A 71 ans, Georges Blanc est plus passionné que jamais. Symbole du terroir Bressan, l’enfant du pays a construit en l’espace de 50 ans un véritable empire gastronomique. Sur le front dès 7h du matin, c’est entre sa casquette de cuisinier et de chef d’entreprise qu’il jongle avec un seul objectif en tête, innover pour toujours être meilleur qu’hier.
la Maison Blanc
© Arnaud Dauphin Photographie

Je suis en Bresse, là où la poularde à la cocarde bleu-blanc-rouge défile aux côtés des plus grandes stars de cinéma tels que Romy Schneider, Claude Brasseur ou encore Jean-Paul Belmondo. Aux abords du village de Vonnas (Ain), le ballet des cuistots est bien rôdé. Du restaurant gastronomique à l’ancienne auberge de la Mère Blanc, les jeunes recrues dévalent la grande place affublées de la panoplie complète du cuisinier. Ici, tout appartient désormais à l’enfant du village devenu cuisinier de renom et chef d’entreprise de talent. Joliment entretenues par le maître des lieux, les façades des maisons arborent le charme des bâtisses à colombage façon XIXème. Pour comprendre l’histoire de ce village, direction les cuisines à la rencontre de Georges Blanc. A la tête d’un empire construit sur plus de six hectares, il a en l’espace de cinquante ans révolutionné le village de son enfance. Si l’on vient désormais à Vonnas, c’est d’abord pour y découvrir la cuisine de son chef triplement étoilé, mais pas seulement. Bienvenue dans le « village gourmand » de Georges Blanc.

J’étais baigné par les odeurs de crème pâtissière et de bon beurre lorsque ma mère cuisinait les poulets à la crème
Georges Blanc

HISTOIRE DE FAMILLE

Né à Bourg-en-Bresse au début des années 40, Georges Blanc est un enfant du pays. Fils d’Adolphe Blanc, troisième génération de charbonnier-limonadier et de Paulette Blanc, fille de boulanger qui pris la tête de l’auberge tenue par sa belle-mère, Elisa Blanc -désignée par le critique Curnonsky comme étant la « meilleure cuisinière du monde »-, le jeune garçon découvre très tôt l’univers des casseroles : « Quand j’étais enfant, la cuisine était située à la place de mon actuel bureau. Ma chambre, elle, se trouvait juste au-dessus de la salle de café. J’étais baigné par les odeurs de crème pâtissière et de bon beurre lorsque ma mère cuisinait les poulets à la crème ». Plus souvent derrière les fourneaux pour assurer la bonne marche de l’auberge qu’à pouponner, Paulette passait le relais à sa belle-mère lorsqu’il s’agissait du petit Georges. « Ma grand-mère logeait dans la petite maison d’en face. Quand je l’ai connu, elle n’était plus en activité mais elle s’occupait de moi. Elle me préparait des desserts sucrés comme des crèmes au caramel et des bananes, un genre de biscuit qu’elle cuisait sur des taules ondulées.»

Toute l'équipe du restaurant
Toute l'équipe du restaurant
© Arnaud Dauphin Photographie

LA FORCE DU DESTIN

Bien que prédestiné à succéder à ses parents, le jeune garçon rêve d’évasion et de grands espaces. Parallèlement à ses études commerciales, il s’imagine pilote de chasse après avoir passé son brevet. Daltonien, le rêve sera de courte durée. A ce moment-là, ses parents décident de l’envoyer à l’école hôtelière de Thonon-les-Bains : pendant trois ans, il y apprendra la gestion et complètera ses techniques de cuisine. Brillant, il collectionne les places de premier de la classe et décroche le titre de major de promotion. Diplôme en poche, le jeune homme part se perfectionner dans deux maisons : Le Grand Hôtel (Divonne-les-Bains) en pâtisserie puis, à La Réserve à Beaulieu-sur-Mer. Deux expériences enrichissantes qui seront suivies de dix-huit mois -service militaire oblige- en tant que cuisiner pour l’amiral Vedel sur le porte avion Foch-Clémenceau. Puis, retour au bercail, « ma mère étant fatiguée, je suis revenu assez tôt dans l’affaire familiale ». Après trois années de formation à ses côtés, Georges Blanc est prêt pour le grand bain, « lorsque j’ai repris le flambeau, c’était loin d’être un empire. Le restaurant fonctionnait avec sept employés contre cent-quatre-vingt aujourd’hui. » Rapidement, il impose sa cuisine, celle des années 70 -l’éveil à la nouvelle cuisine- plus légère et moins répétitive, basée sur le fil des saisons. Désormais le beurre restera au placard, les sauces seront allégées et les poissons tel que le saumon aigrelette seront préparés à la minute. Fort de son succès, Georges Blanc décroche en 1981 la plus haute distinction, la troisième étoile. Toujours à la recherche d’une cuisine plus pointue, il ne cessera d’innover tout en conservant une signature ancrée dans la terre de son enfance. « A l’obtention de mes trois étoiles, nous étions sept en cuisine et faisions beaucoup plus de couverts que maintenant avec une carte à vingt-huit plats contre seize aujourd’hui alors que nous sommes sept fois plus nombreux en cuisine ».

La salle du restaurant
La salle du restaurant
© Arnaud Dauphin Photographie
La salle du restaurant
La salle du restaurant
© Arnaud Dauphin Photographie
Je cherche à faire une cuisine qui régale d’abord et qui étonne si possible.
Georges Blanc

CUISINER À LA MINUTE

Sur la carte, les plus beaux produits défilent pour le plus grand bonheur des convives venus célébrer. « Je ne suis pas de ceux qui utilisent la technique pour magnifier leur cuisine sans acheter des produits nobles ». Turbot rôti au mariage d’épices, fenouil, légumes racines fondants au lard paysan ; tourte d’automne dans l’esprit du « lièvre à la royale », sauce arabica, gingembre et vieux Maury ; bœuf Wagyu en strate de foie de veau fermier, aigre douce aux condiments ; huître en gelée « terre et mer » au caviar Osciètre Royal sont exécutés sans aucune faute de goût. Les viandes sont juteuses et moelleuses, les légumes sont craquants et fondants, les sauces sont légères et savoureuses. « Je cherche à faire une cuisine qui régale d’abord et qui étonne si possible. Pendant trop longtemps, on a eu une cuisine qui visuellement voulait étonner par un apport de technique. Technique tellement présente que l’on ne se régalait pas forcément. » En effet, pour Georges Blanc, au-delà de l’esthétique, un plat doit avoir un goût exceptionnel. Pour cela deux solutions, goûter et servir à la minute, « un produit ne doit pas être stocké au frigo et remis en température pour le service. La cuisine d’aujourd’hui doit respirer la fraîcheur ».

Georges Blanc
© Arnaud Dauphin Photographie

GEORGES BLANC, L’EMPIRE

Avec pas moins de douze restaurants, quatre hôtels, un spa, un cinéma, une épicerie, une boulangerie, etc. le groupe Georges Blanc réalise près de 30 millions d’euros de chiffre d’affaires chaque année. On est désormais bien loin de la petite auberge familiale. Et celui qui lui aura fait sauter le pas n’est autre que Raymond Loewy, père de l’esthétique industrielle, qui lui a fait comprendre qu’au-delà du goût, l’apparence et l’expérience jouent un rôle essentiel : « L’expérience commence en deçà de l’assiette. A qualité de cuisine égale, les gens ont besoin de rêver ». En cuisine quinze heures par jour, Georges Blanc compte bien continuer à écouter ses convives pour progresser sans cesse.


GEORGES BLANC, L’EMBLÊME D’UN VILLAGE

Si Georges blanc est né en 1943, l’histoire de la maison Blanc débute bien avant. En 1872, Jean-Louis Blanc, l’arrière-grand-père tient un petit commerce de charbonnier-limonadier. Quelques années plus tard son fils lui succède accompagné de son épouse Elisa qui prendra en charge l’auberge du village. Le triomphe ne tarde pas à venir pour celle que l’on surnommera, la Mère Blanc. En 1929 et 1931, elle est récompensée coup-sur-coup de deux étoiles au Guide Michelin, faisant ainsi de la Maison Blanc, le plus ancien établissement étoilé au monde, sans discontinuité. Jeune homme surdoué et ambitieux, Georges Blanc reprend les rênes de la boutique en 1968 et transforme l’auberge familiale de 120m2 en un empire de six hectares. Spa, hôtels, épicerie, boulangerie, auberge façon mère-grand, restaurant gastronomique, cinéma et même héliport, la ville de Vonnas est méconnaissable. A l’intérieur de l’ancienne auberge qui abrite aujourd’hui le restaurant gastronomique, les hommages photographiques aux aïeux de la dynastie Blanc sont nombreux. Avec ses murs en pierre, ses dessertes en vieux bois, ses assiettes en porcelaine et ses portraits de famille, la Maison Blanc nous accueille « comme à la maison »