Grignoté, coupé ou bien étalé sur une tranche de pain, difficile de ne pas craquer pour un morceau de fromage. S’il est très apprécié par les français au moment de l’apéritif, il est souvent perçu comme une simple parenthèse entre le plat et le dessert. Pour y remédier, Alain Ducasse a imaginé une dégustation avec un service à la fois plus pratique et personnalisé.

Plus qu’une cuisson ou un bel accord, l’important ici est de mettre en place les bons gestes et le bon discours pour valoriser le travail de l’affineur. Avec plus de 300 fromages rien que pour l’hexagone, le fromager a du pain sur la planche. Tantôt fragile, abrupte ou capricieux, notre fromage aime être bichonné et ça, au Plaza Athénée, on l’a bien compris ! De la coupe à la dégustation, tout est orchestré telle une partition sans fausse note. Dans les coulisses, les consignes sont simples, être capable d’offrir une proposition à la fois courte et différente des autres maisons sans imposer une séquence supplémentaire longue et protocolaire. Si l’idée semble somme toute très simple, il est rare qu’elle soit appliquée dans les établissements haut-de-gamme nous fait remarquer Alain Ducasse, « dernièrement j’étais chez un confrère pour déjeuner, on était assez pressé, je regardais ma montre et l’un de mes invités voulait prendre du fromage, je décide de le suivre et là, nous rallongeons le repas de trente-cinq minutes. Ça ne donne pas envie ! ». Partant du constat que le service est devenu un obstacle au bon déroulement de ce moment de gourmandise, le chef gascon n’a pas hésité à l’inclure comme un produit à part entière en le servant directement à l’assiette. Exit le chariot à fromages, le spectacle se déroule désormais à même la table. A l’aide de sa fourchette à fromage, chacun pioche là où ses papilles ont envie de picorer. Servi à la bonne température, coupé à la bonne épaisseur, proposé au meilleur de sa maturité avec une boisson et quelques tartines de pain toastées, croustillantes et juste moelleuses, difficile de ne pas en reprendre une seconde fois.

Plaza Athenee
Plaza Athenee
© Pierre Monetta

Responsable fromage au restaurant Alain Ducasse, Aymeric Le-Vôt nous présente son univers.

Combien de fromages faut-il pour constituer le plateau idéal ? Dans quel ordre doit-on les manger ? Quelles erreurs faut-il éviter au moment du service ? Pour vous guider, nous avons rencontré Aymeric Le-Vôt, responsable du service fromage au restaurant gastronomique Alain Ducasse. C’est à l’heure du goûter qu’il nous livre, autour d’une planche de fromages, quelques-uns de ses secrets les mieux gardés.

 

Quel est votre plus belle découverte ?

Aymeric Le-Vôt : le fromage fermier de l’Abbaye de Cîteaux en Bourgogne est très certainement l’un de mes plus grands coups de cœur. Souple dans sa texture, ce fromage de la famille des pâtes molles à croûte lavée réveille par son caractère fruité, symbole de sa personnalité. Si la croûte ne se mange pas forcément, je trouve qu’elle apporte une note salée très agréable en bouche.

Le fromage de votre enfance ?

Etant originaire de Picardie, je ne pouvais pas passer à côté du Maroilles. Produit au cœur de la vallée de la Thiérache, il s’impose comme le fromage emblématique de ma région. Pour le manger, on l’accompagne de quelques tartines de pain grillées sans pour autant les tremper dans le café.

Combien de fromages faut-il pour constituer le plateau idéal ?

Un plateau se compose à partir de trois fromages et compte toujours un nombre impair. De-là, on sélectionne le nombre de fromages que l’on souhaite en veillant tout de même à diversifier les styles. Pour ma part, je vous conseillerais d’y mettre plusieurs sortes de chèvres, un doux (St Maure de Touraine) et un fort (Banon de Provence), un fromage à pâte dure (Comté 24 mois ou Beaufort), deux pâtes molles (Camembert de Normandie et Maroilles), un bleu (Roquefort ou bleu de Bresse), une pâte pressée non cuite (St Nectaire) et pour finir, un fromage étranger (Stilton ou Vieux Parmesan).

Certains fromages s’accordent-ils ensemble mieux que d’autres ?

On ne peut pas dire que les fromages ne s’accordent pas ensemble étant donné qu’on les mange un par un. Cependant, il existe bel et bien un ordre de dégustation. Comme pour les vins, il faut procéder du plus doux au plus fort afin de pouvoir apprécier toutes leurs saveurs.

Comment devient-t-on fromager dans un palace ?

Mis à part si vous êtes issu d’une famille de fromager, c’est un métier que l’on apprend au fur et à mesure. C’est véritablement en goûtant que l’on devient fromager. Le palais doit être exercé. Il sera difficile d’apprécier un fromage si l’on en mange que de temps en temps.

Quelle quantité de fromage mangez-vous par jour ?

Une fois le service terminé, j’aime bien avoir ma planche de dégustation avec le pain de campagne toasté que l’on sert au restaurant. Sans goûter, difficile de se faire un avis et de pouvoir en parler.

Quelles sont les erreurs à éviter lors de la coupe ?

Premièrement, pensez à prendre un couteau pour chaque fromage de manière à ne pas mélanger les saveurs. Il est également important de réaliser des tranches fines et pas trop grosses pour ne pas saturer le client. 60 g de fromage par portion suffit. Enfin, la coupe diffère selon le type de fromage. Veillez à bien couper du centre vers la croûte de manière à conserver toutes les saveurs.

Le plateau d'Aymeric Le-Vôt
Le plateau d'Aymeric Le-Vôt
© Antony Florio

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SÉLÉCTIONNÉS PAR AYMERIC LE-VÔT

 

ARDI GASNA
La cocarde basque

Signifiant fromage (gasna) de brebis (ardi) en langue basque, cette meule de 35 cm de diamètre est originaire de la vallée de la Nive. Si ça consommation est longtemps restée locale, elle se retrouve depuis les années 80 sur les plus grandes tables.

Maître-affineur : Bernard Antony.

Producteur : Martine et Peio Oillarburu (Gamarthe- Pyrénées-Atlantiques).

Variété : Lait de brebis cru à pâte mi-dure pressée non cuite.

Temps d’affinage : 5 mois minimum, c’est après ça qu’il prend tout son caractère et son piquant.

Dégustation : arômes de noisettes accompagné d’une légère odeur d’étable. Sensation de piquant qui augmente avec l’âge.

Association : râpé dans des mets locaux, en casse-croûte ou en fin de repas accompagné d’une confiture de cerises noires, de gelée de piment d’Espelette ou de mie.

 

CAMEMBERT DE NORMANDIE
Un fromage qui a du nez

Inventé en 1791 par une fermière et un prêtre réfractaire de Camembert, la réputation de ce fromage a fait le tour de monde. C’est entre autres grâce à l’idée d’un ingénieur qui en 1890 décida de l’emballer dans une boite en bois afin de faciliter son transport et sa diffusion.

Maître-affineur : Marie-Anne Cantin

Producteur : Fromagerie Jort (Calvados – Basse Normandie).

Variété : lait de vache cru à pâte molle fleurie légèrement salée et moulé à la louche.

Temps d’affinage : 30 jours.

Dégustation : saveur légèrement salée, lactée et douce puis plus franche et fruitée avec davantage d’affinage (odeur de terroir avec du bouquet).

Association : camembert au four, jambon Serrano, camembert au miel à la braise.

 

COMTE 18 MOIS
Le roi des fromages

Crée au moyen-âge, ce fromage de garde de grande taille avait pour vocation première de conserver le lait frais. De cette manière, il pouvait répondre aux besoins d’une famille entière pendant toute la saison hivernale.

Pour quelle occasion : idéal pour un petit creux.

Maître-affineur : Bernard Antony.

Producteur : la fromagerie des Majors (Doubs – Franche Comté).

Variété : lait de vache cru à pâte pressée cuite.

Temps d’affinage : de 4 à 36 mois, temps durant lequel la meule est retournée puis frottée régulièrement.

Dégustation : Fromage riche en arômes, plus ou moins corsé selon le temps d’affinage.

Association : nature avec un vin jaune du Jura ou bien un Porto blanc Tawny 20 ans Andresen.