Le Chef Le Squer est-il le même que l’homme Le Squer ?

J’ai toujours eu cette personnalité. Je n’ai créé aucun personnage. Au Pavillon Ledoyen, la presse ne me connaissait pas. Les étoiles ne m’ont pas fait tourner la tête. Le luxe n’est pas un but. Le luxe, c’est de transformer la matière première pour lui donner de l’élégance.

Si le George V ne vous avait pas recruté, vous seriez-vous autant impliqué dans les réseaux sociaux ?

Être connecté, c’est coller au temps de demain et c’est cela qui m’intéresse. Chez Ledoyen, je savais cuisiner, mais je ne savais pas communiquer. Je réservais la communication à mes clients. Elle était plus intime. J’étais un grand chef sous le préau, mais je n’étais pas membre du cercle dont font partie Pierre Gagnaire ou Alain Passard. Le Four Seasons m’a apporté de la modernité dans l’art du “faire savoir”. Quand je ne sais pas faire, je suis très bon. J’ai la gourmandise d’apprendre.

Et vous avez pris goût à poster des photos sur Instagram ?

Cela fait partie de mon quotidien. Et cela arrange ma brigade. Je suis plutôt un emmerdeur en cuisine (rires).

Avez-vous eu la pression en reprenant la suite d’un grand chef comme Eric Briffard ?

Je ne suis pas de nature à me mettre la pression. Je ne suis pas anxieux. Ma sérénité met en confiance d’ailleurs toute l’équipe. J’ai décroché les étoiles Michelin en six ans. Je les côtoie depuis 2002. C’est mon quotidien. En arrivant au George V, j’avais douze mois pour obtenir l’étoile qui manquait. J’ai signé un contrat comme un footballeur. Je suis un homme de défi. Il existe une solution à tout. La pire chose qui puisse m’arriver, c’est la maladie.

Les étoiles ne m’ont pas fait tourner la tête.
Christian Le Squer

La critique acerbe du Guardian, publiée en avril, a fait le tour du monde. Vous y pensez encore ?

Un article comme celui-là fait du bien à tout le monde. Il montre que rien n’est gagné d’avance. Quand on est un homme public dans la restauration, il faut assumer. Bien sûr, les mots étaient exagérés. J’ai relu la critique trois fois. Il fallait que j’assimile. Le texte ne me ressemblait pas. Mais, il a donné du tort aussi à l’auteur. Toute la Bretagne m’a soutenu.

Et toute la profession…

Tout le monde s’est senti visé, jusqu’au plus petit bistrot français. Les gens se sont dit qu’on ne pouvait pas laisser faire cela. Sinon, on court à la décadence de notre métier. Ils étaient effarés que l’on puisse casser l’un des fleurons de l’art de vivre à la française. Une dizaine de chefs, tels que Bocuse, Passard, Robuchon, ont eu droit à ce genre d’articles dans leur vie professionnelle.

Vous comptez terminer votre carrière au Georges V avant de profiter de la vie ?

Je vis le moment, je ne regarde ni le passé ni le futur. Je ne sais pas ce que nous réserve l’économie demain. Je ne peux pas anticiper la façon dont on mangera. L’environnement me convient aujourd’hui. Tout est une question de rencontres. Impossible de prédire ce que nous deviendrons. Tout ce que je sais, c’est que je suis capable de cuisiner partout.

Christian Le Squer
© Jean-Claude Amiel