La couverture s’habille d’un tissu délicat. Votre visage est discrètement présent. Le grain des pages met en valeur vos recettes. Dans votre bibliothèque, cette parution sonne comme la plus intime…
C’est un livre incarné. J’ai vendu des millions d’ouvrages. Je ne regrette évidemment rien, cela correspondait à une époque. « Saisons » n’est pas un livre commercial. C’est un projet qui me ressemble et qui propose une photo de la cuisine que je réalise aujourd’hui.

 

Pourquoi proposer ce focus précisément sur les saisons ?
Elles dictent ma vie professionnelle et personnelle. Il existe tellement de livres de cuisines. Je me suis interrogé sur la manière de proposer un ouvrage moins conventionnel. Les saisons sont une manière de se différencier. Le livre ne se consomme pas d’un seul coup. Orchestrer les recettes autour des saisons permet de pouvoir faciliter le quotidien du cuisinier.

 

Les lecteurs n’ont-ils pas besoin de conseils pour mieux choisir leurs aliments et davantage respecter la planète ?
Chacun fait comme il veut et comme il peut. On sait tous qu’il faut manger de saison. On a suffisamment répété que les fraises au mois de décembre, ce n’est pas normal. Cuisiner de saison, c’est aussi un choix. Chacun doit s’interroger sur la façon dont il préfère s’alimenter. Cependant, je n’ai aucunement construit ce projet pour être moralisateur et dire « mangez des produits de saison ! ».

 

Les consommateurs n’ont jamais été autant incités à respecter le rythme des cultures. Les cuisiniers prennent position. Ont-ils un rôle à jouer dans les débats environnementaux ?
Quand on est cuisinier, on travaille toujours selon les saisons. On le répète assez qu’il faut consommer des produits de saison, solliciter l’agriculture locale, acheter Français. C’est important de défendre l’agriculture française et de revaloriser le travail de nos agriculteurs.

 

Est-ce qu’il y a une saison que vous appréciez davantage de cuisiner ?
Je préfère les cuisines d’automne et d’hiver. Elles sont réconfortantes, chaleureuses.

 

Vos racines aveyronnaises ont forgé une partie de votre identité médiatique. Pour autant, vous rendez hommage à Paris. Pourquoi ?
C’est une ville qui m’a tout donné. J’aime Paris, pour sa mixité, son architecture, ses musées, ses monuments, ses habitants. C’est ma ville, et cela n’enlève rien à mon attache aveyronnaise.

 

Et vous la remerciez à travers les recettes de vos restaurants…
Ce n’est pas un livre de cuisine maison mais le recueil des recettes que je propose chaque jour dans mes restaurants.

 

A la fin de chaque chapitre, vous proposez des recettes de cocktails. Vous nous aviez caché vos talents de mixologiste…. 
Les cocktails font partie de l’ADN de mes restaurants. Ils contribuent à l’ambiance et à l’identité du lieu. Un mixologiste en prépare dans chacun d’entre eux. Ils sont toujours de saison.

 

Les lecteurs qui ne se sont pas encore attablés chez vous seront surpris par l’exotisme de toutes vos recettes. Comment analysez-vous cette profusion de saveurs venues d’Amérique du Sud ou du Japon ?
J’adore la cuisine française bien sûr. La cuisine des épices, des marinades – ce que l’on appellerait une cuisine de voyage, me plaît parce que chaque plat est une aventure. Elle est devenue mienne.

 

Avez-vous toujours cuisiné de cette façon ?
Non. J’ai vécu à New York il y a cinq ans. J’y ai découvert le métissage de la cuisine, avec des saveurs épicées, loin de la culture française. J’ai apprécié ses différences et j’ai voulu me l’approprier pour l’écrire à ma manière. Le résultat, c’est une cuisine signée. Si demain, je refaisais un restaurant gastronomique, je le penserai de cette manière-ci.

 

En quoi est-elle différente de celle que vous réalisiez au restaurant Le Quinzième (fermé depuis l’été 2019, ndlr) ?
Elle était plus traditionnelle. Je respectais les codes imposés par ce type d’établissement. Les allers-retours entre Paris et New York m’ont permis de développer cet esprit de cuisine. Cela m’a fortement influencé dans l’expérience que je propose aujourd’hui dans mes restaurants.

 

Est-il impossible d’associer une vision voyageuse de la cuisine aux codes de la haute gastronomie ?
Si, mais il faut d’abord décider d’une fracture pour libérer l’esprit et repartir sur une partition complètement différente…

 

Vous imaginiez-vous un jour réaliser une cuisine aussi exotique ?
Quand on naît dans l’Aveyron, bien sûr que non. La vie c’est une petite, voire une grande, aventure (sourires). Jamais je n’aurais pensé être qui je suis. Moi, je voulais devenir chef dans un palace parisien. Ma vie a mis sur mon chemin différentes personnes qui ont nourri ma culture, mon intelligence et ont apporté de la sérénité dans ma cuisine.

 

Comme Mercotte. Et si vous sortiez un livre de pâtisserie tous les deux ?
Je n’y avais jamais pensé, merci pour l’idée (rires). Je l’adore tellement.

 

Cyril Lignac