«Trendy » à New York ou bien « tradi » en Thaïlande, le bouillon crépite aux quatre coins du globe. Désormais, exit le bouillon de grand-mère ringard et désuet, le nectar se déguste à la petite cuillère. Pour s’en rendre compte, c’est dans les cuisines du chef William Ledeuil (Ze Kitchen Galerie*, Paris VI) que nous nous sommes rendus pour percer les secrets de cette potion magique. Dans son chaudron, il n’hésite pas à mixer combawa, citronnelle, basilic Thaï, piment d’Espelette ou encore algue kombu pour donner du peps à ses recettes. À mi-chemin entre la France et l’Asie, il a fait du bouillon un plat à part entière : Tom Kha Kaï au ris de veau, minestrone de légumes au basilic Thaï, pot-au-feu, bœuf laqué et papaye, pho de gambas, bouillon de châtaignes, dattes au vin de noix… il n’y a pas de quoi faire la soupe à la grimace.
© Arnaud Dauphin Photographie
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Peut-on dire que vous êtes tombé dans la marmite étant petit ?
William Ledeuil : Oui, depuis toujours ! Lorsque j’étais enfant, nous avions chaque jour un bouillon, une soupe ou un velouté au repas du soir. À la campagne, près de Sancerre, mes parents tenaient également une boucherie. Pot-au-feu, poule au pot et blanquette de veau étaient des plats que nous avions souvent à table. À l’époque, le bouillon était au centre de la cuisine familiale.
Comment devient-on un druide du bouillon ?
Apprendre à réaliser un bouillon fait partie intégrante des bases de la cuisine française. C’est chez Guy Savoy que j’ai réalisé mes premiers jus et fumets. Autodidacte, j’ai par la suite appris comment le signer pour qu’il devienne un plat à part entière et non simplement une base de préparation. Il ne s’agit pas d’écrire « bouillon Thaï » sur une carte pour que ça en devienne un. La préparation est un peu plus complexe que ça !
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C’est quoi alors, un vrai bouillon Thaï ?
Le plus emblématique est le Tom Kha Kaï, composé traditionnellement de lait de coco, de poulet et de citronnelle. Au restaurant, nous avons un peu complexifié la recette en y ajoutant de la pâte de curry, du basilic thaï, du combawa, de la sauce Nuoc Mam, du sucre de canne et du jus de citron pour l’assaisonnement.
Quelle a été la première recette de bouillon que vous avez réalisée ?
Il s’agit justement du Tom Kha Kaï. J’ai d’abord appris l’art du bouillon à travers les livres avant de décoller, huit mois après l’ouverture du restaurant, pour l’Asie. Il m’aura tout de même fallu une dizaine d’années pour maîtriser l’assaisonnement. Ce n’est qu’après un voyage en Thaïlande que j’ai compris les subtilités de la sauce Nuoc Mam, très saline. Aujourd’hui, je suis désormais capable de savoir si elle a été oubliée lors de la préparation même si, au final, on ne doit pas la sentir.
« La citronnelle est quasiment dans tous mes bouillons. C’est frais, rafraîchissant et très parfumé. »
Alexandre Dumas a dit à son époque que « la cuisine française doit sa supériorité à l’excellence du bouillon français ». Est-ce qu’aujourd’hui vous avez l’impression que cette phrase est toujours d’actualité ?
Lorsqu’on dit « j’ai envie d’un bouillon », on pense tout de suite à « je ne suis pas bien, j’ai fait des excès », il me faut un bouillon ! Ici, on propose autre chose. Si le savoir-faire du bouillon est français, en revanche, l’assaisonnement est libre. Dans la cuisine française, on fait transpirer la volaille, on coupe les légumes en petite taille pour leur donner un maximum de parfum. Dans notre cuisine, le bouillon constitue davantage une aide culinaire qu’un plat à part entière, ce qui n’est pas le cas en Asie où il est ancré dans la culture. Là-bas, les gens en boivent dans la rue cinq à six fois par jour.
Pour vous, c’est quoi un bon bouillon ?
Un bon bouillon doit avoir du goût. Pour moi, c’est l’essentiel ! Il doit être limpide et très parfumé. Un Tom Kha Kaï par exemple doit afficher une belle couleur pastel, sans coloration. Si la robe est plus sombre, je sais que mon goût sera modifié. Un visuel trouble et peu attractif ne donne pas envie de s’y plonger.
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Lorsqu’on réalise un bouillon, quels pièges faut-il éviter ?
Pour avoir un bouillon très parfumé, il est important de couper tous les végétaux en petits morceaux avant de les faire suer pour faire ressortir leurs sucs. Les viandes sont quant à elles blanchies avant d’être incorporées dans le bouillon. Cette étape permet entre autres de retirer toutes les impuretés. Il est également important de ne pas presser le temps. Quoi qu’il arrive, il faut qu’un bouillon cuise doucement – plusieurs heures jusqu’à ce qu’il soit tiède – sinon il sera trouble.
Quelle est l’importance de démarrer un bouillon à l’eau froide ?
Cela va permettre en arrivant à ébullition de récupérer toutes les impuretés. Les protéines vont remonter en surface avant d’être écumées pour apporter de la limpidité au bouillon.
Quels sont les ustensiles indispensables pour la préparation d’un bouillon ?
Une belle et grande marmite afin de pouvoir préparer une grande quantité de bouillon. Il faut également une petite louche pour écumer le bouillon. Un petit pinceau ou un sopalin seront aussi pratiques pour essuyer le bord de la casserole au cours de la cuisson. Enfin, un chinois-étamine est indispensable pour filtrer les particules et ainsi obtenir un bouillon limpide. Avoir à disposition des petits contenants est un plus pour pouvoir ensuite congeler le surplus.
Chaque druide a son petit ingrédient secret pour réussir sa potion magique, quel est le vôtre ?
La citronnelle est quasiment dans tous mes bouillons. C’est frais, rafraîchissant et très parfumé. La feuille de combawa et l’algue kombu sont aussi des fondamentaux. Ce sont eux qui vont permettre de signer un bouillon, ce sont des exhausteurs de saveurs.
Au contraire, certains sont-ils à éviter ?
Il n’y a pas de piège mais faire un bouillon, ce n’est pas un fourre-tout dans lequel on met les parures de légumes que l’on fait ensuite cuire pendant plusieurs jours. Certaines règles sont à respecter, comme l’ajout des herbes et des agrumes en dernière minute pour conserver la fraîcheur des éléments.
L’apprentissage des bouillons a-t-il été plus long à maîtriser que celui des agrumes ?
Chaque ingrédient que l’on glisse dans les bouillons permet de créer de nouvelles combinaisons, alors que les agrumes, il faut vraiment les comprendre. Il est bien plus facile de boire 1 L de bouillon plutôt que de travailler un 1 kg d’agrumes.