À La Tania, à 1 400, au pied des pistes, Le Farçon, le restaurant atypique et gastronomique étoilé Michelin de Julien Machet débute sa saison hiver. Sa cuisine, puissante et raffinée, puise dans la richesse des traditions du Grand-Duché de Savoie, ce Royaume Sarde d’avant 1860 et célèbre les produits de terroir.

Avec une rude bonhommie toute savoyarde, le chef Julien Machet dévoile son inspiration, plaisante, pique et pointe la carte du Duché de Savoie, son territoire élargi depuis l’été dernier : du Piémont à la Sardaigne. « Ici, on fait la cuisine du colporteur ». Ainsi, la Route du sel, la Route des tommes et le Grand chemin baptisent ses menus. « On choisit un menu et on se laisse guider. Après, les casse-bonbons peuvent décacheter le parchemin du menu, » dit-il. Franc, Julien Machet l’est, tout comme sa cuisine. Ses « Légumes de Monsieur Allemoz assaisonnés comme une bagna-cauda » en témoignent. Les fines et tièdes lamelles de carotte, navet, navet jaune, topinambour, betterave rouge, radis noir et panais, à la texture parfaite, sont ponctués des pointes de crème d’ail et de crème d’anchois, anchoïade des cousins italiens réinterprétée. Élémentaire en apparence. Fameux en bouche, chacun des légumes distillant son goût singulier, relevé par quelques tranches de poutargue sarde pour fumer l’ensemble.

SE RÉCONCILIER AVEC LES VINS DE SAVOIE
Même simplicité pour la généreuse mise en bouche qui a précédé. Encore fallait-il songer à ce petit caillé de lait de nos montagnes, poireaux à cru, œufs de brochet, assaisonnés de miel de Sardaigne. Subtil, savoureux et sublimé par la rondeur dorée d’un vin blanc du Domaine Ravier, cuvée des Amandiers, une roussanne, sur le fruit confit. Parfait pour se réconcilier avec les vins de Savoie. Dans la salle réchauffée de bois, l’œil est aimanté par le Grand Bec, fraîchement replâtré. Devant les baies vitrées, le jardin potager du chef. Quand Audrey Guillery, maitre d’hôtel stylé, propose l’apéritif maison, humez le cœur de la flute avant que n’y soit versé le Royal Seyssel. Immersion surprise dans la grange de Mado, grand-mère adorée et crainte de Julien. Avec, les allumettes chaudes de Beaufort pané, un must, et le gressin du colporteur, savoureuses tartines garnies.

A L’ÉPOQUE, TOUT CE QUI VENAIT DU SUD PASSAIT PAR LES COLS ALPINS
Les cèpes de La Tania se devinent sous la raviole de fontine d’Aoste et émulsion de persil du jardin. Julien Machet tient son cap, celui du colporteur, carte à l’appui. « A l’époque, tout ce qui venait du sud passait par les cols alpins et se troquait sur les marchés à Lyon. Champagne contre épices. Ce n’est pas pour rien qu’il y a de la cannelle et de l’orange dans le vin chaud. J’apprends tout ça. » Lui, le mauvais élève qui petit préférait élever des agneaux et faire le jardin avec Mado, assiste aux conférences d’historiens pour comprendre la Savoie. « C’est une histoire de dingue ! » Un certain Jeff, puit de culture savoisienne, défend toujours l’indépendance de la Savoie dont la France n’aurait jamais ratifié le rattachement …

LE TERROIR ET LA PUISSANCE DU GOÛT
La cuisine de Julien Machet, c’est l’histoire de ses racines racontée avec sincérité. Sans chichi. « Je ne suis pas très petites fleurs ; je ne veux pas entrer dans une cuisine commerciale. Ce qui me caractérise, c’est souvent l’acidité, un peu le sucré-salé, aussi. Le terroir et la puissance du goût. » Une cuisine lisible, ponctuée d’associations insolites adressée à ceux « qui viennent manger ce que je leur donne à manger ». Au Farçon, ancienne crêperie de papa Fernand, devenu table étoilée en 2006, les skieurs des Trois Vallées apprécient le menu Ski Pass du midi. La moquette est étudiée pour étouffer le bruit. Pas de dress-code ici et les menus gastronomiques les moins chers de la vallée.

SA JACQUÈRE DE 30 ANS, MOI JE DIS, C’EST LA ROMANÉE CONTI DE LA SAVOIE
Le chef propose une Bouille de méditerranée à la rencontre du safran des Hurtières en Maurienne. « On a le meilleur safran du monde, ici ! ». La graphique soupe de poissons est parfumée en diable. La compotée d’ail fumé, démoniaque. Excellence soutenue par un Apremont, sec et tendu à souhait, cuvée Cœur d’Apremont, en 2015 de Jean-Claude Masson, un grand Monsieur, selon Julien. « Le seul en Savoie qui garde des millésimes. Sa Jacquère de 30 ans … c’est la Romanée Conti de la Savoie ! »

DES MERVEILLES D’ASSOCIATIONS AUDACIEUSES
Sur l’encre de l’assiette, la beauté orangée du rouget de la Baie de Nice, œufs de truite comme des bijoux et purée de potimarron. En bouche, les contrastes s’unissent : finesse du poisson, acidité des tomates vertes fermentées et beurré d’une polenta en gratons croquants. C’est extra. « C’est un plat qui me ressemble : deux éléments, une purée, un poisson, la sauce, merci, au revoir ! » Orange aussi, le velouté de potimarron, sorbet aux agrumes de Menton et popcorn de couenne de porc qui suit. Une merveille d’associations et de sensations en bouche. La viande de Tarine de Ritord, tendre, persillée, comme maturée, salsifis gourmands et sauce comme une blanquette fondent. Un Gamay et Pinot noir de la Chapelle du Prieuré, sur Jongieux, fruité et léger s’invite. On est bien.

BEAU SAGE EN ALLANT
Et l’on poursuit en douceur avec la pomme de Savoie acidulée, crème et noix. Ça excite, ça caresse et ça croque : un bonbon de prédessert. Il est suivi d’une mousse soufflée au chocolat et glace aux bourgeons de sapin. L’association est détonante, audacieuse, résineuse. Exquise et longue en bouche. Le café, chaleureux, libère le chef. Ses projets ? Finir de payer les murs, améliorer la décoration petit à petit. « Beau sage en allant » comme on dit ici. Et Julien Machet de rêver d’une maison ouverte à l’année … Ici ou ailleurs. Un montagnard, c’est sédentaire, mais c’est aussi très adaptable.

Suivez l’actualité du restaurant sur le web.