonnements et de la cuisson, il intègre les cuisines du palace. « Je m’étais toujours dit que je n’irai jamais à Paris, finalement j’y suis resté quasiment 10 ans » détaille-t-il en souriant. La parenthèse enchantée se meut petit à petit en vie quotidienne avec une nouvelle opportunité offerte par Michel Roth. En contact avec Bernadette Chirac, elle-même à la recherche de cuisiniers pour officier à l’Élysée, il propose à François Pelletier de rejoindre les équipes de la maison présidentielle. Une offre qui ne se refuse pas. Entre repas quotidiens pour le président et son épouse, ceux en compagnie des ministres et les diners avec des chefs d’État, le jeune chef côtoie des produits incroyables dans un lieu qui l’est tout autant : « J’ai travaillé avec du matériel d’exception, des casseroles en cuivre de l’époque napoléonienne et des services de vaisselles de centaines de pièces où chaque assiette est unique et lavée à la main. ». Après une année passée au plus près du président de la République, il poursuit son parcours chez Guy Savoy puis au Café de la Paix jusqu’à donner des cours de cuisine à l’Atelier des Chefs avant de rejoindre Le Floris au bord du lac Léman et enfin devenir chef gérant d’un établissement du groupe Richemont. Un parcours riche en expériences de haute volée qui le mène à exprimer l’envie de revenir en terres bourguignonnes, à l’Abbaye de la Bussière. Arrivé peu avant le départ du couple Cummings, François Pelletier oeuvre en pleine passation de pouvoirs. Sans surprise, l’étoile obtenue par Guillaume Royer est retirée par le Guide Michelin en raison du changement de chef et de direction. Qu’à cela ne tienne, les nouveaux propriétaires ainsi que le chef ont pour ambition de la conquérir à nouveau et même de mettre en place les conditions nécessaires à l’obtention d’une étoile verte.
Le 1131, un restaurant gastronomique niché au cœur d’une véritable abbaye cistercienne
REVENIR À L’ESSENTIEL
Déjà équipé d’un potager, l’établissement installé en pleine nature veut renforcer le lien avec son environnement. Le chef souhaite ainsi travailler le sourcing auprès d’un maximum de producteurs locaux et cultiver ses propres herbes aromatiques ainsi que quelques légumes. Un retour aux sources qui n’est pas toujours évident comme l’explique le chef : « Le plus dur dans ce métier, ce sont les choses simples. ». Mettre en valeur un produit brut et frais est au cœur de sa pratique et c’est pour cela qu’il se refuse à le masquer sous trop de saveurs différentes, il se limite donc à 3 ou 4 maximum. Il ne s’éparpille pas pour ne pas perdre les papilles de ses clients comme on le constate à la dégustation du ris de veau glacé au jus truffé. À la fois gourmand et fondant, le goût est juste et la réalisation techniquement parfaite. La cuisson est primordiale et souvent vapeur comme le poisson qu’il précuit la plupart du temps de cette façon, à 46° à cœur, pour nacrer la chair. Le rouget, présenté dans son plus simple appareil, reflète cet amour pour la beauté du produit brut néanmoins travaillé au fil de plusieurs étapes. La viande doit rester moelleuse et juteuse mais certainement pas sèche. François Pelletier suit les préceptes d’une cuisine classique qui paraît simple mais qui demande un savoir-faire et une rigueur incomparables. « Un beurre blanc est un beurre blanc, les bases ne changent pas mais il faut être créatif dans la technique et la présentation pour atteindre l’excellence », dit-il. Et cela passe par le travail sur les assaisonnements, les cuissons, les textures, les sauces… Des efforts de chaque instant, un rigorisme inflexible pour composer des assiettes aussi belles à admirer que délicieuses à déguster. Des qualités que le chef aimerait voir récompenser, notamment par le titre de Meilleur Ouvrier de France qu’il a passé deux fois. Arrivé jusqu’en demi-finale, il a frôlé la distinction du col bleu blanc rouge qu’il tentera à nouveau d’obtenir à l’avenir. Derrière les pianos du 1131, le chef progresse étape par étape en construisant un modèle gastronomique qui associe amour du terroir et cuisine française généreuse, précise, exigeante. Un restaurant de haut rang sans aucun doute, voué à briller à nouveau.
Aux beaux jours, venez profiter de ce petit coin de paradis qu’offrent les jardins de l’abbaye

© Christophe Fouquin

© Christophe Fouquin

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Quelle importance donnez-vous à la réalisation des sauces ?
François Pelletier Pour moi c’est extrêmement important et je pense que cela fait partie de mes points forts. La création des sauces est un travail très technique. Une sauce, à elle seule, peut faire ou défaire un plat mais elle permet aussi d’apporter des éléments de surprise. Froides, chaudes, au siphon, en émulsion, elles contribuent à l’expression d’une certaine créativité et à donner de la cohérence ou de la légèreté à une assiette. On les retrouve dans des recettes emblématiques comme les œufs en meurette dont je laisse revenir la sauce pendant une journée entière. Je peux aussi m’éloigner un peu de la base
classique en ajoutant quelques épices…
Quels produits travaillez vous au printemps ?
Le printemps signe le retour des asperges, des morilles, des petits pois… Je me laisse un maximum guider par les saisons pour réaliser mes cartes. Être en accord avec la nature c’est permettre aux produits d’être à maturité de leur goût et de leur saveur. C’est au moment où ils poussent naturellement qu’ils sont les meilleurs. De ce fait, je fais évoluer la carte en fonction des saisons et au rythme de la terre. Tous les deux mois environ, de nouveaux produits font
leur apparition dans mes recettes.

© Christophe Fouquin
Comment trouvez-vous l’inspiration ?
Pour trouver des idées, il faut du temps. Les produits en eux-mêmes donnent des idées mais j’aime aussi regarder ce que mes confrères réalisent. Les combinaisons de saveurs que je peux observer ici ou là me donnent des envies d’associations. Je lis beaucoup de livres de chefs, c’est enrichissant tant au niveau de la culture culinaire qu’au niveau de mes réalisations. Je travaille aussi en équipe et j’incite les membres de ma brigade à être force de proposition et à apporter leur pierre à l’édifice.
Route départementale 33
21360 La-Bussière-sur-Ouche
03 80 49 02 29
http://www.abbayedelabussiere.fr