Sudiste dans l’âme, Christophe Bacquié a fait du Castellet son port d’attache. Tenace, le Corse au sang chaud nage à contre-courant. Devant sa cuisine aux accents marins, difficile de ne pas mordre à l’hameçon.

Pour ce nouveau reportage, je délaisse les bords de la Seine pour ceux de la Méditerranée. Au fil des kilomètres, le soleil pointe le bout de son nez : accent chantant, parfum de garrigue, panorama ensoleillé, les contours de la Provence se dessinent. Voilà une bonne demi-heure que les lacets défilent sous les roues affûtées de notre bolide, mieux vaut avoir l’estomac bien accroché pour franchir la ligne d’arrivée. Situé à deux pas du circuit Paul-Ricard, dans l’arrière-pays varois, notre hôte aime lui aussi les sensations fortes. Derrière ses fourneaux, Christophe Bacquié joue avec le feu le temps d’un rallye culinaire en sept escales. Six ans après son départ de l’île de Beauté, le chef doublement étoilé a fait du Castellet son port d’attache. Véritable bastide aux airs provençaux, l’hôtel éponyme nous offre tous les ingrédients pour farnienter en pleine nature : piscine, jacuzzi, golf, terrain de tennis ou encore spa dernier cri. À l’heure du dîner, on troque le peignoir pour une tenue plus chic et épurée, à l’image de cette salle à manger contemporaine, blottie entre ciel et mer, pour un repas sur la crête de la vague.

Situé dans l’arrière-pays varois, l’hôtel  du Castellet***** nous déconnecte de toute réalité. Exit boîte e-mails et téléphone portable, place au parfum de garrigue et au chuchotement des cigales pour un grand bol de vitalité.
Situé dans l’arrière-pays varois, l’hôtel du Castellet***** nous déconnecte de toute réalité. Exit boîte e-mails et téléphone portable, place au parfum de garrigue et au chuchotement des cigales pour un grand bol de vitalité.
© Arnaud Dauphin Photographie
La vie n’est pas une question de chance mais bel et bien une histoire de rencontres.
Christophe Bacquié

Coup de foudre à Calvi
Que l’on soit en salle ou derrière les fourneaux, le plaisir est partagé. À quarante-quatre ans, Christophe Bacquié prend son pied. Seul capitaine à bord, il mène son navire sous l’œil avisé du commandant. Tailleur impeccable, chevelure blonde et allure dynamique, Alexandra Bacquié a mordu à l’hameçon il y a maintenant six ans. Née d’un coup de foudre professionnel, leur relation est complémentaire. Lui, Montreuillois exilé en Haute-Corse dès son plus jeune âge et elle, Parisienne, partie en quête de renouveau sur l’île de Beauté. Tout comme l’intrigue d’un roman de Musso, c’est le destin qui les réunit. En charge des relations publiques pour la Banque du Louvre à Paris, Alexandra était bien loin du milieu de l’hôtellerie, ce qui n’était pas le cas de ses propriétaires, la famille Taittinger, à la tête d’un beau portefeuille immobilier dont les hôtels de Crillon et du Lutetia. De fil en aiguille, la jeune femme organise alors des séminaires et vient parler business dans ces établissements mythiques. Forte de son expérience en tant que cliente, elle quitte le devant de la scène pour rejoindre les coulisses d’un secteur très millimétré, tout en conservant sa fraîcheur et spontanéité. « Christophe a ce côté très technique. Pour ma part, peu importe qu’une table soit un peu de travers, je souhaite simplement que le client ait une belle vue et passe un bon moment », précise-t-elle.

Christophe Bacquié en cuisine
© Arnaud Dauphin Photographie

Du sud au nord
Enfant de la balle, rien ne prédestinait cependant le quarantenaire à rejoindre le cercle très fermé des cols bleu-blanc-rouge. « La vie n’est pas une question de chance mais bel et bien une histoire de rencontres », affirme-t-il. C’est à la suite du remariage de sa mère avec un Corse possédant un hôtel-restaurant à Lumio que le jeune Christophe est plongé dans cet univers aux multiples facettes. S’il ne rechigne pas à donner un coup de main en salle, le garçon ne s’imagine pas cuisinier, « ma mère faisait une tarte au citron extraordinaire et j’adorais aller piquer quelques brins de persil dans les frigos… mais je ne mettais pas les pieds dans la cuisine. » À la fois timide et rêveur, c’est finalement sa mère qui l’inscrira à l’école hôtelière de l’île Rousse. À partir de là, la machine se met en marche avec une première rencontre : « Le chef comptable du Méridien Montparnasse était venu passer quelques jours de vacances à l’hôtel en Corse. Ma mère lui parle de moi et quelques mois plus tard, je monte à Paris.

A 27 ans, Fabien Ferré est le bras droit du chef Christophe Bacquié. 
© Arnaud Dauphin Photographie

C’est un gros choc thermique. » À son arrivée, Raoul Gaïga et Jean-Yves Guého le prennent sous leurs ailes. « À regret, je n’y suis pas resté longtemps car à l’époque, je pensais que six mois me suffiraient pour tout apprendre ». Depuis l’île de Beauté, son meilleur indic lui apprend que l’Oasis à Mandelieu-La Napoule s’apprête à rouvrir. Les heures s’enchaînent, les gestes se répètent, la pression est là, Christophe Bacquié découvre le niveau d’une grande brigade. « C’était extrêmement exigeant, je prends le train en marche, je raccroche les wagons ». Puis, retour sur Paris pour une escale de dix mois au mess du cabinet du ministre de la Défense à la Tour Maubourg. « La seule chose qui me faisait penser que j’étais à l’armée, c’est que l’on dormait à l’école militaire ». Sur place, il n’est pas le seul à être réquisitionné. Les chefs Eric Pras (Maison Lameloise***, Chagny) et Christophe Raoux (Café de la Paix, Paris 09) sont aussi de la partie. « J’ai rarement aussi bien gagné ma vie. J’allais faire des extras tous les soirs et la nuit, je me rendais au Plaza Athénée pour apprendre à travailler la viande. » Il traverse ensuite la Seine pour rejoindre la Maison Prunier aux côtés du Meilleur ouvrier de France Gabriel Biscay.

Christophe Bacquié en cuisine
Christophe Bacquié en cuisine
© Arnaud Dauphin Photographie
Face au jardin du parc de l’hôtel, les convives sont au premier rang.
Face au jardin du parc de l’hôtel, les convives sont au premier rang.
© Arnaud Dauphin Photographie

Retour au bercail
Après une année et demie, le sudiste a le mal du pays. Il part retrouver sa Corse natale et s’installe à La Villa à Calvi. Là, il redécouvre le terroir local dont il tombe littéralement amoureux. Sérioles, chapons, pagres, poulpes, rougets garnissent ses filets. Crus, frits ou encore rôtis, il a fait de ces habitants des mers sa spécialité. Attaché à une pêche responsable, le chef est un vrai locavore. Présent sur le marché de Sanary-sur-Mer quatre fois par semaine, il chine un à un les produits qui se retrouvent sur sa carte. Pois chiches de Jean-Marie Henri à Rougiers, fleurs de courgette de Jean-Baptiste Anfosso à St-Cyr, fromage de chèvre de la famille Bruna sur le massif de la Sainte-Beaume, huile d’olive du moulin du Partégal à La Farlède, safran de Yannick Dolmetta à Sillans-la-Cascade nous donnent une photographie du terroir local. « Il n’y a pas de bonne cuisine sans une qualité de produits irréprochable. Le goût passe par un circuit extrêmement court. Le frigo tue les légumes et la glace, le poisson. »

A seulement trois heures de la capitale en train, difficile de ne pas prendre son pied dans ce décor de cinéma.
A seulement trois heures de la capitale en train, difficile de ne pas prendre son pied dans ce décor de cinéma.
© Arnaud Dauphin Photographie
Petit coin de paradis
Petit coin de paradis
© Arnaud Dauphin Photographie
Au bord de la piscine, les pieds en éventails, on se sent comme un poisson dans l’eau !
Au bord de la piscine, les pieds en éventails, on se sent comme un poisson dans l’eau !
© Arnaud Dauphin Photographie
Elégantes et raffinées, les 42 chambres de l’hôtel du Castellet***** offrent tout  le confort nécessaire pour un séjour sans tracas.
Elégantes et raffinées, les 42 chambres de l’hôtel du Castellet***** offrent tout le confort nécessaire pour un séjour sans tracas.
© Arnaud Dauphin Photographie
Rien de tel qu’un petit déjeuner 100 % maison pour commencer la journée du bon pied.
Rien de tel qu’un petit déjeuner 100 % maison pour commencer la journée du bon pied.
© Arnaud Dauphin Photographie
L’étoile relève [...] d’un travail collectif.
Christophe Bacquié

Comme un poisson dans l’eau
Si les inspecteurs du guide Michelin ne déclarent juger que l’assiette qui se trouve en face d’eux, pour Christophe Bacquié, le décor aussi est une histoire de goût. Avec l’aide de l’architecte Ivann Pluskwa, il met des couleurs, des formes et des matières sur des mots : modernité, mer, profondeur, nature… chassent l’ancienne salle à manger rustique du Montecristo. Désormais, les tables sont dé-nappées, les chaises enveloppantes, la moquette singeant les bancs de sable de la côte est moelleuse, et le mur principal – recouvert d’une toile signée Martin Berger en hommage aux marins, intitulée « Mare Nostrum » – électrise la pièce d’un bleu perçant. Le restaurant Christophe Bacquié est né.

Gambon écarlate jus rôti
© Arnaud Dauphin Photographie

Dans cet aquarium grandeur nature, difficile de ne pas mordre à l’hameçon. crackers sardine-mangue ; filet de maquereau fenouil-orange ; soupe de poissons de roche et toast à la rouille affûtent notre gosier. Traditionnellement présent dans le couscous ou le fameux houmous, le pois chiche se cuisine ici en salade, accompagné d’une cade toulonnaise et d’une tuile croustillante, le tout à la farine de pois chiche. Une recette tentaculaire addictive, à vous de tester si vous êtes chiche ! Farcie d’une mousseline de poisson anisée, râpée, frite en tempura, réduite en bouillon et en purée, la courgette jaune libère toute sa quintessence. Douce, fruitée, presque sucrée, elle se déguste comme un bonbon. Si le poisson est bel et bien présent dans ce plat, la véritable star vient de la terre. Un côté végétal que l’on retrouve également dans son pigeonneau au sang présenté en deux services, accompagné de pâtes à l’avoine façon risotto et copeaux de truffes ou version orientale, avec son chutney mi-pomme mi-poire. Sans transition, on plonge dans le grand bain, les papilles en alerte. Girelle, supions, rouget, jols, joue de denti, poulpe nagent dans une émulsion d’aïoli moderne. Frits, ça croustille sous la dent. N’oublions pas non plus la reine des crevettes, la gambas royale dite « gambon écarlate ». Rôtie, en jus ou juste snackée, la madone impressionne. Quelle que soit la partition, Christophe Bacquié maîtrise le poisson à la perfection. Dessert de saison, les premières fraises du pays, crème battue vanillée et sorbet basilic sont à la carte. À ses côtés, le calisson prend une autre dimension. Garni d’un sorbet au melon et d’une mousse aux amandes, il se dévore sans l’ombre d’une hésitation. Enfin, la tarte au citron met tout le monde au diapason, sur un zeste de Méditerranée.

Garant d’un véritable savoir-faire, le chef cherche aujourd’hui à le faire savoir. À la tête d’un palmarès à faire pâlir d’envie le plus chevronné des athlètes gastronomes – 4 toques et 18/20 au Gault & Millau, deux étoiles au guide Michelin, le Meilleur ouvrier de France ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.