Cuisinier au cœur de pirate, Éric Guérin a fait du poulpe son produit fétiche. Qu’il soit confit, fumé et même en carpaccio, ce monstre des mers est devenu entre ses mains un véritable atout gastronomique.

Avec ses bras tentaculaires, ses yeux globuleux et sa texture visqueuse, la pieuvre occupe pour bon nombre d’entre nous la place de monstre marin. Sous son apparence peu flatteuse, le céphalopode surprend par sa puissance, son intelligence et son pouvoir de séduction ; on le rencontre d’ailleurs aussi bien dans les romans de science-fiction que sur les peintures ou sculptures antiques. Les civilisations grecque et japonaise l’appréciaient déjà. Très populaire sur les rives de la Méditerranée, le mollusque gagne peu à peu les côtes de l’Atlantique. Accosté sur son île de Fédrun, Éric Guérin, cuisinier à la dégaine de pirate, a réussi à dompter ses tentacules. À travers sa technique de travail singulière, il a su redonner à ce mal-aimé de la cuisine sa noblesse légendaire.

Eric Guérin
© Matthieu Cellard

Éric Guérin et le poulpe, ça remonte à quand ?

Éric Guerin : Le poulpe est un animal qui possède une double personnalité. Effrayant de prime abord, il fait ressurgir notre peur des profondeurs. Puis, c’est aussi le souvenir de mes vacances passées à Biarritz où j’attrapais les poulpes qui se cachaient dans les rochers.

Vous en mangiez étant plus jeune ?

S’il m’arrivait de le pêcher, je me refusais d’en manger. C’est véritablement en Grèce, bien plus tard, que j’ai découvert son potentiel à travers ses jeux de texture et son parfum iodé. Alors mal-aimé sur nos tables, je décide de montrer que le poulpe peut aussi être un produit noble. Bestiole marine des plus intelligentes, elle donne sa vie à sa progéniture en allant jusqu’à oublier de se nourrir pour ventiler ses œufs. Un sacrifice qui m’a donné envie d’apprendre à le cuisiner.

Plusieurs variétés existent-elles ?

Apprécié pour ses grosses pattes texturées, le poulpe de Méditerranée est fruité, presque un peu sucré. On le cuisine facilement en carpaccio. J’utilise aussi un second poulpe qui vient du Croisic. Il est petit, blanc avec les pattes plus fermes. Très iodé, il se marie bien avec des mets salés et des viandes comme le pigeon.

LA RECETTE En 10 minutes chrono
Après avoir plongé votre poulpe dans un bouillon pour le cuire, coupez de fines lamelles et disposez-le en carpaccio dans une assiette. Sur le dessus, ajouter des cèpes préalablement nettoyés et coupés en tranches. Rafraîchir avec un filet de citron vert, un jus de céleri branche pour le côté herbacé et une cuillère de vinaigrette.

On dit qu’il faut attendrir le poulpe pour le rendre comestible. Quelle est votre méthode ?

Une fois sélectionné (brillant, la chair ferme et l’odeur très iodée), on tape les bras du poulpe pour attendrir les chairs. Pour ce faire, il suffit de l’envelopper dans un linge et lui donner de petits coups répétitifs à l’aide d’un rouleau à pâtisserie. Ensuite je le rince en veillant à retirer les grains de sable restant et je le recouvre de gros sel pendant 15 minutes. Puis je le conserve au congélateur entre 24 et 48 heures, le temps de cristalliser les cellules.

Tout est bon dans le poulpe ?

Si tout se mange, on ne cuisine généralement que les bras. Visqueuse et moins savoureuse, la tête est rarement consommée. Mon astuce pour ne pas la jeter, c’est de la tailler en forme de tagliatelles que je fais ensuite sauter à la plancha avec un peu d’huile d’olive, de citron et que je sers avec un pain frotté à l’ail et à la tomate.

2 mots pour 1 animal
Souvent confondus avec le calamar géant, la pieuvre et le poulpe sont en fait un seul et même animal. Ils désignent chacun l’espèce reconnue sous le nom d’octopus vulgaris.

À quels modes de cuisson se prête-t-il ?

Après l’avoir laissé décongelé à température ambiante, j’aime bien le pocher quelques minutes dans un court-bouillon vinaigré à une température de 80 °C. C’est cette pré-cuisson qui va permettre de stabiliser le poulpe pour avoir un produit tendre. Cette étape apportera également une légère acidité qui, au moment de la dégustation, sera plus agréable en bouche. On peut aussi poursuivre la cuisson en le faisant revenir à la poêle avec un peu d’ail ou encore le laisser confire pendant près de 3 heures afin d’obtenir
une texture ultra fondante.

Au Japon, le poulpe se mange cru. Est-ce une expérience que vous avez faite ?

Oui, mais je ne pense pas que ce soit vraiment adapté à nos palais européens. C’est très gluant avec un morceau dur au milieu, je n’en aurais pas fait un repas ! Lorsque je le sers, je veille toujours à le précuire, même lorsqu’il s’agit d’un carpaccio.

 

 

JE ME PRENAIS POUR LE CAPITAINE DU BATEAU QUI VENAIT SE FAIRE ENGLOUTIR PAR LE MONSTRE MARIN.

 

 

 

Poulpe en transparence, saveurs de sous-bois
© Matthieu Cellard

Le poulpe peut effrayer au premier abord, avez-vous une technique imparable pour le faire aimer ?

Avec des fraises, sans hésiter ! Je le trancherais très finement de manière à casser le côté tentacule et je le servirais en salade, avec quelques radis pour le croquant.

Peut-on retirer les ventouses ?

Pour cela, la technique est de le cuire plus longtemps. Une première peau va se décoller et les ventouses s’enlèveront en même temps. En revanche, il sera plus friable. Pour avoir le goût sans la texture, la réalisation d’un bouillon est une bonne alternative. Il possède un côté terreux et très parfumé qui s’accordera parfaitement avec de la grenade, de la betterave, de la pomme ou du cidre.

Quelles sont les associations à privilégier ?

Le poulpe aime l’acidité et le salé. Les agrumes, le miso et la sauce soja fonctionnent très bien. Il apprécie aussi beaucoup les épices telles que le safran, le curry, le piment ou encore le poivre. Avec la tourbe que nous avons ici dans la région, je le laisse fumer à couvert et je le sers ensuite avec des pommes de terre au beurre, un vrai délice ! Pour cet automne, je le travaillerai plutôt avec quelques aubergines confites et plusieurs graines de sésame grillées à la mode japonaise. Le tout garni de quelques cèpes pour le côté terrien.

Dans les marais de la Grande Brière, sur l’île de Fédrun, à Saint-Joachim (Loire-Atlantique), le chef Éric Guérin profite d’un écosystème protégé pour pêcher, chasser et cultiver ses propres légumes.

Au contraire, certaines sont-elles à éviter ?

Les laitages lui donnent une côté caillé, un peu écœurant. Le poulpe a besoin d’acidité et de soleil pour se sortir de toutes ses angoisses.

Quel est le plat à base de poulpe qui vous a le plus marqué ?

C’était dans un restaurant en Grèce. Ils y font griller des bras qui mesurent plus de cinq centimètres de diamètre. Je me suis toujours demandé comment ils arrivaient à obtenir un résultat aussi fondant et caramélisé tout en conservant la texture, avec une pièce aussi grosse.

Qui dit produit signature dit forcément plat signature, quel est le vôtre ?

Il s’agit du pigeon de Mesquer rôti, poulpe grillé au poivre de Sarawak et sa purée fumée à la tourbe de Brière. Le pigeon possède à la fois ce côté sucré et sanguin qui s’accorde très bien avec la saveur iodée du poulpe. Pour la petite histoire, cette recette est née à une période un peu difficile de ma carrière. À l’époque, je me prenais pour le capitaine du bateau qui venait se faire engloutir par le monstre marin. J’aurais aimé être cet oiseau migrateur qui puisse m’emporter ailleurs. Aujourd’hui, c’est chose faite.