Débarqué au George V il y a trois ans, Christian Le Squer a connecté son fin palais à l’univers du luxe, pour insuffler au milieu un soupçon de naturel et de vérité. En retour, le Breton est devenu un chef branché cinq sur cinq à l’air du temps. Au restaurant le V, il a tout bon.

Sous la dorure, les étoiles. L’expérience est inévitablement grande. En passant les deux portes en fer forgé du fond de la galerie du palace parisien, on entre en scène comme un acteur se prépare à vivre l’émotion d’un public ravi de sa performance. Le souvenir commence ici. Parce qu’il s’appelle George V, parce qu’il démarre par une armée de sourires, parce qu’il est signé Christian Le Squer.

Cinq comme l’icône royale de l’avenue qui prête son nom à l’hôtel. Mais, au restaurant le V, le chiffre romain adopte une nouvelle signification. Il évoque les cinq sens que sollicite le maître des lieux. Pour ne pas manquer l’essence de la cuisine Le Squer, on doit l’écouter, la sentir, l’observer, et la savourer pour qu’elle touche au coeur. Le cadre luxueux, structuré par des chaises esprit Louis XV aux reflets dorés qui répondent aux contours du plafond et des camets, intimide autant qu’il hypnotise. Les mises en bouche empêchent d’être aveuglés, et l’on se branche d’emblée à l’essentiel.

Christian Le Squer
© Jean-Claude Amiel
Marble Courtyard
Marble Courtyard
© Yves Duronsoy
Le Cinq Restaurant
Le Cinq Restaurant
© Gregoire Gardette

Couturier du goût
Douze années durant, Christian le Squer a cuisiné les trois étoiles au Pavillon Ledoyen. Un restaurant du triangle d’or parisien qui, jadis, était réservé aux plus avertis. À l’époque, l’enfant de Plouhinec était déjà un créateur de tendances. “J’ai toujours imposé un mouvement à ma cuisine en retravaillant le dressage et les détails de la préparation” souligne-t-il. Il y a vingt ans, sa langoustine chérie, bretonne évidemment, était enveloppée de cheveux de kadaïf, et servie d’une vinaigrette à base de coriandre, d’agrumes et d’huile d’olive. La recette croustillante est devenue si courante qu’on la retrouve sans mal sous forme de canapés dans bon nombre de cocktails. Elle a pris une forme beaucoup plus naturelle à la carte du George V. “Je suis revenu à la simplicité, avec une langoustine juste raidie. Elle est juteuse. La mayonnaise est une émulsion tiède, qui vient éponger, nourrir et enrober la chair du crustacé” détaille le chef. La galette de sarrasin rappelle les origines du cuisinier qui a appris son métier à bord d’un chalutier, lorsqu’il préparait le repas des matelots.

“La cuisine, c’est comme la mode. Quand vous avez trois étoiles, c’est vous qui indiquez les tendances” prévient la toque aux trois étoiles. Christian Le Squer a fait de la comparaison avec l’univers de la couture sa marque de fabrique. Son boeuf “black market” australien drapé dans une mozzarella truffée s’assimile volontiers à un top model emmitouflée dans une étoffe soyeuse. Une création lancée l’année dernière, encore dans le coup. À l’image de nombreux chefs, l’artiste fonctionne à l’instinct. “Je travaille pour continuer de m’étonner. Si je ne le suis plus, c’est rédhibitoire, j’enlève le plat de la carte !”.

La cuisine, c’est comme la mode. Quand vous avez trois étoiles, c’est vous qui indiquez les tendances
Christian Le Squer
Le Georges V
Le Georges V
© Gregoire Gardette
Homard bleu de nos côtes à la nage, émulsion vin jaune
Homard bleu de nos côtes à la nage, émulsion vin jaune
© Jean-Claude Amiel

Faiseur de talents
L’homme de 55 ans se définit comme un entraîneur. Avec Alan Taudon et Romain Mauduit, ses coéquipiers les plus proches, les goûts sont imaginés, travaillés et redéfinis. Le trio assemble des saveurs pour avoir des précisions de mâche. “Tous les plats sont étudiés comme une course de Formule 1. (…) Je suis un homme de matière première. J’aime l’élégance, le raffinement. J’ai l’oeil du détail. Mon père était ébéniste et cela m’a appris la précision. Je ne joue pas sur le décor des assiettes, mais je mise sur l’intensité et sur l’harmonie” confie le cuisinier perfectionniste. À l’instar d’une danseuse de ballet dont la chorégraphie semble facile, Christian Le Squer dresse des idées dont on oserait conclure qu’elles sont simples à réaliser. “Et pourtant, en bouche, c’est un concentré de saveurs qui explose” conclut-il.

Le fin palais ne garde pas ses recettes comme de précieux sésames dont le secret est impénétrable. Formé à l’Archestrate à l’époque d’Alain Senderens, l’ex-apprenti enseigne un savoir-faire en phase avec l’époque. “J’éduque mes collaborateurs à penser moderne. Je ne transmets pas les recettes. Ils apprennent à en être créateurs !”. Christian Le Squer est un trait d’union entre la cuisine du restaurant d’hier et celle d’un grand chef connecté à l’air du temps. Car les membres de sa brigade sont les cuisiniers de demain, assure-t-il.

Gastrogeek
Sincère et conscient, Christian Le Squer ne se voile pas la face sur l’évolution de son métier. Les cuisiniers sont devenus des stars. Il le sait, il en fait partie. Twitter et Instagram sont devenus aussi essentiels que de prêter attention à la température de cuisson d’un poisson. En acceptant le défi du George V, qui consistait à accrocher une troisième étoile au restaurant Le V, le “quinqua” se pliait aux règles de la génération digitale. Chaque jour, les commentaires sont analysés tout comme l’audience de ses comptes. Pour le chef connecté, les réseaux sociaux sont des canaux de diffusion des tendances à venir. Le cuisinier quasi-muet du Pavillon Ledoyen leur a même trouvé des qualités : “ils nous ont permis de distribuer la cuisine”. Et il se satisfait des conséquences potentielles, comme celles d’être pastiché. “Etre copié c’est prendre un temps d’avance ! “. Il s’y est pris au jeu : Le Squer est devenu un as de la communication. Un as tout court.

Christian Le Squer
© Jean-Claude Amiel