© Yves Marie Le Bourdonnec
Comment cette idée de faire maturer de la viande vous est venue ?
Yves-Marie Le Bourdonnec : Je suis installé depuis 25 ans. Depuis cette date j’ai l’ambition de faire la meilleure viande possible. J’ai beaucoup voyagé pour comprendre toutes les formes d’élevage et les pratiques de découpe. J’ai rapidement vu qu’une viande pouvait s’améliorer en vieillissant un peu. La maturation est une pratique anglo-saxonne, leurs troupeaux s’adaptant parfaitement à cette méthode d’affinage.
Qu’est-ce que la maturation ?
L’objectif de la maturation est de faire disparaître le collagène qui entoure chaque fibre de la viande. Elle s’attendrit, permettant alors au gras de se diffuser et au produit de se conserver et de s’affiner afin d’en extraire toutes ses qualités organoleptiques.
Quelles en sont les différentes étapes ?
Elle se déroule en trois phases. La première démarre 10 jours après l’abattage de l’animal. On le sépare en cinq gros morceaux : les cuisses, la poitrine, l’avant (le collier et l’épaule) et le dos qui sera le seul à connaître une maturation longue. D’un seul tenant, il sera maturé pendant une trentaine de jours, avant d’être séparé en trois morceaux : les côtes, le contre filet et le rumsteak. Ainsi les faux-filets matureront en moyenne 40 jours, les trains de côte entre 40 et 60 jours et les côtes de bœuf jusqu’à 60 jours.
La seconde s’étend sur une vingtaine de jours et agit selon un procédé chimique bien établi. L’action des enzymes de protéases va peu à peu dissoudre le collagène, protéine à l’origine de la résistance des tissus musculaires.
Enfin, la dernière est un travail d’affinage. Le gras au même titre qu’un fromage va se bonifier en vieillissant. Grâce à la dissolution du collagène, il va se diffuser dans chacune des fibres musculaires. La viande va s’attendrir et son goût va se modifier afin d’être plus prononcé.
Quelles caractéristiques une viande doit-elle posséder pour une maturation idéale ?
Avant d’être consommées, toutes les viandes connaissent une période de maturation – entre 1 à 2 semaines – quelque soit l’animal. C’est elle qui permet la transformation du muscle en viande. Mais seules les viandes qui possèdent un bon équilibre de gras et de collagène tel que le bœuf, pourront rester en vieillissement pendant plusieurs mois. Il doit grandir de la manière la plus saine possible, dans les prés et être nourri uniquement d’herbages. Il faut également limiter le stress au maximum. A partir de là, on peut pratiquer une bonne maturation.
Quelles espèces utilisez-vous ?
J’utilise environ une quinzaine de races. Une bonne viande n’est pas forcément une race pure. Afin d’obtenir un faible taux de collagène et un bon équilibre de gras, des croisements sont souvent réalisés. On les appelle les races bovines mixtes. Nous croisons par exemple des bœufs Hereford avec des bœufs du Simmental ou Angus, des Limousines avec des Normandes, etc.
Certaines d’entre-elles se prêtent-elles mieux à la maturation que d’autres ?
Alors que les races anglaises et françaises mixtes se prêtent bien à la maturation, les races à viandes bovines françaises telles que la limousine, la charolaise et l’aquitaine ne se prêtent pas facilement à ce procédé. En maturation, leur collagène – en trop grand nombre – ne disparait pas complètement et son manque de gras l’empêche de bien se conserver. Au final, on obtient plus un faisandage qu’une maturation et la viande se détériore plutôt qu’elle ne s’améliore.
© Yves Marie Le Bourdonnec
© Yves Marie Le Bourdonnec
Quel est le stade idéal de maturation ?
Lorsque l’on obtient un juste équilibre entre la jutosité et le niveau de perte. A 60 % du poids initial, on se situe au bon stade. Si la perte est trop importante et ne justifie pas la qualité du produit, ça n’a plus d’intérêt. Cependant, au niveau gustatif, si la viande a été élevée et conservée dans de bonnes conditions, elle est toujours mangeable.
Quels sont les effets de la maturation sur les goûts, les saveurs et les textures ?
La maturation apporte un goût complètement différent de celui d’une viande fraîche. Les parfums se rapprochent de ceux d’un jambon cru espagnol avec des arômes de noisette. On note également la présence d’une cinquième saveur, l’umami, que l’on retrouve habituellement dans la cuisine japonaise ainsi que dans des aliments séchés et affinés tels que le fromage et le saumon fumé. Au niveau des textures, on se situe dans la grande tendreté, pas besoin de rajouter une noix de beurre à la cuisson.
Peut-on faire maturer sa viande chez soi ?
Sauf si vous possédez une chambre froide assez grande pour pouvoir contenir des carcasses entières, ça risque d’être compliqué ! La viande doit être maturée dans un environnement parfaitement sain, à une température de 2°C, et à un débit d’hydrométrie très régulier.
Enfin, quels sont vos conseils de préparation et de cuisson ?
Ces viandes sont cuisinées essentiellement grillées et rôties. Leur préparation s’effectue en trois phases. Dans une poêle ou sur une plancha, on marque la viande. On colore le morceau pour protéger sa jutosité. Ensuite, on la met à rôtir 10 à 15 minutes à 200°C. Enfin, on la laisse reposer autant de temps, sur une planche et sans aucune couverture. On n’y ajoute ni matière grasse, ni sel, ni poivre.