À l’heure où l’Assiette Champenoise dort encore, le maître des lieux, lui, sort de sa tanière. C’est souriant et enjoué qu’Arnaud Lallement nous accueille chez lui pour nous parler de sa passion, devenue son mode de vie.

Bonjour Arnaud, pas trop difficile le réveil un jour de fermeture ?

Arnaud Lallement : J’habite juste au-dessus de ma cuisine ! Pour moi être cuisinier, c’est mon mode de vie puisque je passe la majorité de mon temps ici. Le matin je me lève, je prends ma douche, je descends et je petit-déjeune avec ma mère, ma sœur et ma femme qui travaillent également à L’Assiette Champenoise. L’avantage, c’est que je n’ai pas l’impression d’aller travailler !

Alors justement, j’ai faim, c’est l’heure du petit déj ! La recette en 10 minutes chrono signée Arnaud Lallement, c’est quoi ?

J’adore les œufs brouillés ! J’aime le fait que l’on puisse voir en quelques secondes seulement l’évolution de la cuisson. On sent l’épaisseur se développer à travers la cuillère. Pour moi, ça fait partie de la magie de la cuisine, prendre le produit le plus simple du monde et deux minutes après, obtenir un plat cuisiné que je vais pouvoir dévorer avec un morceau de parmesan râpé.

Pour toi, c’est quoi le plus difficile : cuire un œuf ou bien une langoustine ?

J’aime travailler tous les produits, du moment qu’ils sont à leur meilleur stade de maturité. S’il est vrai que je préfère le turbot au maquereau et la langoustine à la crevette, je peux aussi travailler la tomate. Seulement, pour neuf clients sur dix, ce choix aura besoin d’une explication car lorsqu’ils franchissent la porte d’un restaurant trois étoiles, ils viennent pour vivre un moment d’exception. Une fois en bouche, ils se rendent compte de la différence car ma tomate a été coupée avec le bon couteau et assaisonnée avec les bons sel et poivre.

Tu es tombé dans la marmite étant petit. Sans un papa cuisinier, tu penses que tu aurais fait le même métier ?

Quoi qu’il arrive, je pense que j’aurais fait un métier en rapport avec la cuisine. J’aime trop manger et faire à manger. Pourquoi pas journaliste culinaire ! En tout cas, un métier qui m’aurait permis d’aller au restaurant.

En cuisine, la patte Arnaud Lallement, c’est quoi ?

J’essaie de faire une cuisine contemporaine qui mette en valeur les produits que l’on utilise. Pour moi, mettre un minimum de coups de couteau dans un produit, c’est déjà réfléchir à comment le cuisiner.

Tu fais souvent partie de jurys lors de concours. Que faut-il pour qu’un plat t’impressionne ?

Il faut que visuellement, le plat soit beau, qu’il dégage une bonne odeur et surtout qu’il soit bon. Pour moi, la technique passera en dernier. Je ne fais pas non plus de classement en fonction des produits utilisés, qu’ils soient chers ou bon marché. Il faudra simplement que je retrouve la texture, l’odeur, le goût, et que l’assaisonnement et la cuisson soient respectés.

Arnaud Lallement
Arnaud Lallement
© Arnaud Dauphin Photographie
L'Assiette Champenoise
L'Assiette Champenoise
© Gérald Malaisé

Le homard breton aux pommes de terre est le plat signature de ton papa. Quel est le tien ?

Certainement la langoustine royale, nage réduite, citron caviar et piment d’Espelette car c’est celui qui amène le plus de sobriété. Il se suffit à lui-même ! On retire simplement la carcasse et on la laisse sur le grill pour qu’elle développe une mâche très croustillante à l’extérieur et une iode très puissante à l’intérieur.

Travailler en famille, c’est plutôt le piège ou le bon plan ?

Pour moi, ce n’est que du bonheur. Travailler en famille est un moyen de partager des émotions, des épreuves, des étapes et ainsi d’évoluer ensemble. Mon seul regret est que mon père soit parti trop tôt (Ndlr : décédé en 2002). Sans lui, la maison n’existerait pas aujourd’hui. Je dis toujours que mon père a créé la maison et que je n’y suis que de passage. À l’inverse, lui disait : « J’ai créé cette maison pour que mon fils l’amène au plus haut ».

Selon toi, devenir cuisinier aujourd’hui, c’est plus dur qu’avant ?

Je ne pense pas que ce soit plus difficile aujourd’hui car il est possible de suivre de très beaux apprentissages. Avant, je pense que les conditions de vie en cuisine étaient plus rudes.

Le champagne à partager
"J’aime partager les champagnes extra-bruts, c’est-à-dire très peu dosés, sans maquillage. En retirant cette jonction de sucre, on conserve le côté très naturel de la vigne que l’on recherche tous aujourd’hui. Lorsqu’on achète un produit sur le marché, on essaie de l’avoir le plus abouti possible tout en maintenant son goût initial. Sur un champagne extra-brut, on ne perd pas de gourmandise, on en découvre une nouvelle."

Ne penses-tu pas que l’on vende aux futurs cuisiniers un monde trop utopique sous prétexte que la cuisine est à la mode ?

Lorsque j’ai des jeunes qui viennent travailler avec moi, ils savent que l’on va être exigeant. On va leur laisser travailler de beaux produits, en échange, il est nécessaire que le travail soit bien fait. En revanche, laisser travailler un équipier vingt heures par jour ne fait pas partie de la maison. Ma cuisine doit avoir de l’émotion et pour cela, mon équipe doit elle aussi s’épanouir.

Aujourd’hui, si tu devais ouvrir un second restaurant, que ferais-tu ?

Depuis dix-sept ans, chaque année, nous avons transformé l’intérieur de la maison afin qu’elle puisse s’accorder avec la cuisine que je propose. Si je devais refaire un restaurant, je pense que je raserais entièrement celui-ci pour réaliser un extérieur beaucoup plus contemporain. En revanche, la cuisine ne changerait pas.

L’album à télécharger
"Random Access Memories, le dernier album du groupe Daft Punk. J’adore leur façon d’être, de se cacher, que personne ne les connaisse. Peut-être le vrai luxe au final ?"

À choisir, tu es plutôt guide rouge ou jaune ?

Les deux sont très complémentaires. Le guide Michelin apporte une identité qui existe depuis plus de 115 ans aujourd’hui. Il récompense une vraie régularité au niveau du travail effectué. C’est à mon sens l’un des guides les plus importants, ça reste la référence. Le Gault & Millau est quant à lui très complémentaire. Il nous fait vivre de vrais moments d’émotions à travers des expériences qui ont été vécues.

Entre tes deux passions, boire du champagne ou conduire, il faut choisir !

Boire du champagne et puis se faire conduire au retour ! (Rires)

En fin de soirée, ton verre est plutôt à moitié plein ou à moitié vide ?

à moitié plein bien sûr, car je positive énormément ! Tout le monde devrait être heureux.

Arnaud Lallement
© Arnaud Dauphin Photographie

C’est un peu de l’utopie, non ?

Complètement ! (Rires)

Si l’on organisait une bataille des régions, tu serais plutôt Champagne ou Bourgogne ?

Je suis à la fois très chardonnay et pinot noir ! (Rires) Lorsque je suis arrivé en 1997, la cave ne contenait pas plus de sept cents références. Aujourd’hui, elle en contient plus de deux mille avec une petite longueur d’avance pour les vins de Champagne qui représentent la moitié de la cave.

Enfin, une vie sans champagne pour Arnaud Lallement, ce serait possible ?

C’est irréaliste, je ne suis rien sans le et la Champagne ! Notre réussite aujourd’hui est fortement liée à notre région et à sa richesse. Pour réussir en cuisine, il n’y a qu’une règle : ne jamais oublier d’où l’on vient, où l’on se trouve et pour qui on fait à manger.

La destination pour un week-end
"Après la Champagne, la Bourgogne est mon second port d’attache. J’aime ce plaisir de me retrouver dans les vignes. Difficile de quitter ses habitudes !"