Pousser l’imposante porte en bois du restaurant Cibo, rue Jeannin à Dijon, est déjà en soi une invitation à passer dans un autre monde. Celui, un peu oublié ces derniers temps, de la convivialité et du plaisir de se retrouver autour d’une table. Il suffit de pousser cette porte, donc, et d’avancer un peu, au-delà de l’arche en pierre pour se laisser attraper par l’odeur réconfortante des madeleines juste sorties du four. Là, entre deux bouquets de fleurs séchées, nous voilà happés par l’ambiance enveloppante des lieux. Une invitation à prendre le temps, dans le pur esprit du maître des lieux.
A 29 ans, Angelo Ferrigno, plus jeune chef étoilé de France en 2016 alors qu’il dirigeait la brigade de la Maison des Cariatides, fait un pari un peu fou. Celui d’ouvrir son établissement, une semaine seulement après le premier confinement. Quatre mois lui ont suffi pour décrocher une étoile au guide Michelin. La distinction, décernée en janvier, n’est que justice. Angelo Ferrigno revendique son appartenance à cette communauté qui place le produit local et lui seul, au centre de la table. « Mais lui ne fait pas que le dire », souffle Laure, sa serveuse.
PREMIERE LIGNE
La carte de ce natif de Semur-en-Auxois ne comporte en effet ni poisson d’océan, ni ananas ou autre produit exotique. En défenseur du terroir, ce natif de Semur-en-Auxois, formé au CFA de la Noue et stagiaire éphémère d’un certain Régis Marcon, pousse sa soif de local jusqu’à sourcer ses produits dans un rayon de 200 km. Une responsabilité assumée. « Le producteur, doit être en première ligne, insiste le chef. La cuisine arrive en seconde position, pas pour transformer mais pour faire comprendre et retranscrire ce que le producteur a voulu ». Voilà qui donne le ton de sa cuisine. Chez Angelo Ferrigno, c’est le cuisinier qui s’adapte à la production, allant bien au-delà du concept de saisonnalité. Et cela suppose une certaine flexibilité. « Ma cuisine est assez simple, admet le chef, c’est une cuisine, d’instinct qui évolue au jour le jour. On travaille les produits que tout le monde connaît. A nous de les faire redécouvrir, par une technique, un condiment ».
Au Cibo, le plat baptisé Asperge, vieux comté, ail des ours est volontairement réduit à sa plus simple expression. Une façon d’honorer le produit et « de garder l’effet de surprise, l’émotion de la découverte », ajoute Angelo Ferrigno. Derrière cette apparente simplicité, servie à même le béton du comptoir, les légumes printaniers braisés au barbecue viennent chahuter une crème onctueuse de comté et sa croûte de vieux comté, séchée au déshydrateur.
MONOCHROME
Pour comprendre le travail instinctif du chef, il suffit de regarder sa recette de poisson. La truite ce jour-là est cuite dans la cire d’abeille des Ruchers de Corbeton, juste fondue. Puis servie avec un lait à la cire d’abeilles, de la poussière de pollen et des primevères. Effet Wahou assuré.
Il est là le secret d’Angelo Ferrigno. A l’effusion des ingrédients, lui préfère « décortiquer » un produit pour en faire découvrir tous les mystères. Et joue volontiers la carte du monoproduit comme celle de la monochromie. La betterave cuite dans un vinaigre balsamique blanc façon pickles, se dévoile en un ruban satiné avant de fondre dans une farce de peaux de betteraves. Voilà pour la palette violacée. Pour le dessert, le chef a choisi le lait de Bufflonne, qu’il décline en chantilly et en sorbet sur un insert de fraises coiffé par un habile jeu de structures à base de feuilles de papier de Bufflonne séché. Bluffant de légèreté et de poésie. D’audace aussi.
LE POUMON
Un dessert à l’image d’un chef qui n’a pas froid aux yeux. Alors que le contexte invite à réfléchir de nouvelles façons de travailler, lui ne jure que par le terroir. Jusqu’à s’imposer des produits qu’il n’aurait jamais pensé travailler. Le quinoa, auquel Angelo Ferrigno portait peu d’intérêt, sera l’un de ses prochains défis. Parce qu’au Cibo, sa cuisine est une composition permanente. C’est tout l’esprit du restaurant ouvert il y moins d’un an.
A deux pas du centre-ville, Angelo Ferrigno l’a trouvé, son Cibo – prononcez Tchi-Bo, traduction italienne de l’aliment premier, en hommage à ses racines transalpines. Son rêve d’entreprendre, révélé à la lueur de la première étoile Michelin, coche toutes ses cases : « je ne voulais pas figer un lieu, je voulais qu’il soit vivant, qu’il évolue avec les clients ». Le chef a pensé l’endroit comme une recette : « j’avais envie d’apporter du confort, au client mais aussi à mon équipe et de travailler avec des artisans locaux».
Les anciens bureaux administratifs ont mué en un espace paisible, réconfortant, où la nature a toute sa place. Alors que la première salle, sorte d’espace privatif, invite au partage autour d’une table en bois magistrale, la seconde salle à l’arrière pousse la convivialité jusque dans la cuisine. Le poumon du Cibo accueille les clients à ciel ouvert, sous une verrière entièrement modulable. C’est à cet endroit même que la brigade prépare les plats, à la vue des clients. Pas derrière une porte coulissante ou dissimulés par une verrière, non. Dans cette cuisine ouverte, pouvant accueillir 20 convives dont quatre au comptoir, Angelo Ferrigno reçoit ses clients comme chez lui, au sein d’un espace en résonnance avec sa façon de cuisiner. Murs à la chaux, mobilier en bois, béton brut se déclinent dans un camaïeu de grège et jouent avec les lames de bois au sol, à l’allure irrégulière ou la toile de lin, laissée volontairement nue. Sur le mur du fond, un bouquet de pampas au charme fou « fait maison », semble rythmer le travail de l’équipe.
Angelo Ferrigno se sert de sa cuisine pour tisser des liens : entre les produits qu’il honore et ceux qui les dégustent. Il veut faire connaître ces producteurs, passionnés comme lui, par leur métier. Il est ce trait d’union au service de l’extra local. Un passeur d’émotions, pour certains, un ambassadeur pour d’autres. Lui ne prêtent pas attention à ces considérations. Il n’aspire qu’à une chose : retrouver l’ébullition de la salle. Au plus vite.
SES ESSENTIELS
Son précieux : le couteau pliant. Déposé comme unique couvert, à la place de l’assiette, il anime le repas du début à la fin. « On ne change pas de couteau, il est le fil rouge, la continuité de notre main et de ce que l’on a envie de transmettre aux gens », explique Angelo Ferrigno.
La table dijonnaise qui a tout bon : Betterave, pour sa proposition 100% végétale et le travail de décomposition des légumes.
Son indispensable derrière les fourneaux : la pâte de citron du citronnier familial. Pour ne pas oublier d’où l’on vient.
PRESENTATION DES PRODUCTEURS
Anne-Laure Stehly
La reine des abeilles
Aux Ruchers de Corbeton, Anne-Laure Stehly, c’est un peu la reine des abeilles, dans le sens maternant du terme. L’apicultrice amatrice chérit ses pollinisatrices presque comme ses propres enfants. Pas pour produire du miel monofleur, faire de la sélection génétique ou vendre en masse. Tombée amoureuse des abeilles il y a cinq ans, l’apicultrice d’Arc-sur-Tille est plutôt de ceux qui laissent la nature faire son œuvre, dans le but de valoriser le travail des insectes, et de le faire connaître. Aux Ruchers de Corbeton, on récolte quand ces dames sont prêtes, le miel mais aussi la cire comestible et le pollen. Il se murmure que certains restaurateurs dijonnais en seraient fous.
Simon Collin
Pêcheur d’eau douce
Porter un tel nom et pratiquer le métier de pêcheur, ça ne s’invente pas. Simon Collin a sauté le pas il y a trois ans : il pratique la pêche d’eau douce, dans la Saône, avec une méthode pour le moins étonnante : la technique Ikejime, technique ancestrale japonaise permettant de réduire la douleur du poisson et qui n’a pas son pareil pour conserver la couleur de la chair. Le pêcheur de Haute-Saône est aussi un adepte du silure. « Un poisson mal aimé reconnaît Simon Collin, mais dont le goût neutre permet de laisser libre court à toute créativité de chef ». Le pêcheur est lui aussi dans une démarche zéro déchet : il réfléchit à valoriser les peaux de poisson pour les secteurs du luxe et de l’horlogerie franc-comtois, tout comme les carcasses, ingrédient phare d’une certaine sauce vietnamiennes.
Antoine Romain
Bio Paysan
Vous connaissez sans doute l’enseigne, présente les jours de marché, sous les halles de Dijon mais ou dans diverses Amap de l’agglomération. Mais peut-être pas celui qui est à la tête des Maraîchers du Pré Velot. Le credo d’Antoine Romain et de son équipe, ce sont les légumes bio. Une production de petits fruits rouges aussi, fraises et framboises à la belle saison. Le tout servi, s’il vous plaît, à la sauce convivialité. Mais dans cette exploitation de maraîchage d’Auxonne, bio depuis 40 ans, on cultive aussi le sens des relations humaines, « précieuses », glisse Antoine Romain. Un lien de confiance réciproque qui permet, tantôt au chef, tantôt au producteur, de s’adapter à la saison, aux produits, avec l’idée commune d’en tirer à chaque fois, le meilleur.