Dynamique, enjoué, précis, Cédric Grolet est une véritable tornade. À seulement trente ans, ce petit génie révolutionne la pâtisserie. Artisan complètement givré pour certains, artiste fou pour d’autres, cet esthète ne cesse d’imaginer, sculpter, griffonner avec un objectif en tête, créer pour éponger sa soif de créativité. « La seule chose qui me dynamise, c’est d’inventer en permanence. Il faut toujours que mon cœur puisse battre à 2 000 pour être capable d’une telle précision ». Face à son pire ennemi, l’ennui, le jeune homme a la solution. Crayon en main, il superpose les goûts et associe les formes, « le stylo est là pour stimuler ma créativité. J’ai la chance de pouvoir imaginer un dessert aussi facilement que je trace un coup de crayon ». Véritable artiste dans l’âme, il transforme la pâtisserie en une gourmandise à la fois belle et bonne. « Ça me frustre lorsque les gens ne comprennent pas que mes créations sont des desserts lorsqu’elles sont en photo ». Dès la première bouchée, l’artiste laisse place au pâtissier qui met tout le monde d’accord. Fine et rayée à la poudre d’or, une coque en chocolat au lait revêt le temps d’un hiver les habits d’une noisette ultra gourmande garnie d’un caramel onctueux vanille-fleur de sel, d’un biscuit moelleux à la noisette et d’un praliné-noisette. De quoi rendre addict le plus raisonnable des écureuils ! À la fois subtile, légère et ardente, sa tarte au citron meringuée n’a rien à lui envier. Enfin, élégant et raffiné, le Saint-honoré offre un véritable travail d’orfèvre. Pochée au millimètre près, la crème montée ne laisse aucune place à l’à-peu-près. Sur les vingt-cinq équipiers que compte sa brigade, seuls deux maîtrisent l’art du pochage à la perfection. Véritable Karl Lagerfeld de la pâtisserie, Cédric Grolet trace l’avenir de son métier en dessinant de véritables joyaux cousus main. Rencontre avec un styliste du goût.
© Arnaud Dauphin Photographie
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Interview
D’où vient votre béguin pour le sucre ?
Cédric Grolet : Je ne suis pas vraiment sucre, ce que j’aime c’est la gourmandise. Je mange énormément de pâtisseries, jusqu’à quinze par jour ! Dès qu’il y a trop de sucre, je sature. Je préfère plutôt parler d’équilibre et d’assaisonnement. Dans mon citron en trompe-l’œil, il y a zéro sucre dans la marmelade. Si on la mange seule, elle sera trop acide mais avec la coque en chocolat blanc et la mousse, on obtient alors le juste équilibre.
Votre première recette, vous vous en souvenez ?
Chaque été, je partais à cinq heures du matin pour aller ramasser des fraises pour me faire un peu d’argent de poche. Un jour, l’agriculteur m’a donné un cageot parce que j’avais bien travaillé. Au lieu de les manger, j’ai réalisé un fraisier en suivant une recette sur un livre.
© Arnaud Dauphin Photographie
Après cinq années passées chez Fauchon, l’arrivée au Meurice a dû être un vrai changement ?
Fauchon était ma première expérience à Paris. On travaillait énormément sur le choix des matières et des textures pour réussir à maintenir l’esthétique pendant une journée. Tout était très cadré et très propre afin que l’on puisse transmettre les gestes aux équipes. Lorsque je suis arrivé au Meurice il y a quatre ans, c’était la révolution. Camille Lesecq (ndlr : l’ancien chef pâtissier du Meurice) était quelqu’un d’hyper zen, posé et très discret. Il m’a appris à comprendre la pâtisserie, à savoir quand cuire, assaisonner mais aussi changer le produit lorsqu’il ne correspond plus.
Le style Cédric Grolet, c’est quoi ?
La pâtisserie doit être simple, bonne et compréhensible en ayant toujours à l’esprit que le « bon » est ce qui reste en mémoire. Dans chaque pâtisserie que je travaille, je vais aller chercher le geste optimal. Le plus difficile aujourd’hui est la maîtrise des fondamentaux. Dans un Saint-honoré par exemple, on trouve simplement la perfection du pâtissier en s’interrogeant sur la manière dont la crème a été montée, les choux ont été glacés, le feuilletage a été cuit et le pochage réalisé. Pour moi, ce sont ces savoir-faire de base qui définissent la vraie valeur d’un pâtissier.
Faire une bûche de Noël lorsqu’on est chef pâtissier d’un palace, c’est stressant ?
À chaque fois car elle est énormément regardée. C’est elle qui véhicule l’image de l’établissement. Beaucoup de pâtissiers l’attendent pour voir ce que l’on va présenter d’innovant. Ici tout est fait sur mesure. Chaque cerise qui entoure l’intérieur de la bûche – composée d’une marmelade de cerise, d’estragon, de crème d’amande et de piment d’Espelette – a été sculptée individuellement, modelée et fixée pour réussir à faire un moule. Une fois sortie de ce dernier, chaque détail compte, comme par exemple détourer les cerises avec un couteau, pour obtenir un résultat plus réel qu’un trompe-l’oeil.
Pour le restaurant gastronomique, vous travaillez en collaboration avec Christophe Saintagne et Alain Ducasse. Ce dernier est-il un client exigeant ?
Avec Alain Ducasse, nous sommes dans une relation de confiance. Il n’est pas là en tant que professeur. J’ai beaucoup appris auprès de chacun d’eux en termes d’assaisonnement. L’important ce n’est pas le sucre mais l’essence du goût. Lorsque vous croquez dans le citron en trompe-l’œil, vous avez vraiment l’impression de croquer dans le fruit. Alain Ducasse aime que l’on remplace le sucre par d’autres produits, plus sains et naturels.
Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous amuse le plus ?
J’aimerais vraiment créer une pâtisserie française. On a le Saint-honoré, alors pourquoi ne pas réussir à présenter une pâtisserie typique qui fasse le tour du monde ? Pour cela, il lui faudrait une histoire mais aussi que chacun d’entre nous puisse s’amuser à la refaire à sa manière.
© Arnaud Dauphin Photographie
Vous vous positionnez plutôt comme un artiste ou un artisan ?
Je suis à la fois un artisan car je n’utilise pas de machines – toutes nos pâtisseries sont faites à la main avec mon équipe – mais aussi sans doute un artiste. Réaliser une bûche de Noël est un travail impossible si l’on n’a pas de sens artistique. Chaque dessert doit avoir ce côté artistique pour véhiculer la folie créatrice du pâtissier.
Qui dit établissement de luxe, dit forcément demandes particulières ?
En étant dans un palace, nos convives pensent que tout est possible, même créer un gâteau en moins d’une heure ! Pour son mariage, Thierry Ardisson voulait une pièce montée entièrement composée de citrons. Son vœu n’étant pas réalisable techniquement, je lui ai alors proposé de sculpter un arbre en chocolat d’1m60 depuis lequel lui et ses invités ont pu cueillir leur citron directement depuis ce citronnier éphémère.