Votre première expérience derrière les fourneaux étant enfant, vous vous en souvenez ?
Alain Ducasse Ma mère était fermement opposée à l’idée que je fasse ce métier. Afin de tester ma motivation, elle m’avait trouvé un stage chez un routier. En plein hiver, j’ai commencé par plumer des dindes de Noël, il faisait tellement froid que je ne sentais plus mes doigts. C’est finalement presque par opposition que je me suis lancé dans ce métier.
A l’école, vous étiez plutôt cancre ou premier de la classe ?
J’étais très indiscipliné, ce qui n’a guère changé d’ailleurs ! Trois mois avant de passé mon examen à l’école hôtelière de Talence près de Bordeaux, j’ai décidé de claquer la porte. Ça devait faire la dixième fois que l’on faisait de la pâte à choux, il y en avait un peu marre. J’avais envie d’apprendre autre chose. Quinze ans plus tard, j’ai recroisé le chef de travaux de l’école car j’avais besoin qu’il me prête 200 élèves pour un évènement. Il m’a demandé si j’étais content d’être parti, non seulement je lui ai répondu que je ne regrettais pas ma décision mais que j’étais aussi heureux qu’il soit là pour me rendre service.
Plus jeune, on disait de vous que vous étiez un enfant … ?
J’avais de l’énergie à revendre et j’étais déjà très curieux. Très jeune, j’avais déjà cette envie de parcourir le monde. Vers 16 ans, je suis parti en Italie, en Yougoslavie, au Maroc, et depuis, je n’ai jamais arrêté. A chaque voyage, même s’il ne dure que très peu de temps, je suis ravi de pouvoir chiner de nouvelles choses et faire de nouvelles rencontres. Après 140 voyages au Japon, je peux vous assurer que c’est toujours le cas.
Les voyages sont donc votre source d’inspiration si je comprends bien ?
Je ne m’inspire pas, je me nourris, j’enrichis mon disque dur. J’ai besoin de distiller pour redonner ensuite. Il n’est pas question de copier un geste ou une technique mais d’intégrer la délicatesse des températures ou encore l’harmonie des assaisonnements. Pour nous aider, un spécialiste de la cuisine Shojin, Toshio Tanahashi, est venu à Paris afin que l’on puisse s’imprégner de sa culture. Nous n’avons pas pris une seule recette qu’il nous a montré, nous avons intégré à notre sensibilité certains ingrédients que l’on ne maitrisait pas encore. En bref, nous avons retenu son intangible qui est venu enrichir notre intangible.
Si je vous dis naturalité, ça vous évoque quoi ?
Le cuisinier que je suis aujourd’hui doit nécessairement être précautionneux des ressources de cette planète que nous nous devons de partager avec des milliards d’individus. De ce fait, il est nécessaire de se nourrir plus sainement avec moins de gras, moins de sel, moins de sucre, et moins de protéines. C’est ça mon histoire de naturalité, être au plus près de la terre, c’est un véritable mouvement, celui d’une cuisine humaniste. Une attitude que j’assume et que je revendique !
Sept mois après l’ouverture, vous pensez avoir pris la bonne décision ?
C’est une décision assumée, le public est là et je suis convaincu que j’ai eu raison de prendre ce tournant radicalement différent autour de la naturalité. Ce n’est pas rien de passer en quelques mois d’une feuille blanche à un projet qui existe bel et bien.
Prodiguer une agriculture raisonnée, revenir à l’essence de la terre, ne sommes-nous pas en train de remonter à l’époque de nos grands-parents ?
Il y a quarante-cinq ans, je me rendais au potager pour cueillir mes légumes et l’on tuait le poulet à la ferme. Aujourd’hui rien n’a vraiment changé, on regarde ce que l’on a à portée de main et l’on crée avec ce que l’on sait faire. J’ai une vision globale d’une expression locale, je suis un cuisinier glocal. Et partout sur la planète on fonctionne comme ça, on perpétue l’histoire originelle et la mémoire des lieux tout en prenant soin de manger sainement. Après bien sûr que dans les grenouilles je mettrai du beurre car ici, la valeur traditionnelle est très forte.
Lorsque l’on entend, quinoa, boulgour, céleri, algues, qu’on y enlève la viande, le sucre et le sel, on n’a pas l’impression de retirer les ingrédients les plus importants de la gastronomie : le plaisir et la gourmandise ?
Non la preuve, même nos convives les plus assidus s’y sont habitués. On aurait beaucoup de mal à revenir à ce que l’on faisait avant. Au début, nous proposions une carte avec quelques viandes pour les clients qui souhaitaient vraiment en avoir mais aujourd’hui, nous n’en avons plus besoin.
Et vous, personnellement, avez-vous adopté ce régime ?
Bien sûr, c’est le sens de l’histoire !
Quelles sensations souhaitez-vous que vos convives retiennent à la fin de leur repas ?
A partir du moment où vous franchissez la porte du restaurant jusqu’à votre départ, notre rôle est de s’occuper de votre bonheur en anticipant vos demandes et en vous donnant à manger et à boire. Notre objectif est le temps d’un repas, de vous faire oublier les soucis extérieurs, les tensions économiques, les problèmes mondiaux,… Nous sommes des marchands de bonheur éphémère. Pour cela, nous prenons en compte deux variables : le tangible que l’on perçoit par la chaise confortable, la bonne température du verre,… et l’intangible qui constitue tous les éléments supplémentaires qui participent au souvenir du client.
© Antony Florio
Le Plaza Athénée se définit comme le palace de demain, est-ce que vous pensez être le chef de demain ?
Ça, c’est l’histoire qui le dira ! Je n’ai absolument pas cette prétention et cela m’importe peu. Je vis mon métier avec passion en regardant aujourd’hui et demain. Je porte une vision autour de valeurs pour lesquelles l’ensemble de mes collaborateurs se sont ralliés.
Qui dit cuisine de demain, dit forcément nouvelles alternatives, cuisiner les insectes, c’est quelque chose auquel vous pensez ?
Non, pas vraiment. J’en ai déjà goûté à de multiples reprises mais je ne trouve pas que ça ait un intérêt gustatif particulier mis à part le fait que ce soit croquant.
De l’extérieur on vous voit plus comme businessman que chef, est-ce que cette image vous convient ?
Le business est la conséquence de mon activité, je n’ai pas signé un chèque depuis 15 ans. Ma motivation, c’est ma passion. Je ne m’intéresse pas seulement à ce que je mets dans l’assiette mais aussi à tout ce qu’il y a autour. Au-delà de mon rôle de chef, je suis en quelque sorte un directeur artistique.
A 58 ans, vous êtes à la tête d’un véritable empire, la retraite, vous y pensez ?
Bien sûr que non, je viens tout juste de commencer !
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