Johnny Cash, BMRC, Sympathetic Sounds... dès l'heure du petit déjeuner, Florent Ladeyn a la rock’n’roll attitude. À trente-deux ans, celui que l’on surnommait tantôt de bloempot - « pot de fleur » en flamand - a pris du plomb dans la caboche. Jusqu’au-boutiste sans être polémiste, il se livre sans peur et sans reproche. Une chose est sûre, à l’auberge du Vert Mont* (Boeschepe), la langue de bois n’est pas au menu.

A&G | Tu es un fan de rock. Si je te dis « Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule… », ça t’évoque quoi ?

Florent Ladeyn | Le taulier… ! (Rires) J’ouvre ma gueule quand deux voyants sont au vert : lorsque le sujet me tient à cœur et que j’ai une certaine légitimité pour en parler. Au-delà de ça, je ne suis pas un polémiste.

A&G | Tu dis que c’est l’un de tes gros problèmes. Ça t’a déjà joué des tours ?

F. L. | Quand tu ne fais pas loin de 1,90 m et 100 kg, les confrontations sont rarement frontales ! C’est sûr qu’avec ma cuisine ultra-locale, je ne me fais pas que des amis. Beaucoup ne comprennent pas pourquoi je m’oppose à ce que l’on mange du chocolat en Bourgogne ou du foie gras en Flandre.

A&G | Ton look de « viking hipster » assumé a-t-il une influence sur le regard que les gens portent sur toi ?

F. L. | Lorsque j’ai fait Top Chef en 2013, mes cheveux étaient déjà en bataille et j’avais aussi une barbe, plus courte certes, mais déjà trop longue pour certains.

A&G | Selon toi, on peut être cuisinier avec une barbe ?

F. L. | Bien sûr ! À l’époque, Auguste Escoffier avait bien une moustache et ça ne l’a pas empêché de devenir l’un des plus grands cuisiniers. L’apparence et la couleur de peau ne sont pas des compétences.

A&G | Pour être chef, il faut forcément être une grande gueule ?

F. L. | J’ai été un gueulard mais on est comme ça lorsqu’on ne maîtrise pas ce qu’il se passe autour de soi. Et plus tu gueules, moins les gens t’écoutent ! Notre rôle est de guider notre équipe vers là où l’on veut aller. Le chef de cuisine est la personne qui doit être écoutée et pas forcément celle qui gueule le plus fort.

A&G | Penses-tu que les guides aient une bonne influence sur votre métier ?

F. L. | Selon moi, ils ne reflètent pas la réalité du marché. Les guides ont une grande responsabilité car ils mettent en avant des restaurants qui ne sont pas économiquement viables sans le soutien d’un complexe de luxe ou d’un investisseur. Ça peut être dangereux. Derrière les paillettes, il ne faut pas oublier que des cuisiniers travaillent dix-sept heures par jour… Je ne porte le blason de personne, je ne suis ni un disciple d’Escoffier, ni un rôtisseur. Je suis simplement aubergiste, chez moi, dans les Flandres.

A&G | À qui pourrais-tu casser un bloempot (signifiant « pot de fleur » en flamand) sur la tête ?

F.L. | À Donald Trump lorsqu’il dit que le réchauffement climatique est un complot, à ceux qui nous envoient droit dans le mur encore plus vite que prévu, et à tous ces mecs qui ne font pas ce qu’ils disent. Tu n’es pas obligé de dire tout ce que tu fais mais tu dois faire ce que tu dis. Ces personnes-là sont une minorité et notre force à nous, c’est d’arrêter de remplir leur gamelle. Résultat, ils devront s’adapter s’ils ne veulent pas disparaître.

A&G | Si je te dis que tu es un locavore, tu prendrais ça comme un compliment ?

F.L. | Je ne suis pas pour les étiquettes. Ici, il ne sera jamais écrit 100 % locavore mais lorsque certains le revendiquent et mettent quand même un dessert au chocolat sur leur carte, ça me rend hors de moi. C’est comme si tu mangeais du poulet en étant végétarien.

Florent Ladeyn
© Anthony Florio

A&G | Il n’y a pas si longtemps, être locavore c’était plus une mode réservée aux bobos. Selon toi, est-ce un luxe de cuisiner local ?

F.L. | J’ai conscience que c’est plus simple de manger local lorsqu’on habite à la campagne que lorsqu’on vit dans une mégalopole européenne. Ici, j’achète pour deux euros de légumes et je fais de la soupe pour deux repas. C’est un luxe dans le sens où c’est une chance d’être à proximité des producteurs, mais ce n’est pas onéreux de manger bon et local.

A&G | Plus d’un tiers des terres sur la planète sont dédiées à l’élevage d’animaux pour nourrir l’homme alors que certains pays manquent cruellement de place pour loger leur population. Pour leur permettre de vivre mieux, serais-tu prêt à devenir végétarien ?

F.L. | Je ne suis pas pro-végétarien mais je suis anti-bouffe de merde. Par la force des choses, on sera forcément amenés à consommer moins de viande. Le bœuf est l’animal qui pollue le plus au monde et le problème est accentué par ceux qui achètent des bêtes qui viennent des Usa et d’Argentine pour leur tendreté. Mais la viande est faite pour avoir du goût et de la mâche. Si tu dois manger 500 g de viande pour avoir l’impression d’en manger, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas quelque part.

A&G | Aujourd’hui, plus aucun réfrigérateur n’est fabriqué en France. Tu serais prêt à devenir le premier restaurant français étoilé sans frigo ?

F.L. | Ce serait sans doute plus facile à Boeschepe qu’à Marseille ! Dans les faits, ça permettrait de réduire notre consommation d’électricité mais on dépenserait plus de carburant car il faudrait multiplier le nombre de livraisons. Mais je ne suis pas encore
prêt pour ça. Je ne prendrais pas le risque de rendre mes clients malades.

Je ne suis pas pro-végétarien mais je suis anti-bouffe de merde.
Florent Ladeyn

A&G | Avec les attentats de Charlie Hebdo, du 13 novembre et de Nice, la fusion de Bayer et de Monsanto, et pour finir, l’élection de Donald Trump, on peut dire que ces deux dernières années n’ont pas été très fastes. Qu’espères-tu pour 2017 ?

F.L. | J’aimerais que tout le monde puisse lire et appliquer cette citation de Pierre Rabhi, agriculteur bio et écrivain, fondateur du mouvement Colibris : « Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu !  » Et le colibri lui répondit :  » Je le sais, mais je fais ma part. » »

A&G | Et toi perso, le terrorisme te fait peur ?…

F.L. | Ce qui me fait peur, c’est que ces mecs-là sont prêts à tout. C’est plus facile de croire en Dieu que de croire en l’homme. Après, il ne faut pas tomber non plus dans la paranoïa en se disant que tous les mecs barbus sont des terroristes, même ceux qui s’appellent Ladeyn ! (Rires)

A&G | Si tu avais un super pouvoir, lequel serait-il ?

F.L. | J’aimerais être le gardien du temps pour pouvoir dire je t’aime plus facilement.

A&G | Tu es déjà allé voir un voyant ?

F.L. | Oui et certains ont dit vrai, à l’instar d’un astrologue qui m’avait prévenu qu’un évènement médiatique contribuerait à mon développement professionnel. Il m’avait aussi prédit une naissance, celle de mon fi ls Kobe, et un accident de voiture qui est arrivé en juin dernier.

Florent Ladeyn
© Anthony Florio

A&G | Tu fais donc confiance au destin…

F.L. | L’astrologie est une vaste science. Le thème astral donne la direction à suivre. Après, reste à chacun à faire les bons choix pour y arriver. C’est comme lorsque tu es sur un bateau de croisière, tu peux rester dans ta cabine ou décider de monter sur le pont. En résumé, je crois au destin mais, selon moi, rien ne tombe du ciel.

A&G | Si demain la communauté flamande devenait indépendante, quel camp choisirais-tu ?

F.L. | Je me sens autant Français que Flamand. Je ne suis pas pour l’indépendance de la Flandre, je suis pour le bon sens économique. La France est mon identité et les Flandres sont mes racines. Je ne mange pas une baguette en buvant un verre de vin rouge, mais bien du pain à la bière et au levain en décapsulant une bière.

A&G | Enfin, Amy Winehouse, John Lennon, Jim Morrison… le destin des stars du rock finit souvent mal. Quelle est ta plus grande peur ?

F.L. | Certainement celle de finir tout seul. J’ai toujours tout fait en groupe. Le rugby, la musique, la cuisine, je me vois mal finir ma vie dans un canapé avec pour seule compagne la télécommande de ma télé.