Situé dans le Top 5 des meilleurs aliments santé au monde*, le kimchi fait son apparition dans la capitale. Parmi les adeptes de cette recette, le chef Pierre Sang Boyer (L’Atelier Gambey, Paris 11) mixe ses origines pour faire de cette choucroute version coréenne un best-seller

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le kimchi n’est pas un nouveau personnage de manga à la sauce coréenne. Aussi populaire que notre sacro-sainte baguette, cette préparation à base de légumes fermentés a pignon sur table en Corée. Antiseptique, antioxydant, riche en vitamines et peu coûteux… Certains chefs français ont flairé le bon filon de cette préparation aux pouvoirs magiques. Pour s’en rendre compte, c’est dans la succursale du chef Pierre Sang Boyer que nous avons rendez-vous, au 6 de la rue Gambey (Paris 11). Derrière sa dégaine décontractée, le maître des lieux sait ce qu’il veut. Pour lui, pas question de faire du kimchi un ingrédient de foire que l’on glisse par-ci par-là sous prétexte que la sphère bobo-gastro-parigote se l’arrache. Pour le trentenaire d’origine sud-coréenne, la maîtrise de ce plat traditionnel nécessite un portefeuille de connaissances qui va bien au-delà du domaine de la cuisine. Rencontre avec le maître Yoda du kimchi.

Comment l’idée d’utiliser la technique du kimchi a-t-elle fermenté dans ta tête?
Pierre Sang Boyer : Malgré mes origines sud-coréennes, le kimchi est un plat traditionnel que j’ai découvert tardivement, il y a seize ans, au cours d’un voyage professionnel. Adopté à l’âge de sept ans et demi par une famille de Haute-Loire, j’ai mis du temps à vouloir m’intéresser à mes racines. Au fil des rencontres, je me suis rendu compte que j’étais peut-être en train de faire une bêtise. Depuis, je suis reparti en Corée du Sud à plusieurs reprises et ce sont de vieilles dames qui m’ont initié au kimchi.

Comment s’est passée ta première fois ?
Comme toutes les premières fois, ça n’a pas été le coup de cœur immédiat ! C’était assez difficile à qualifier car même si je possède, de prime abord, tous les traits d’un Coréen, mon palais est formaté au goût français. Finalement, c’est un peu la même sensation que lorsqu’on boit sa première gorgée de vin quand on est enfant.

Tout comme Le Repas gastronomique des Français en 2009, Le Kimjang : préparation et partage du kimchi en République de Corée est inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco depuis 2013. Il fait donc pleinement partie de la tradition coréenne. Durant tes voyages en Corée du Sud, as-tu pu observer certains rites ?
Fin octobre, familles et voisins se réunissent pour partager leurs légumes et leurs recettes lors de la grande fête nationale dédiée au kimchi. Il est généralement préparé en grande quantité pour anticiper les besoins lors des mois d’hiver.

Il existe sans doute autant de variétés de kimchis que de familles coréennes, quelle est ta recette ?
Dans mon équipe, j’ai quatre chefs coréens et aucun ne possède la même recette. Je pense qu’il est important d’apporter son propre style dans des plats gorgés d’histoire comme celui-ci. J’aime dire que notre métier n’est pas d’inventer mais de réinterpréter.
Le kimchi le plus connu (Baechu Kimchi) est réalisé à base de chou chinois que l’on infuse dans une marinade et qu’on laisse fermenter. Ma marinade de base se compose toujours de produits de la mer tels que de petites crevettes fermentées coréennes, de la sauce aux anchois et nuoc-mam. Ils aident à la fermentation. On y ajoute ensuite de l’ail, du gingembre, de l’oignon et du piment Gochu-garu que l’on mélange avec de la soupe de riz (riz mixé et cuit dans son bouillon).

" J'aime dire que notre métier n'est pas d'inventer mais de réinterpréter "
Pierre Sang Boyer
Sarah Aubel - Agent Mel_DSC_7067 copy
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Certaines préparations changent-elles par rapport à la recette traditionnelle ?
La préparation du kimchi diffère en fonction du terroir où tu te trouves. Au sud de la Corée, il n’est pas rare de remplacer les crevettes par des huîtres. À Séoul, la recette est plus neutre, moins salée et moins pimentée. Certaines familles aiment également y ajouter un goût sucré en incorporant de la pomme ou de la poire.

Des légumes fraîchement cueillis à l’assiette, quelles sont les étapes indispensables ?
Une fois coupé, le chou est recouvert d’eau tiède et de gros sel pendant une nuit. Cette étape – similaire à la fabrication des cornichons – permet de garder plus de croquant par la suite.
Lorsque tous les ingrédients sont réunis pour la fermentation, bien penser à fermer dans un récipient hermétique pas totalement rempli en prévision du jus dégagé par la fermentation.

Existe-t-il un temps de fermentation idéal ?
Plusieurs paramètres agissent sur le temps de fermentation : la quantité, la température et le goût souhaité. Comptez au minimum quatre jours – dont deux à température ambiante et deux au frais. À partir de dix jours, on peut déjà ressentir un goût pimenté et iodé plus prononcé. S’il est possible de pousser la fermentation pendant plusieurs années, on se fixe cependant des limites par rapport au goût. Au restaurant, je ne proposerais pas le même stade d’affinage à un palais novice ou initié.

Une fois fermenté, est-ce possible de le réchauffer comme notre bonne vieille choucroute ?
Lorsque les températures sont trop élevées en été et accentuent la fermentation, le kimchi est servi sous forme de ragoût (Jjigae) accompagné de porc, d’oignon et de tofu. De notre côté, nous nous sommes inspirés de cette recette pour la retravailler sous forme de bouillabaisse.

Peut-on utiliser cette technique de fermentation avec des légumes français ?
Pour qu’un kimchi soit réussi, il faut qu’il s’adapte au goût français. Il faut privilégier des légumes assez fermes tels que le chou-fleur, le chou kale, la carotte, le navet, le céleri, le fenouil ou encore le concombre.

D’autres ingrédients sont-ils à privilégier ?
Le kimchi s’accorde très bien avec des poissons comme la daurade, en filet ou en carpaccio. Il peut aussi apporter de la fraîcheur à une pièce de viande marinée. Enfin, l’œuf constitue également un formidable liant.

Faire découvrir le kimchi aux enfants, c’est un challenge que tu relèverais ?
Non car je ne souhaite pas dénaturer cette recette traditionnelle en masquant les goûts avec d’autres produits. Ils pourront goûter, c’est sûr, mais ce sera quitte ou double : soit ils aimeront, soit ils détesteront !
Enfin, si tu devais réaliser un plat mêlant tes deux cultures, française et coréenne, que cuisinerais-tu ?
Plus jeune, j’ai toujours ce souvenir de ma grand-mère qui nous faisait de la palette de porc avec le légume phare de notre région, la lentille du Puy-en-Velay. Le pot-au-feu qu’elle cuisinait aussi avec de la saucisse et du chou a également contribué à la création du plat phare du restaurant, les lentilles du Puy, kimchi, chipirons. C’est l’alliance de deux recettes traditionnelles françaises twistées à la sauce coréenne.

[Texte Clémence Rouyer]