Jamais autant de vers de terre et de petits insectes se sont déplacés de Versailles à Paris en moins de deux heures. Et si le vrai luxe, c’était ça ? Pouvoir retrouver dans son assiette, les fruits et légumes qui ont été récoltés le matin même. C’est le nouveau pari qu’Alain Ducasse a décidé de mettre en place en faisant des Jardins du potager de la reine à Versailles son garde-manger. Afin d’en savoir un peu plus sur ce partenariat, il nous emmène à la rencontre d’Alain Baraton, jardinier en chef de Trianon et du Grand Parc de Versailles pour lequel jardinier et cuisinier ne font qu’un. Entretien avec Alain Baraton.
"on ne peut pas se prétendre bio et chauffer des serres pour produire des légumes qui d’ordinaire ne poussent pas dans le jardin en hiver."
Alain Baraton

Si l’on connaissait Versailles pour son château et ses jardins à la française, on l’apprécie désormais pour son potager. Sortie de terre il y a moins d’un an, il contient une cinquantaine de variétés de fruits et légumes qui se retrouvent non pas à la table du monarque mais à celle du restaurant du chef Alain Ducasse au Plaza Athénée. Afin de mieux comprendre l’origine de ce mécénat, remontons quelques mois plus tôt. C’est à la suite d’une rencontre entre Catherine Pégard, présidente du Château de Versailles et Alain Ducasse qu’une relation entre les deux établissements voit le jour. Cultivés à titre purement décoratif pour les visiteurs, les fruits et légumes étaient ensuite distribués aux agents. C’est à partir de là qu’Alain Ducasse proposera de leur donner une seconde vie, dans ses cuisines parisiennes. Parti d’une constatation, ce partenariat va prendre tout son sens lorsque les deux homonymes du nom se rencontrent pour la première fois, « je ne connaissais pas du tout Alain Ducasse mais je me suis rapidement rendu compte que nous avions un même objectif qui était de reprendre la tradition gastronomique, née ici à Versailles : lui en s’alimentant d’une manière raisonnée et véritablement écologique et moi, en permettant à mes agents de trouver une finalité à leur travail », précise Alain Baraton. En effet, certaines versions soutiennent que la gastronomie serait apparue ici, à Versailles, sous Louis XIV. Avant lui, la cuisine était pour le moins rudimentaire. C’est en créant le potager du roi que Jean-Baptiste de La Quintinie va transformer la cuisine en regroupant tous les fruits et légumes hors du commun. Louis XV transformera ensuite les jardins du Trianon en un haut lieu de la botanique où il y fera installer des serres chauffées dans lesquelles il y fera cultiver les premières fraises et ananas. Sous Louis XVI, durant la révolution, le jardinier en chef Antoine Richard aura l’idée, pour sauver le parc de la démolition, de planter dans les massifs des pommes de terre et des arbres fruitiers autour du grand canal afin que Versailles devienne un lieu d’alimentation pour le peuple.

Alain Baraton
© Guillaume Czerw

A LA COUR, LE LEGUME EST ROI

Nombreuses et amusantes, ce sont les anecdotes de la cour qui ont apporté, années après années, ces fruits et légumes sur nos tables. Tandis que Catherine de Médicis lancera la mode de l’artichaut, le Régent amènera celle de la carotte et Louis XVI, celle de la pomme de terre. Signature versaillaise par excellence, la folie du petit pois sera quant à elle lancée à l’époque de Madame de Maintenon qui écrira que nombreux sont celles et ceux qui, à la cour, en mangent avant d’aller se coucher au risque d’en faire une indigestion. « Avant La Quintinie, les petits pois se cuisinaient gros, on parlait alors de pois. Pour l’époque, c’est quelque chose d’inouï. A notre tour, nous allons relancer cette mode du petit pois et pourquoi pas créer quelques indigestions aussi », nous confie Alain Baraton.

Le potager de la Reine à Versailles
Le potager de la Reine à Versailles
© Thomas Garnier

VERSAILLES, LA CULTURE DU BEAU ET DU BON

Si la proximité -15 km de Paris à vol d’oiseau- et la production exclusive à très petite quantité ont séduit Alain Ducasse, ce lieu unique possède bien d’autres avantages à commencer par une culture en biodynamie 100 % naturelle. Ici, ce n’est pas le jardin qui s’adapte à la plante mais la plante au jardin. La pépinière du Trianon par exemple, a été aménagée par Louis XV avec quantité de murs de manière à reproduire une série de microclimats positifs et naturels pour la culture des plantes. Chaque jour, les jardiniers veillent sur leurs nouveaux nés, sèment les graines au bon moment dans une terre adaptée -et nettoyée par une quantité d’oiseaux qui chassent les insectes en permanence-, leur laissent l’espace nécessaire pour grandir, leur donnent de l’eau propre et les cueillent à juste maturité. On est loin du radis qui pousse en dix-huit jours !

« Je ne veux pas avoir l’obsession du chronomètre sachant qu’il n’y a pas d’obligation financière. On plante et on regarde, c’est la nature qui nous indique le temps qu’il faut. »

Si pour Baraton laisser le temps au temps est l’une des clés d’une production saine et durable, rien ne sert de forcer la nature. Si la production est particulièrement florissante pour certains légumes tels que les betteraves et les petits-pois, en revanche, pour les choux-fleurs, c’est une autre histoire, « Les pigeons nous causent beaucoup de dégâts et on ne sait pas comment les éloigner de manière respectueuse. Nous n’avons pas le tour de main pour ça, nous laissons donc les bretons faire.» De même pour les fraises et les fruits exotiques pour lesquels il faudrait une serre chauffée, principe qui s’oppose formellement à la philosophie 100 % naturelle de Baraton, « on ne peut pas se prétendre bio et chauffer des serres pour produire des légumes qui d’ordinaire ne poussent pas dans le jardin en hiver. » Si aujourd’hui Alain Baraton fournit bon nombre de fruits et légumes au Plaza Athénée, le contenu, lui, varie tous les jours. Tandis que le poids du dernier panier de légumes s’élevait à 13 kg, il arrive certains jours que le maraîcher ne livre rien, « je préfère ne rien livrer plutôt que de présenter un produit qui me déplaît. Nous ne sommes pas tenus de fournir ce que souhaiterait Alain Ducasse et réciproquement, lui n’est pas tenu de cuisinier ce que nous lui livrons ». C’est à travers cet échange et la compréhension du métier de chacun que les deux hommes évoluent. Véritable laboratoire à ciel ouvert, le potager ne cesse de s’agrandir pour accueillir de nouvelles variétés. Dernière en date et unique dans la région, la célèbre pomme de terre bonnote de Noirmoutier. Pour reproduire son goût caractéristique légèrement sucré associé à celui de la châtaigne, Versailles a importé près d’une tonne de goémons -ces petites algues déversées par les marées- qui seront répartis sur les 250 m2 de la production. Ce printemps, les asperges seront également de la partie grâce à l’installation d’une serre non chauffée qui permettra comme La Quintinie, à son époque, de produire tout au long de l’année des légumes pour son roi.

Le potager de la Reine à Versailles
Le potager de la Reine à Versailles
© Thomas Garnier
Le potager de la Reine à Versailles
Le potager de la Reine à Versailles
© Thomas Garnier

Quels seront les 3 légumes stars de ce printemps ?

La réponse avec Alain Baraton

1. La pomme de terre

Variété : Pompadour

Temps de pousse jusqu’à la récolte :  à partir de 2 mois.

L’anecdote d’Alain Baraton : « Je trouve amusant que le légume le plus populaire en France ait eu des origines royales. Considérée comme la reine des pommes de terre d’où son nom de Pompadour, cette dernière rend en quelques sortes hommage à son nom en étant cultivée près du petit Trianon, là où son homonyme vécut longtemps.»

Généalogie : née en 1992, fille de la pomme de terre Roseval et BF 15

Goût et texture : à chair ferme (vapeur), très fine et fondante.

L’astuce du jardinier : « Pour que la pomme de terre soit heureuse, il est important que la terre ait été bien meuble au début, que l’on n’ait pas oublié de la buter. Il est également important d’attendre que les feuilles aient bien séché. Enfin, je suis persuadé que favoriser la rotation des cultures est un plus car pour pousser, la pomme de terre puise dans le sol les éléments nutritifs dont elle a besoin. En replantant au même endroit, la terre s’appauvrit, les pommes de terre ont moins d’éléments pour se développer et le goût change. »

 

2. Les petits pois

Variété : pois croquant « sugar bon »

Temps de pousse jusqu’à la récolte : 4 mois.

L’anecdote d’Alain Baraton : « Les petits pois sont nés ici à Versailles et constituent véritablement l’emblème du château. L’engouement pour ce petit légume dépasse la raison, c’est ce que l’on découvre dans les écrits de Madame de Maintenon : L’impatience d’en manger, le plaisir d’en avoir mangé et la joie d’en manger encore sont les trois points que nos princes traitent depuis quatre jours. Il a des dames qui après avoir soupé avec le roi et bien soupé trouvent des pois chez elles pour en manger avant de se coucher au risque d’une indigestion. C’est une mode, une fureur et l’une suit l’autre.»

Généalogie : Déjà consommé par l’écrivain philosophe Pline L’ancien qui le cite dans un récit en 77 avant notre ère, le petit pois frais – comme on le connait maintenant – verra le jour au XVIIème siècle, adulé par Louis XIV et sa cour.

Goût et texture : petits pois croquants nains -plus sucrés que les autres- qui se mangent aussi bien crus que cuits.

L’astuce du jardinier : « Lors de la culture des petits pois, il est important de tenir compte des pigeons car ils en raffolent. Veillez également à ne pas tout semer en même temps sinon vous risqueriez de faire une overdose de petits pois.»

 

3. L’artichaut

Variété : artichaut Petit Violet

Temps de pousse jusqu’à la récolte : 1 mois et demi une fois le pied adulte.

L’anecdote d’Alain Baraton : « A l’époque, lorsque Catherine de Médicis mangeait de l’artichaut, on l’accusait d’avoir des vertus aphrodisiaques car les soirées se terminaient en joyeux bordel. On chantait alors dans les rues de Paris, « artichaut, artichaut, pour avoir l’âme et le cul au chaud ». Cette idée continue encore aujourd’hui puisqu’il se dit que lorsqu’on en abuse, on ne contrôle plus ses sentiments, on a alors un cœur d’artichaut.»

Généalogie : d’origine méditerranéenne, c’est Catherine de Médicis qui encouragera sa culture durant le règne d’Henri II. Le petit violet fera quant à lui son apparition bien plus tard.

Goût et texture : se consomme cru ou cuit, feuilles violettes fines, cœur dépourvu de foin.

L’astuce du jardinier : « Si les petits artichauts violets sont relativement faciles à produire, il est important de privilégier une récolte manuelle afin de conserver tous leurs atouts esthétiques. »