Après un parcours hors norme dans quelques-uns des plus beaux établissements de la capitale (Drouant, le Pré Catelan, Lasserre, le Ritz, Le Meurice…), Philippe Mille quitte le tumulte de la vie parisienne pour rejoindre la Champagne. Rapidement, son talent à l’état brut se fait remarqué. Un titre de Bocuse de bronze en 2009, deux étoiles au guide Michelin en l’espace de deux ans et un titre de Meilleur Ouvrier de France viennent récompenser ce passionné de bonne cuisine. A travers son premier ouvrage intitulé Le Goût à l’état brut (Edition Albin Michel), le chef nous livre le secret de sa réussite : ses rencontres. En l’espace de sept ans, ce ne sont pas moins de cinquante producteurs qui ont rejoint sa philosophie et participent aujourd’hui à la construction de sa cuisine singulière. Entre deux séances de dédicaces, on en profite alors pour discuter le bout de gras autour de quelques mignardises.

Retrouvez l’interview exclusive de Philippe Mille au micro d’Arts & Gastronomie sur le lien ci-dessous:

Clémence Rouyer : Bonjour à toutes et à tous, je suis aujourd’hui au Plaza Athénée (Paris 08) en compagnie du chef doublement étoilé et Meilleur Ouvrier de France, Philippe Mille.

Bonjour Philippe,

Philippe Mille : Bonjour,

C.R. Récemment, tu as sorti ton premier livre, Le Goût à l’état brut (Edition Albin Michel) et ce qu’il faut dire, c’est que tu as un parcours hors-norme : Drouant, le Pré Catelan, le Ritz, le Scribe et enfin le Meurice avant d’arriver aux Crayères en décembre 2009. On peut donc dire qu’il n’y en a pas Mille des comme toi ?

P.M : Très bien joué ! (rires) Après, ce n’est pas vraiment un parcours atypique mais… ce que j’ai surtout aimé dans celui-ci, ce sont les chefs avec qui j’ai travaillé, les philosophies et les personnalités complètement différentes qui automatiquement donnent des cuisines singulières. Ce sont eux qui m’ont transmis cette passion pour la cuisine que j’essaie de transmettre à mon tour. Lorsque je suis arrivé aux Crayères, les étoiles sont tombées rapidement parce que c’est tout une équipe qui est là pour fournir le travail nécessaire et m’épauler chaque jour. J’ai la chance d’avoir des personnes qui vont dans la même direction que moi.

C.R. A 41 ans, pourquoi  avoir attendu si longtemps pour faire ce premier ouvrage ?

P.M : Déjà, il fallait que je puisse avoir une place de chef pour pouvoir exprimer pleinement ma cuisine. J’ai été élevé à la campagne avec à proximité, des vaches, des cochons, un potager et un verger. J’ai appris la cuisine avec ces produits et lorsque je suis arrivé en Champagne, il y a sept ans, la première année, j’ai découvert ce qu’était le Champagne : la philosophie, les techniques des vignerons, le goût…afin de pouvoir obtenir une certaine idée du paysage champenois dans mon verre. Au-delà de cette boisson emblématique, j’ai ensuite éprouvé le besoin d’aller chercher plus loin, les producteurs autour, les recettes typiques et je me suis rendu compte qu’il n’y en avait pas beaucoup. Les produits n’étaient pas révélés et j’ai parcouru les chemins autour des Crayères pour chiner les meilleurs producteurs. J’en ai trouvé un qui élève une poularde extraordinaire, et d’autres qui font de l’agneau, du safran…A l’heure actuelle, j’ai cinquante-quatre producteurs et artisans qui me donnent un reflet du paysage champenois dans l’assiette qui est en correspondance avec le champagne en lui-même.

C.R. Tu viens de nous dire à l’instant que, plus jeune, tu avais vécu à la campagne, pas en Champagne mais dans la Sarthe. Est-ce que c’est difficile de s’intégrer dans une région étrangère à soi au départ ?

P.M : C’est difficile tout simplement parce que l’on n’a pas de référence et que l’on n’est pas connu. Lorsqu’on va taper aux portes au départ, on nous regarde différemment mais lorsqu’on commence à parler la même langue, que l’on évoque la terre et qu’on le fait avec le cœur, les portes s’ouvrent très rapidement.

C.R Au fil des pages,  on découvre que chaque recette est liée à un produit star et à son producteur. Cela signifie-t-il que la recherche du goût se fait en dehors de l’assiette ? 

P.M : Le goût à la base vient du produit et son origine vient du producteur. J’ai besoin d’avoir un feeling pour avancer. Je prends le temps d’aller chez mes producteurs, j’observe comment il travaille, je mets la main à la patte, je les goûte et, au fur et à mesure, je me rends compte qu’ils sont notre trésor. Je dis toujours que nos producteurs nous livrent des diamants que l’on finit ensuite de ciseler pour les mettre dans l’assiette.

 C.R. On découvre le ratafia de Claude Giraud, le lentillon de Sandrine Simonnot, le vinaigre de Reims de Guy et Valéry brabant ou encore, la pintade de Christophe et Virginie Vauthier… Parmi tous les produits présents dans le livre, y en a-t-il un qui te tient plus particulièrement à cœur ?

P.M : Tous forcément mais il y a une personne avec laquelle l’histoire est différente. Sandrine Bernier est venu me voir avec une petite fiole. A l’intérieur, il y avait 1g de stigmates de safran. Elle me dit qu’elle a planté quelques crocus dans son jardin et elle veut connaître mon avis. J’ai goûté et je l’ai faite revenir deux jours plus tard. C’est vraiment étonnant de voir du safran en Champagne car ça montre que ce n’est pas qu’une terre grise et que l’on peut aussi y faire pousser des fleurs. Je lui ai alors acheté plusieurs pistils mais je lui ai aussi dit qu’avec cet argent, je voulais qu’elle me replante d’autres crocus pour l’année d’après. Aujourd’hui, j’ai quasiment 800 g de safran par an que je suis le seul à avoir. Mais une fois qu’il y en aura plus, je n’irais pas chercher autre part. Et puis, l’important avec ces producteurs, c’est que l’on travaille vraiment ensemble, on échange beaucoup afin d’obtenir la quintessence du produit. On a par exemple mis à sécher les crocus d’une certaine manière.

 C.R. Comme ce safran est local, est-il moins cher ?

P.M : Non, il n’est pas moins cher car ce n’est pas le but non plus de donner moins d’argent aux producteurs. Justement, il faut les valoriser et leur montrer qu’ils sont à la tête d’une vraie richesse.

C.R. En cuisine, comment l’utilises-tu ?

P.M : On l’a bien-sûr décliné dans plusieurs recettes parmi lesquels l’une me tient particulièrement à cœur.  A la suite de mon titre de Meilleur Ouvrier de France dont l’un des sujets portaient sur le haddock, je me suis dit que ça serait bien d’avoir un plat clin d’œil au restaurant. Alors, j’ai réalisé une déclinaison de haddock avec une crème, une mousse, des chips, des pétales fumés à peine cuites et puis, j’ai associé le tout avec une soupe de haddock au safran. Le safran peut aussi très bien accompagner des viandes à l’instar d’un canard légèrement épicé avec une petite note de groseille pour l’acidité. Et puis aussi, avec des agrumes en dessert comme un sorbet à l’orange sanguine afin de rehausser son parfum.

C.R. Car en effet, le risque du safran, c’est qu’il prenne une ampleur assez forte dans le plat. Enfin, par une journée d’automne comme celle-ci, quelle recette choisirais-tu pour réveiller nos papilles ?

P.M : Une recette plutôt classique mais très goûteuse et parfumée. Cette année, on n’est pas très riche en champignons mais dans les Ardennes, nous avons la chance d’en avoir pas mal. On va partir sur des cèpes, quelques trompettes, des girolles et des champignons de Paris qui viennent des carrières que nous avons juste à côté. Avec, on va réaliser une fricassée de champignons avec du Champagne et de la crème épaisse de Madame Barbanson. On va tâcher de la cuire à peine pour conserver son parfum de ferme. On va ensuite accompagner le tout avec un œuf à peine mollet que l’on va paner avec une poudre de champignons que l’on aura faite sécher avant, un beurre noisette pour réveiller ce côté sous-bois et quelques croûtons de brioches pour apporter un peu de craquant. On y rajoutera quelques herbes comme de la coriandre, du persil ou encore, de l’estragon. Ce qui donne un plat très gourmand que l’on peut disposer au milieu de la table pour se servir à sa convenance.

 C.R. Merci Philippe.

 P.M. Merci.

C.R. Et puis, on retrouve bien sûr ton premier ouvrage, le Goût à l’état brut (Editions Albin Michel) en librairie pour un carnet de route gastronomique cet hiver.

 

Le Goût à l’état brut – Philippe Mille

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Edition Albin Michel

240 pages – Disponible en librairies

39 €