« On ne se sous-estime pas, sourit Stéphane Dattrino, mais on ne se surestime pas non plus. On fait la cuisine qu’on a envie de faire pour faire plaisir à nos clients. » Et c’est réussi. La fera du Léman « juste fumée comme il faut », emmaillotée dans sa spirale de céleri rave, comme un maki, ramène aux saveurs lacustres premières. Le vin blanc que propose Magali Dattrino a de quoi réconcilier les plus dubitatifs quant à la Roussette de Savoie. La minéralité de ce Domaine de Chevillard 2018, sec, légèrement fruité, est une révélation. « C’est un domaine qui monte en flèche », explique-telle. Il accompagne à merveille la délicatesse des filets de perche du Lac Léman de chez Vincent Coly, beurre de noisette, servis sur un carpaccio de champignons. C’est tiède, fin, infiniment savoureux. Le citron confit vient bousculer tout ça ; les noisettes du Piémont croquent sous la dent. Magnifique. L’œil « se rince » de la beauté du plat autant que les papilles s’affolent. Coup de cœur des propriétaires, les assiettes, bols à fond plats et autres contenants de la céramiste Aurélie Abcéramique, dans le Gers, subliment les plats. « Cette maison, elle nous ressemble », affirme Magali Dattrino que les verres à eau de Murano ont séduite. Ponctuations liquides sur les tables en poirier martelée par les coups de gouge d’un ébéniste de la région.


LE GOÛT, C’EST LA LIGNE DE CONDUITE
Membre du Collège culinaire, formé chez des maîtres comme Joseph Viola, Didier Oudil, et second de Laurent Petit au Clos des Sens *** durant sept ans, Stéphane Dattrino trace son chemin singulier avec pour unique ambition de se consacrer à sa passion pour la cuisine, pour le plaisir de ses clients. « On n’a jamais espéré avoir l’étoile avec la cuisine qu’on sortait et la salle telle qu’elle était. Quand on l’a eue, on est tombés des nues, assure le chef, même si nos clients nous disaient : avec ce que vous faites, vous aurez une étoile. » Ce qu’il veut, Stéphane Dattrino, c’est laisser libre court à sa créativité, trouver de nouvelles associations. « On prend le risque de changer. On a une clientèle fidèle. Il faut se renouveler tout le temps ». Sa nouvelle quête : les jus végétaux. Celui qui accompagne le persillé de bœuf maturé de la boucherie Bocquet à Annecy, butternut et choux, est puissant. À l’Esquisse les légumes sont rois depuis toujours. Rien n’est jeté. Peaux et pépins de butternut, de topinambour, parures, feuilles ou pelures de poire finissent en bouillon, en sirop ou infusion pour des sauces et des sorbets aux saveurs originelles. Priorité au goût. C’est la ligne de conduite.
UNE CUISINE DE PARTAGE
Stéphane Dattrino l’assure : « il y a beaucoup de travail dans les assiettes, mais rien de démonstratif ». La tartelette aux champignons du chef en témoigne : sa duxelles de champignons bruns associée à une suée d’échalotes déglacées au Porto, puis crémées, se monte sur un biscuit de sarrasin au thym, beurré en diable, gelée aux cèpes, croute de poudre de cèpes, oxalis et graines de sarrasin cacha. Un savoir-faire énorme que l’on retrouve dans le sublime velouté de champignons qui accompagne le plat. L’Inspiration du chef se décline en 3, 5 ou 6 plats. Après le fromage préparé, on succombe à la « poire – laurier ». Avec son air de ne pas y toucher, cet exquis dessert aux saveurs vraies, résulte d’une recherche et d’un travail au long cours. Le laurier en sorbet : qui l’eut cru.
ON IRAIT VERS UNE PETITE AFFAIRE À LA CAMPAGNE …
Aussi loin qu’il s’en souvient, Stéphane Dattrino « a toujours été un peu dans les gamelles », celles de ses parents, italiens tous les deux, qui reprennent une pizzeria alors qu’il a une dizaine d’année. Dans la cuisine de l’Esquisse, véritable mouchoir de poche, Stéphane Dattrino réalise des prouesses gastronomiques. La structure de la maison ne lui permet pas de prendre un autre second. Avec Aurélien, fidèle second depuis plus de trois ans, et trois apprentis, il assure ses services du mardi au samedi, fait ses courses et se met à la plonge quand nécessaire. L’Esquisse se veut un lieu de partage autour d’une bonne table. « Un étoilé accessible et abordable, assure Magali Dattrino. On cherche à mettre les gens à l’aise ». Après les difficultés dues aux travaux sur l’immeuble, la période de pandémie et le manque de personnel, l’avenir, Magali et Stéphane Dattrino l’imagineraient volontiers au vert. « On irait vers une petite affaire, avec pas trop de personnel. J’y ferai une cuisine comme j’aimerai manger, pour le plaisir de mes clients », s’épanche le chef. Et que le Michelin ne s’avise pas de venir lui accrocher une étoile …