Il aurait pu poursuivre sa route dans des maisons étoilées mais Jérémie Muller cherchait un je-ne-sais-quoi d’autre qui ferait toute la différence. Au Domaine de Rymska, en Saône-et-Loire, le cuisinier surpasse son rôle de chef pour donner du sens à une cuisine auto-suffisante. Et totalement dans l’ère du temps.
Jérémy Muller
© Christophe Fouquin

Vous ne le verrez pas courir les étals du marché local ni s’approvisionner chez les producteurs du coin. Jérémie Muller donne plutôt dans ce qu’on pourrait appeler l’ultra-court. Et au Domaine de Rymska, là où le chef officie depuis l’ouverture il y a deux ans, on peut dire qu’il a misé sur le bon cheval. à la fois ferme d’élevage, haras de Purs-sangs, restaurant gastronomique et hébergement haut de gamme avec cinq chambres et suites, l’établissement ouvert il y a deux ans, détonne dans le paysage bourguignon. Il faut pousser un peu après un vallon, sur les hauteurs de Saint-Jean-de-Trézy pour apercevoir ce coin de monde. Un bout de nature authentique, comme laissé à l’état brut, avec ce souci constant de montrer ce qu’elle offre de plus noble. Non loin des chevaux, des vaches et des moutons broutant l’herbe du domaine de 80 hectares, potagers, coussins de fleurs comestibles, jardin d’aromates rythment la perspective et affûtent les papilles des bienheureux visiteurs des lieux. Avec une telle matière première à portée de main, Jérémie Muller, qui rêvait de campagne, se sent comme un poisson dans l’eau. Lui le chef lorrain de 39 ans, qui a travaillé dans de grandes maisons étoilées – il compte dans son palmarès Les Sources de Caudalie dans le Bordelais, Les Crayères à Reims aux côtés du triple étoilé Gérard Boyer et a affuté ses couteaux auprès de Michel Guérard – avait envie d’espace et de liberté. Au Domaine de Rymska, sa cuisine colle parfaitement au décor.

Ma cuisine se fait à l’instinct, au feeling.
Jérémy Muller

Prêt-à-cueillir

Dans l’assiette, pas de chichi – le chef n’aime pas ça – mais une volonté de rendre gloire à la production fermière et maraîchère de l’établissement. « On a la chance d’avoir de la viande et des légumes frais en direct grâce à la ferme du Domaine et au jardin. Les sublimer relève du bon sens », estime Jérémie Muller, à une époque où le consommer local n’a jamais autant imprégné les esprits. De la ferme à l’assiette il n’y a qu’une enjambée. A côté des vaches et des moutons qui encerclent les lieux, trois-cents pondeuses s’affairent au poulailler. Les œufs composent chaque menu du chef. Mais ne lui demandez pas de refaire la même recette. Jérémie Muller « fabrique » selon l’humeur du moment. Ce midi, l’œuf est ainsi enrobé d’un croustillant estival verdi des aromates du jardin qui tapissent les extérieurs, côté salle. Mais ce soir, soyez-en sûr, le chef présentera une toute autre version, sans doute agrémentée de ses récoltes fleuries, ou du légume prêt-à-cueillir de la journée.

Ici, la saisonnalité entre dans une autre dimension : elle se conjugue au « plus-que-présent ». Cuisiner l’instant, le produit à un moment où Jérémie Muller sait qu’il livrera ses saveurs les plus exaltantes, voilà le challenge. « Ma cuisine se fait à l’instinct, au feeling, résume le chef : elle se concentre sur le produit, en fonction de ce que j’ai ». Car si l’hiver, le Domaine travaille avec une maraîchère locale, le reste de l’année, c’est bien la vie de la ferme qui donne le ton dans les assiettes. « On est autonome à 100% pour la viande. On a la chance d’avoir des produits de grande qualité comme le boeuf Wagyu, cochon noir de Bigorre AOC , le porc laineux, que les clients découvrent en venant ici. Il faut de la cohérence entre ce cadre et ce qu’ils vont retrouver dans leur assiette »

Domaine de Rymska
Domaine de Rymska
© Christophe Fouquin
Domaine de Rymska
Domaine de Rymska
© Christophe Fouquin

Chef boucher-pêcheur

Grâce à cette inspiration en direct, Jérémie Muller laisse volontiers sa pince à dresser pour cuisiner décomplexé autour de la viande, devenue son produit de prédilection. Le jambon persillé assorti d’une crème de raifort et d’un mini-potager multicolore a les faveurs des habitués. A moins que la déclinaison de viande séchée à l’apéritif avec pressé de bœuf cuit cinq heures, rillettes et crémeux de céleri ne fasse pencher la balance. Le Lorrain, amateur de cochonnailles, n’a ni racine bouchère ou paysanne : mais au Domaine, il se sent comme un coq en pâte. Dans sa cuisine aux allures de laboratoire, la trancheuse, plus habituelle sur l’étal du bouché, tutoie le poste de dressage qui sert à découper la terrine de veau et cochon. Un peu plus loin, dans un espace récemment agrandi, la cave de maturation accueille une pièce de bœuf massive, tout juste découpée. Angus, Aubrac, Charolaise, les plus belles races sont élevées sur place. Jérémie Muller troque alors sa toque de chef pour son couteau à désosser. « Commander dix filets de bœufs serait plus facile, avoue le cuisinier, mais j’aime relever ce défi d’avoir 400 kilos de viande à travailler dans l‘idée d’en valoriser chaque morceau. Cela force à réfléchir différemment. » Cet approvisionnement, brut, l’a conduit à développer de nouvelles ressources. Les bas morceaux eux aussi ont droit à leur quart d’heure de gloire. Exposés sur une étagère dans la cuisine, à la vue des invités, rillettes, sautés de veau aux olives, hachis, bourguignons s’emportent pour prolonger l’expérience gastronomique. Jérémie Muller a profité de la période de fermeture forcée pour cuisiner et stériliser des plats haut de gamme prêt-à-déguster : 400 bocaux ont ainsi été réalisés à l’aide de son autoclave. L’exemple parfait s’il en fallait un, de l’autoproduction du Domaine, si chère aux propriétaires. Et de l’agilité d’un chef bien dans son élément. « Il a mille idées dans la matinée, c’est à la fois simple et agréable à accompagner », confesse son équipe. Instinctif, Jérémie Muller n’est pas de ceux qui écrivent leurs recettes. Sa maman, serveuse, lui a sans nul doute transmis le goût de la cuisine. Peut-être plus encore celui de se mettre « au service de ». « J’aime, confesse le chef, que les clients profitent d’une cuisine simple et spontanée ».

Domaine de Rymska
Domaine de Rymska
© Christophe Fouquin
Domaine de Rymska
Domaine de Rymska
© Christophe Fouquin
Domaine de Rymska
Domaine de Rymska
© Christophe Fouquin
Domaine de Rymska
Domaine de Rymska
© Christophe Fouquin
La recette qu’il préfère cuisiner
C’est tout bête, mais étant originaire de Moselle, j’adore cuisiner la tarte flambée. Depuis que je vis en Bourgogne, je dirais aussi la saucisse de Montbéliard : d’une manière générale, j’aime le goût fumé, en souvenir de mes racines lorraines.

Spots gourmands

Sous cette apparente décontraction, la technique et l’expérience du cuisinier reflètent son goût des choses justes. Dans les assiettes, tuiles récupérées des travaux, cailloux et troncs d’arbres accueillent les mises-en-bouche. Un décor végétal en hommage à la nature ambiante, vivante, évolutive. En écho aussi à la cuisine « touche-à-tout » de Jérémie Muller. Ce jeune papa s’est pris depuis quelques mois d’un nouveau hobbie : pêcher, avec son fils de trois ans, les sandres et truites dans l’étang qui borde le Domaine de Rymska. Et qui auront les faveurs des invités à la table de Rymska. L’établissement pousse loin les codes de l’autosuffisance alimentaire et Jérémie Muller aime ça. « Ici tout change tout le temps, j’ai la chance de travailler dans un établissement qui n’arrête pas d’évoluer », apprécie le chef. Le jardin d’aromates en pallier lui permet d’expérimenter de nouvelles saveurs : près des exotiques menthes marocaines et glaciales, des odorantes mélisses, l’huître végétale, surprenante découverte herbacée servie ce jour-là avec le sandre de l’étang, aiguise les sens. Chaque spot de verdure, parfumé, gourmand, chaque carré légumier et coussinet fleuri découverts au gré d’une balade appellent à goûter d’un peu plus près encore, cette nature authentique.

Créateur de contrastes, Jérémie Muller surfe sur les textures pour rythmer ses assiettes. L’espuma de chou-fleur croque sous les grattons de cochon du Domaine. La terrine, rustique, révèle ses charmes combinée à un œuf – confit – et aux lamelles cristallines de betteraves. Pour cette fois, le chef y a associé des haricots mais les pois et panais « rymskaniens » n’ont qu’à bien se tenir. Cette cuisine de défi, d’hyper proximité, Jérémie Muller fait tout sauf la dompter. Il souffle dans ses recettes, un vent de liberté qui en dit long sur les valeurs du chef et de l’équipe du Domaine de Rymska. Elle remet la nature (enfin) à sa juste place et sublime une cuisine de terroir mise en valeur par une très belle carte des vins avec plus de 650 références et autant en vieillissement.

Fraîcheur de fruits rouges crème légère chocolat blanc
Fraîcheur de fruits rouges crème légère chocolat blanc
© Christophe Fouquin
Sandre de nos étangs fine ratatouille et rubans de légumes
Sandre de nos étangs fine ratatouille et rubans de légumes
© Christophe Fouquin
dans les cuisines du Domaine de Rymska
dans les cuisines du Domaine de Rymska
© Christophe Fouquin
Jérémy Muller en cuisine
Jérémy Muller en cuisine
© Christophe Fouquin

Hors du temps

Le chemin bordé de barrières en bois à la manière d’un ranch du Texas donne la sensation de se trouver dans un autre monde. Et en même temps, le soin de chaque détail, la délicatesse des espaces, cosys, invitent instantanément à se sentir comme à la maison. Il faut pousser les grilles majestueuses de ce château du XIXème siècle, ouvert il y a deux ans et demi, pour se laisser gagner par le charme fou du Domaine de Rymska, à Saint-Jean-de-Trézy. Quatre années de travail ont été nécessaires pour redonner vie à cette ancienne maison de maraîcher. En Bourgogne du Sud, la tuile, la pierre et le métal forment un tryptique qui a guidé le travail de rénovation et de décoration conduit par les propriétaires eux-mêmes. Eric Feurtet, ancien propriétaire du Cèdre à Beaune, et surtout agriculteur et éleveur de chevaux de course – sa première jument, Rymska, a donné son nom au Domaine après de grandes victoires aux Etats-Unis en 2016 – et Raphaël Meyer, ancien directeur général du Cèdre à Beaune, souhaitaient un établissement articulant leurs deux passions : l’agriculture et l’hôtellerie haut de gamme. Un pari audacieux mais formidable de réussite. Le Domaine accueille ses convives dans un cadre authentique exceptionnel – le mot est faible – de 80 hectares, bordé de prairies où cohabitent bœufs et moutons de races, porcs, volailles, lapins, oies et les Purs-sangs du haras. Chacune des cinq chambres offre une vue imprenable sur la piscine au pied de la roseraie, les prés où les coteaux du pays couchois. Depuis la terrasse toute neuve de l’une d’entre elles, on peut aussi profiter du panorama sur l’étang et son jet d’eau, là où les clients sont invités à pêcher le poisson que le chef leur préparera pour le dîner. L’extension du restaurant, réalisée en début d’année et ouverte sur le potager, invite à profiter de cette nature à 360 degrés. A l’intérieur, des touches baroques se mêlent avec élégance aux plafonds en chêne et aux éléments d’origine. Bientôt, une terrasse avec verrière et bar déporté permettra de s’installer au jardin et d’en respirer ses couleurs même à la saison froide. Les propriétaires réfléchissent aussi à transformer la maison de pierres apparentes voisine en cinq chambres supplémentaires. Partie intégrante du Domaine, la ferme se visite et offre même un autre point de vue sur le Domaine, à l’heure de l’apéritif. La boutique de l’établissement, qui regorge des produits de la ferme concoctés par le chef, permet de prolonger l’expérience de ce lieu hors du temps.

Domaine de Rymska
Domaine de Rymska
© Christophe Fouquin
Domaine de Rymska
Domaine de Rymska
© Christophe Fouquin
Domaine de Rymska
Domaine de Rymska
© Christophe Fouquin
Domaine de Rymska
Domaine de Rymska
© Christophe Fouquin