Aux commandes du seul vaisseau amiral parisien du groupe Bernard Loiseau, Maxime Laurenson insuffle un vent de sincérité dans la cuisine de Loiseau Rive Gauche depuis mai 2016. Chef naturaliste, le jeune Auvergnat milite pour la défense du terroir français, sans prétendre donner de leçon. Rencontre avec un candidat sérieux du palmarès étoilé du guide Michelin 2018.

Comment a démarré l’aventure à Loiseau Rive Gauche ?
J’étais arrivé à une étape de ma carrière où je me sentais prêt pour devenir chef. Un ami m’a présenté madame Loiseau. Je suis allé cuisiner pour elle à Saulieu. Après quelques tests, le chef Patrick Bertron (chef du Relais Bernard Loiseau**) m’installe à une table en cuisine. Dominique Loiseau vient me rejoindre et me confie : « j’aimerais que vous vous fassiez plaisir et que vous fassiez plaisir aux clients ». La phrase a résonné. Travailler pour elle est devenu une évidence.

A votre arrivée, aviez-vous une vision de la cuisine que vous alliez proposer ?
Elle était déjà affinée. Mais, je ne voulais pas bousculer la clientèle, qui compte de nombreux habitués. J’ai décidé d’ajouter des nouveautés progressivement jusqu’à aboutir à une carte plus personnelle aujourd’hui.

A quelle fréquence la carte est-elle renouvelée ?
Un plat dure en moyenne quinze jours. Je considère qu’en réalisant les mêmes plats, on en perd l’instinct de base. Et l’instinct de base, c’était la magie.

Comment résumeriez-vous votre style en cuisine ?
C’est une cuisine qui est liée au terroir, c’est-à-dire à celle d’une terre et des hommes. Les producteurs sont une source d’inspiration. Ils m’imposent la matière première disponible.

Pourquoi êtes-vous attaché à cette notion de terroir ?
C’est ce qui me résume le mieux. Nos paysans sont en danger. Ils sont étouffés par les restrictions imposées par l’Union européenne. Parmi eux, il y a des gens qui s’astreignent à produire de la qualité. Et ce sont eux que je veux valoriser. Le métier de cuisinier, c’est celui du produit.

Etes-vous un cuisinier militant ?
Je ne juge personne. Je fais ce que je crois être bon. Je me dis qu’en mettant nos paysans en valeur, les consommateurs réagiront et auront envie de préférer le producteur qui travaille à côté de chez eux, plutôt que la grande surface. Je travaille le maximum de produits français. J’adorerais cuisiner des carabineros. Mais si j’en commande, elles proviendront soit de l’Océan Indien, soit du fin fond de l’Espagne. Quelle est la conception d’une cuisine qui travaille les produits de l’autre bout du monde ? Notre métier est lié à notre environnement.

" L'objectif ultime est de faire plaisir aux clients "
Maxime Laurenson
Loiseau RG 001-Philippe Schaff
Loiseau RG 001-Philippe Schaff
© Photo Romain Herlin Photographie

Les chefs doivent-ils jouer un rôle pour changer les habitudes alimentaires des consommateurs ?
Je pense, oui. Toutefois, on ne vient pas au restaurant pour prendre une leçon, ni pour réfléchir.

Chef créateur, vous n’avez pas pour autant oublié d’apprendre les bases de la cuisine française en travaillant auprès de grandes maisons…
à mes débuts, je n’avais aucune formation en cuisine. Après un passage par le Canada, c’est la Cabre d’Or, aux Baux de Provence, qui m’a mis le pied à l’étrier. Je suis parti ensuite à Lyon. Je voulais travailler aux côtés d’un MOF, et plus particulièrement à la Mère Brazier. Avec mon CAP Cuisine tout juste en poche, je démarre auprès de Matthieu Viannay en tant que commis. Trois mois plus tard, je passe chef de partie poisson. à l’époque déjà, j’avais un réel besoin de créer. Et le chef Vianney m’a laissé l’opportunité de faire des essais.

Mathieu Vianney est votre mentor ?
Non c’est un chef qui a changé ma vie. J’éprouve tellement de respect pour sa cuisine.

Et s’il fallait en choisir un ?
Je me sens très lié à Jean Sulpice. Quand je travaillais à la Mère Brazier, j’avais déjà envie de partir cuisiner à Val Thorens (Jean Sulpice a cuisiné durant quinze ans dans son restaurant de Val Thorens, avant de reprendre l’Auberge du Père Bise, à Talloires, NDLR). Quinze jours avant l’ouverture, on enchaînait les essais, sans cesse. On goûtait, en faisant fî du dressage. J’ai appris, jour après jour, à aiguiser les goûts, à découvrir des associations de saveurs. Avant de connaître Jean Sulpice, je pensais « cuisine » différemment. Je mettais en place un visuel que j’essayais de reproduire.

Pourtant, le visuel de vos plats est esthétiquement affûté…
Il est surtout instinctif ! Je ne réalise plus de croquis. Un dressage qui vaut aujourd’hui n’est pas garanti demain. Je peux avoir envie de tout changer au dernier moment.

S’il fallait résumer ce que l’expérience auprès de Jean Sulpice vous a apporté…
Un état d’esprit. Une manière de travailler et réfléchir.

La nature est votre point commun le plus évident.  Avez-vous été inspiré à Val Thorens par de nouvelles plantes ?
J’en connaissais déjà beaucoup. Le terroir ressemblait à celui du Massif central, où j’ai grandi et où j’ai appris à découvrir les herbes et les fleurs. Jean Sulpice m’a surtout appris une manière différente de les utiliser, en apportant une fraîcheur et une longueur dans les sauces. La reine des prés, le sureau et le jasmin sont mes trois plantes phares. J’adore surprendre mes clients avec la reine des prés. Lorsque j’étais sous-chef au Lancaster à Paris, j’ai initié l’installation d’un jardin sur le toit. J’ai sélectionné toutes les plantes, comme la marjolaine, la verveine, l’agastache.

Votre cuisine est aujourd’hui définie par votre personnalité. Comment peut-elle encore évoluer ?
Elle évoluera au fil de mes propres changements et de ceux de ma brigade. L’objectif ultime est de faire plaisir aux clients. Je me remets perpétuellement en question. Le jour où ce ne sera plus le cas, je changerai de métier.