
© Christophe Fouquin

© Matteo Carassale
A quelques jours du mois de décembre, la première neige de l’année vient de tomber en plaine. À Langres, les rues se sont couvertes de blanc en l’espace de quelques heures. Connue pour être l’une des rares communes les plus froides de France, la ville de Haute-Marne a d’autres qualités, plus accueillantes, dont elle peut se vanter. On pense notamment au philosophe des Lumières Denis Diderot, auteur de l’Encyclopédie, né ici et qui possède un musée à son nom. La ville est aussi célèbre pour ses fortifications impressionnantes qui forment 8 km d’enceinte soit la plus grande enceinte fortifiée d’Europe.
Dans ce décor Le Clos Vauban a une place de premier choix, perchée sur les remparts avec une vue imprenable sur le lac de la Liez. Ancien mess des officiers, cette demeure du XIXe siècle en impose par son élégance et ses volumes.
Celui qui a jeté son dévolu dessus n’est autre que Laurent Petit, le chef aux trois étoiles récemment retraité de la gastronomie… du moins en cuisine. Celui qui a passé plus de 30 ans à Annecy derrière les pianos du Clos des Sens est originaire de Bussières-lès-Belmont, un village situé à une vingtaine de minutes de Langres. Là où il ne pensait jamais revenir, il a finalement eu un coup de cœur pour cette bâtisse à repenser entièrement. Plus question de faire à manger, ce chapitre-là est définitivement fermé. En revanche, entreprendre le fait vibrer. Il sollicite son chef exécutif au Clos des Sens pour intégrer le projet et lui proposer de passer de l’ombre à la lumière. Loin d’être un acte de charité, il a repéré le talent de son prodige qu’il considère très sérieusement. Et cela tombe bien, Valentin Loison et sa compagne sommelière Anaïs Bercegeay ont des fourmis dans les jambes et l’envie de créer leur propre affaire. C’est ainsi que Laurent et Martine Petit parviennent à convaincre le couple de venir vivre cette aventure avec eux. Mais l’idée n’est pas de les salarier ni de les diriger mais bien de leur permettre de posséder une part du projet et d’apporter leur pierre à l’édifice dans la conception comme dans la gestion quotidienne.
Petit lieu de vie
Signe que la ville de Langres a rapidement saisi la chance d’accueillir en son sein des chefs au talent exceptionnel, c’est au musée, au plus près d’une édition originale de l’Encyclopédie ouverte à la lettre C comme Cuisine, que la signature d’achat de la maison s’est déroulée. La commune et la région avaient définitivement besoin d’un projet comme celui-là, sans équivalent à des kilomètres à la ronde. Il aura fallu un an de travaux pour transformer complètement les lieux. Les étages inutilisés jusque-là accueillent aujourd’hui 8 magnifiques chambres et suites parfaitement intégrées au charme de la maison. Au rez-de-chaussée, tout a également été réaménagé pour accueillir à la fois un restaurant gastronomique, Bulle d’Osier, et une adresse à l’état d’esprit plutôt brasserie, Mirabelle. Chacun à son identité propre. D’un côté, une pièce délicate et confortable accolée à la cuisine qui donne la sensation d’être en coulisse, et de l’autre une grande salle à manger lumineuse. Les deux espaces offrent une vue sur le jardin qui n’existait pas encore quelques mois auparavant. Le goudron a été remplacé par plus 1000 tonnes de terre. À l’extérieur comme à l’intérieur, l’osier, séché ou vivant, tressé par des artistes, forme des chemins, des abris, des fauteuils, des décorations murales… On le retrouve partout en hommage à la ville voisine de Fayl-Billot, capitale française de la vannerie. Un véritable petit lieu de vie façonné à 8 mains par des âmes sensibles au très beau et au très bon.
L’étincelle
Si Laurent Petit affirme sans détour que Valentin Loison est le cuisinier le plus talentueux qu’il ait croisé au cours des 30 dernières années, ce n’est pas tombé du ciel. Le jeune chef a passé son début de carrière à observer, apprendre, faire et refaire avec obstination sans compter ses heures. Originaire de Franche-Comté, Valentin a grandi Champvans dans le Jura. Sa passion, il la tient de sa nourrice : « Elle adorait faire à manger et surtout préparer des produits de mille façons différentes. Chaque année, elle allait cueillir des fleurs d’acacia qu’elle transformait en beignets pour ensuite les distribuer aux gens du village. ». Valentin garde de ces moments ses premiers émois culinaires associés au partage et au plaisir. Il n’en fallait pas plus pour qu’il commence à s’exercer à la maison et se rende compte que c’était ce qu’il voulait faire de sa vie. Dès le collège, il fait deux stages, l’un à La Chaumière de Joël Césari et l’autre au Château du Mont Joly de Romuald Fassenet, les deux étoilés Michelin les plus proches de chez lui. Une expérience qui renforce son envie et le pousse à intégrer un bac technologique à l’école hôtelière de Poligny. Il découvre tous les métiers de l’hôtellerie-restauration, de l’accueil des clients au service en salle. Pour se confronter à la pratique, il décide de compléter son parcours avec une mention complémentaire en desserts de restaurants à Biarritz. À 18 ans seulement, il part seul faire sa formation et passe ses weekends à faire des extras dans des étoilés pour un peu d’argent de poche : « À mon retour dans le Jura, je voulais être pâtissier. ».

© Christophe Fouquin
Travailleur acharné
Pour se lancer dans la vie active, Valentin Loison rejoint l’Hostellerie Saint-Germain, la table gastronomique de Marc Tupin. Il y restera quasiment 4 ans, le temps d’apprendre les bases et de découvrir l’entièreté du métier : « Auprès de Marc, j’ai appris ce que c’était d’être à la fois un chef, un patron et un propriétaire. ». Dans cette structure familiale, Valentin voit toutes les facettes d’une maison et évolue progressivement jusqu’à devenir second. C’est alors qu’il décide de repartir avec l’envie d’intégrer un établissement étoilé : « C’est un moment de flottement durant lequel j’hésitais entre la cuisine et la pâtisserie. ». Attiré par le soleil, le chef rejoint finalement la Côte d’Azur et obtient une embauche au Mirazur à Menton. Il intègre la brigade du chef Mauro Colagreco et son établissement déjà auréolé de deux macarons à l’époque et dans le top 5 des meilleurs restaurants du monde. Chef de partie au garde-manger à ses débuts, Valentin à la responsabilité d’aller cueillir lui-même les herbes et fleurs sauvages tous les jours dès 2 ou 3 heures du matin. Il récolte quotidiennement 80 à 90 variétés différentes et poursuit sa journée au restaurant : « On travaillait énormément. On pouvait faire 360 plats différents à l’année, nous étions préparés à l’imprévu. Le rythme était très difficile mais j’apprenais beaucoup et très vite. ». Rapidement, le Mirazur décroche la 3e étoile, un moment exceptionnel et suspendu dans le temps :
« Au moment de la cérémonie du guide Michelin, je vois deux chefs monter sur scène et récupérer les trois étoiles. Il y a Mauro Colagreco d’un côté et Laurent Petit de l’autre. Je ne connaissais pas du tout Laurent alors je me suis renseigné. ».
L’année suivante, Valentin occupe tour à tour tous les postes les plus importants et décide, au bout de 3 ans, de repartir vers de nouveaux horizons. Mais il n’est plus seul désormais puisqu’Anaïs Bercegeay, sommelière au Mirazur, l’accompagne également dans la vie. C’est alors qu’il repense au chef Petit et apprend que le Clos des Sens recrute. Ils postulent et sont embauchés ensemble, Valentin en cuisine et Anaïs en sommellerie, avec la responsabilité de développer les accords sans alcool. Ils découvrent un établissement et un chef aux antipodes de ce qu’ils ont connu précédemment, une ambiance calme, une liberté pour chacun et la possibilité de laisser parler leur créativité.

© Christophe Fouquin

© Matteo Carassale

© Matteo Carassale

© Matteo Carassale
Donner du sens
À la fin de la première année au Clos des Sens, le couple apprend l’intention de Laurent Petit de transmettre l’établissement. Valentin, alors chef exécutif, se charge d’entamer la transition culinaire. Il participe au changement de carte et à l’élaboration des plats mais aussi au sourcing des produits. Il monte un réseau de producteurs autour d’Annecy et maitrise sa cuisine de A à Z. Après le départ du chef Petit, Le Clos des Sens conserve ses macarons et Valentin prend conscience de sa capacité à créer et cuisiner pour un
3 étoiles. Avec Anaïs, ils murissent la décision d’ouvrir leur propre affaire. Dans le même temps, la proposition de Martine et Laurent Petit arrive sur la table. Le projet n’est pas ce qu’il est aujourd’hui et il faudra quelques mois au couple pour se décider à se lancer dans une aventure qu’il n’avait pas anticipé : « J’avais un peu peur d’être en milieu rural et incompris. Je voulais faire ma cuisine et que les clients se déplacent pour ça. » détaille Valentin. Au fil de nombreux échanges, les deux couples se mettent d’accord sur les grandes et les petites lignes du Clos Vauban. Laurent Petit apportera le coup de projecteur mais c’est bien Valentin Loison qui sera dans la lumière et occupera seul les cuisines.
Chacun arrive avec sa signature et ses exigences. Valentin, lui, veut un potager. Avant l’ouverture de l’établissement à la fin de l’année 2024, il travaillera jour et nuit avec Anaïs et des amis pour mettre en terre 4000 plants tout autour de la maison : « Je me retrouvais à arroser avec une lampe frontale jusqu’à 3 heures du matin. ». Oui, car si la cuisine de Laurent Petit était lacustre et végétale, celle de Valentin est vivrière et forestière, locale en somme. Le chef fait pousser un très large panel de fleurs, herbes, légumes et autres plantes à des fins de préservation. Avec chaque produit, il fait des préparations et des fermentations qu’il utilise constamment dans sa cuisine : « Cela me permet d’avoir une touche de jardin tout au long de l’année mais aussi d’introduire la notion de voyage dans ma cuisine. ». Avec des produits d’ici, le chef fait des préparations d’ailleurs comme du kimchi, de la harissa ou encore des huiles et des vinaigres très originaux, de fruits ou de légumes. Ces fermentations artisanales apportent également une certaine acidité particulièrement appréciée par le chef. Pour appréhender sa technique, il suffit de gouter à son plat phare qui n’a pour le moment jamais quitté la carte : l’échalote. Gardée pendant 60 jours à environ 45 degrés sous vide jusqu’à ce qu’elle devienne presque noire, elle s’accompagne à merveille de polypode, une fougère au goût de réglisse. De même, dans son plat de betterave, on retrouve une préservation de fleurs de capucine au goût poivré et piquant mais aussi une sauce civet faite uniquement de légumes. « J’aime prendre le contrepied d’un produit que tout le monde connait. Le cerveau s’attend à retrouver certaines saveurs mais on le bluffe complètement. ». explique-t-il. Et parfois, il s’agit simplement de valoriser un produit sans artifice : « Il m’est arrivé de servir un morceau de bœuf comme ça, sans rien d’autre. Je l’avais fait maturer et griller à la flamme. Parfois c’est presque plus difficile de faire très simple. Mais quand on a un beau produit, il faut savoir ne pas en rajouter. ».
Nature et économie locale
En arrivant à Langres, Valentin Loison n’avait aucune idée des producteurs avec lesquels il pourrait travailler : « Il y a beaucoup de solidarité ici. C’est un ancien journaliste du coin qui m’a présenté les premiers producteurs qui pourraient nous intéresser. ». Ensuite il a fallu associer sa réflexion de cuisinier à la logique de maraichage : « Par exemple, lorsque je plante mes poireaux, je ne les récolte pas. J’attends la deuxième année pour qu’ils montent en fleur et là j’utilise la fleur. Je ne suis pas intéressé par le rendement mais par l’usage complexe de la plante. ». Il a fallu passer du temps à échanger avec les producteurs pour expliquer la finalité du produit et ce que le chef souhaitait. Pour être plus précis encore et pragmatique, le chef a décidé de faire 3 semaines de service à blanc avant l’ouverture de Bulle d’Osier et d’inviter ses partenaires de tous les corps de métier afin qu’ils puissent appréhender sa cuisine et la comprendre. Dans sa cuisine il y a toujours une réflexion qui consiste à ne rien gâcher : « Lorsque je travaille le poisson, souvent le sandre ou la truite, je l’écaille moi-même et je le mets à maturer entier sans sel pour obtenir une texture proche de celle de la volaille. Concernant la viande, je reçois les bêtes entières que je prépare pour utiliser tout ce qui est possible. ». Ici, des produits à la décoration en osier jusqu’à l’assiette en passant par les couverts, tout est réfléchi pour utiliser au maximum le vivier local sans s’interdire les écarts, rares mais parfois nécessaires. Le produit est certes primordial mais le client vient aussi pour éprouver quelque chose au niveau de l’esthétique et du goût :
« Je rythme toujours la dégustation pour que l’on ressente quelque chose à la première bouchée et autre chose à la seconde. J’imagine ça comme une musique, pour que ce soit beau il faut que ce soit nuancé : acide, gourmand, mijoté, réduit, concentré… ».
Ainsi, le chef complexifie les plats par le travail des sauces et brouille les pistes en proposant un plat qui peut être compliqué ou clivant puis tout de suite derrière une assiette à la sauce gourmande et rassurante : « Les sauces permettent de rassembler tout le monde. ». Valentin pense toujours aux transitions et à l’harmonie globale. C’est de cette façon qu’il a créé un prédessert, un plat qui permet de quitter le salé pour entrer dans le sucré. En ce moment, il associe une crème glacée au lait de chèvre, des topinambours et du caviar.
Fulgurance
En l’écoutant parler de sa cuisine, on imagine toute la précision que cela nécessite. De ce côté-là, le chef est surprenant, à l’écoute de son instinct et de ses connaissances acquises au fil du temps et de ses expériences : « Je cuisine un peu à l’ancienne, j’aime bien travailler mes bêtes entières, je ne mets jamais de thermomètre dans mes viandes et je ne goute jamais mes plats, je n’en ai pas besoin. » dit-il en souriant. Valentin Loison souhaite sauvegarder et transmettre l’aspect authentique de la cuisine, de bout en bout : « Un jour un critique gastronomique a dit à Laurent Petit qu’on ne ferait jamais un bon plat en remontant du jardin. Je ne suis pas du tout d’accord avec ça. Lorsque je vais dans mon jardin et que je regarde mes plantes pousser, ça inspire toute ma cuisine. ». C’est seulement quelques semaines après l’ouverture que Valentin Loison s’est vu décerner son premier macaron. Une récompense éclair et incroyable pour une adresse qui n’a même pas eu besoin de rodage tant l’état d’esprit est limpide et les acteurs talentueux. Ce premier macaron en appellerait-il d’autres ? Oui, assurément : « Pour m’assurer d’avoir une étoile tout de suite, je me suis efforcé de faire des plats 2 étoiles. C’est le scénario idéal pour nous car cela nous laisse le temps de nous installer sans nous fragiliser. Pour viser la deuxième, il faudra cuisiner comme un 3 étoiles. ». C’est dit !
En coulisse avec
Laurent Petit

© Matteo Carassale

© Matteo Carassale
Comment est né le projet du Clos Vauban ?
Avant mon départ du Clos des Sens, j’ai rencontré un jeune stagiaire en cuisine qui était Langrois et il était très vindicatif sur la beauté de la ville. Il disait : « Je suis né là-bas, je mourrai là-bas ». Moi qui suis originaire d’un petit village tout proche, je me suis rendu compte que je n’avais même jamais emmené ma femme Martine à Langres. Alors je rattrape le temps perdu en quelque sorte.
Souhaitiez-vous dès le départ créer un restaurant étoilé ?
Au tout début non. Nous voulions monter une petite brasserie pour s’amuser et puis très vite nous avons imaginé une table d’hôtes et en fait ça ne fonctionnait pas. On est finalement arrivé à la conclusion que si je venais à Langres sans apporter quelque chose en plus, les clients allaient être frustrés. Il fallait éclairer cette adresse. Le combo Relais & Châteaux, restaurant gastronomique et brasserie, c’est la recette du succès.
Pourquoi avoir choisi Valentin Loison et Anaïs Bercegeay ?
J’ai dit à plusieurs reprises que c’est le cuisinier le plus prometteur que j’ai croisé dans les trois dernières décennies. Au Clos des Sens, il était chef exécutif, autant dire qu’il était à la fois le cuisinier et le cerveau, mais aussi l’homme de l’ombre. Quant à Anaïs, elle était la numéro 2 en sommellerie avec un talent incroyable, ici elle se révèle complètement. Avec Martine nous sommes simplement là en support et pour le management. Nous souhaitons désormais accompagner les jeunes et faire naitre de nouveaux talents.













