Dans leur restaurant lyonnais, les Apothicaires, Tabata et Ludovic Mey expriment avec sobriété une cuisine instinctive, audacieuse aux notes végétales, empreinte de leurs origines brésiliennes, savoyardes et des influences de leur tour du monde culinaire. La créativité est ainsi exaltée par la maîtrise technique.

Comment définiriez-vous votre approche de la cuisine ?

Tabata | Une cuisine de partage, identitaire, instinctive, spontanée et réconfortante à la fois qui ne cesse d’évoluer. Ayant jusqu’alors œuvré sous la tutelle d’autres chefs, désormais, nous ne voulons surtout pas d’étiquette, ni être rangés dans une case afin de jouir de la liberté de travailler tout et n’importe quoi selon nos envies du moment. Notre cuisine est simple mais pas simpliste. Aux côtés de Nicolas Lebec, j’ai saisi l’importance d’aller à l’essentiel en se débarrassant du superflu. Un plat doit se constituer de seulement trois éléments ciselés à la perfection. Plus une assiette est simple, plus elle est difficile à réaliser.

Comment parvenez-vous à créer ensemble ?

Ludovic | Former un duo dans ce métier est une force. Nous nous stimulons et n’hésitons pas à nous remettre en question pour progresser. Complémentaires dans la phase de création, je commence à composer à partir d’une simple idée ou d’un produit et Tabata apporte ses connaissances techniques acquises au cours de ses expériences passées. C’est pourquoi notre travail consiste d’abord à trouver des matières premières de qualité. Certaines recettes n’aboutissent jamais ou plus tard mais la création mène à la création.

Où puisez-vous l’inspiration ?

Tabata | De nos voyages, d’un souvenir, d’une ballade ou encore de la galerie d’art voisine, l’inspiration peut venir de n’importe où mais encore faut-il ne pas la chercher. À mon arrivée en France, avec ma mère, nous avons été enivrées par l’odeur des marrons chauds dans les rues en hiver. J’ai souhaité partager cette émotion en réalisant une recette de poisson cuit dans des bogues de châtaignes. Quant à mes racines brésiliennes, elles se révèlent davantage dans les desserts avec le gâteau mouillé au chocolat, les brigadeiros et bolinhos de Chuva. Enfin, grâce à Ludovic, je découvre peu à peu l’abondance du terroir savoyard.

L’inspiration peut venir de n’importe où mais encore faut-il ne pas la chercher.
Tabata Mey
Conserves
Conserves
© La Food by Thomas Dhellemmes
Tabata et Ludovic Mey
Tabata et Ludovic Mey
© Photo La Food by Thomas Dhellemmes
Les Apothicaires
Les Apothicaires
© La Food by Thomas Dhellemmes

Quel est votre plat signature ?

Ludovic | Ce sont plutôt des goûts, tels que le fumé ou le grillé, et des produits, comme la livèche à la fois végétale et puissante, que nous affectionnons. Notre carte est régulièrement renouvelée, nécessitant un conséquent travail de recherche. Effectivement, malgré notre attachement à certains plats, nous préférons explorer la diversité des saveurs et des techniques. Ainsi, les recettes ne sont pas figées mais peaufinées, voire réécrites, comme pour le risotto de navet. La racine est cuite dans un riz noir sauvage gluant, déshydratée puis arrosée de son jus pour obtenir une texture tendre et une douceur relevée par l’algue iodée. Dans notre cuisine, les légumes s’imposent naturellement et se suffisent souvent à eux-mêmes.

En quoi ce travail de recherche concerne également les techniques que vous utilisez, comme la fermentation ?

Tabata | Découverte au Danemark, nous avons éprouvé cette technique, pour la première fois, avec la sucrine. Bien qu’elle requière du temps et de la patience, la fermentation permet d’obtenir une acidité légère en bouche, d’exhausser les saveurs originelles sans les dénaturer et d’explorer de nouvelles tonalités. Grâce à cette méthode de conservation, nous travaillons des produits hors saison de qualité, comme des cerises en hiver pour accompagner un colvert. Spectateurs, nous laissons la nature faire. Un processus pouvant tout de même être stoppé afin de trouver la juste acidité. Mais, au-delà de l’exaltation de la découverte, nous ne parvenons pas toujours au résultat escompté.

Quelles autres techniques mettez-vous en pratique ?

Ludovic | La fermentation n’est ni une obsession, ni une obligation. Déshydratation, fumage, si rien n’est dans l’assiette par hasard, c’est, avant tout, un jeu d’expérimenter et combiner diverses techniques dans nos recettes. À l’exemple de la poudre de courge, une fois déshydratée et fermentée, elle pétille sur la langue. En ce sens toujours, nous fabriquons nous-mêmes nos charcuteries, nos vinaigres à la pomme ou encore au fenouil et envisageons aussi, par la suite, de maturer nos viandes.

À quoi aspirez-vous désormais ?

Tabata | Considérer la viande ou le poisson comme l’élément central d’un plat nous apparaît, parfois, comme une contrainte. Il en est de même pour le traditionnel protocole « entrée, plat, dessert ». Avec le temps, nous aspirons à nous libérer de cette vision restrictive et conventionnelle de la cuisine. Dans notre quête constante d’exploration, nous veillons, malgré tout, à respecter les attentes de notre clientèle, à conserver ses repères afin de l’amener à découvrir sans pour autant la déstabiliser.

Former un duo dans ce métier est une force.
Ludovic Mey

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LA FERMENTATION, C’EST QUOI ?
La fermentation est un processus naturel transformant le sucre contenu dans les aliments privés d’oxygène en acide, en gaz ou en alcool grâce aux microorganismes présents ou ajoutés (bactéries, levures, moisissures). Contrairement à la pasteurisation, ce procédé ancestral de conservation permet de préserver le goût, les vitamines et les minéraux d’origine tout en développant de nouvelles saveurs et textures. Pain, vin, fromage, nombre de produits du quotidien résultent de cette action. Contribuant à limiter le gaspillage, cette pratique faciliterait aussi l’assimilation et la digestion des aliments.