Arnaud Lallement a fait de la Champagne sa terre de richesses. épicurien dans l’âme, la maison familiale devient son terrain de jeu. Si cette table vaut aujourd’hui le voyage, ce n’est donc pas par hasard.

À l’heure où Paris s’éveille, il est temps pour nous de rejoindre les quais de la gare de l’Est. Durant quarante-cinq minutes, les paysages défilent à vitesse grand V. Cent trente kilomètres plus tard, nous voilà à destination. D’abord célèbre pour ses caves mythiques, ses coteaux de craie à perte de vue, et son fameux nectar au nom effervescent, Reims est une halte incontournable pour tous les amateurs du bien boire. Plébiscitée par plusieurs milliers de touristes, la Champagne est aussi le terrain de jeu d’un gamin du cru. Champenois et fier de l’être, Arnaud Lallement défend chez lui bien plus qu’une région, un véritable mode de vie. À la tête de l’Assiette Champenoise*** à Tinqueux (Marne), le chef-propriétaire de quarante et un an a fait de la maison familiale – fondée il y a vingt-six ans par son papa Jean-Pierre et sa maman Colette – un lieu à son image, accueillant et convivial, dans lequel chacun s’attelle à perpétuer la finesse et l’élégance de l’art de vivre made in Champagne, dans un décor pour le moins moderne. En effet, véritable amateur d’art contemporain, notre hôte n’a pas hésité a transformer son restaurant en authentique galerie d’art. De Philippe Starck à Arman, on en profite pour se rincer l’œil devant quelques-unes de ses pièces de collection. Enfin, si cette table vaut le détour, c’est aussi et surtout pour sa cuisine. À la fois généreuse, surprenante et malicieuse, elle retranscrit avec justesse le goût du vrai. Bienvenue à l’Assiette Champenoise.

Arnaud Lallement
© Arnaud Dauphin Photographie

TROIS ÉTOILES OU RIEN
Tout comme le chocolat ou le café, la cuisine est pour lui une drogue. S’il n’a pas le souvenir de sa première recette derrière les fourneaux, c’est bel et bien parce qu’il est né dedans. Fils de restaurateur et enfant des guides – comme il aime se définir lui-même – notre hôte est biberonné aux plats en sauce de son papa, Jean-Pierre Lallement. « Mes parents ont ouvert leur premier restaurant lorsque j’avais un an à Châlon-sur-Vesles. À l’époque, ma chambre était située juste au-dessus des cuisines, du coup je sentais toutes les odeurs qui en émanaient ». Entre deux services, les deux générations sont très proches. Que ce soit pour se rendre au marché, vagabonder dans les vignes ou honorer un repas à l’extérieur, le jeune garçon apprend et observe déjà. Mais c’est véritablement à l’âge de cinq ans qu’il décide que lui aussi arborera un jour la toque de cuisinier.

 

Enfant déjà, la cuisine était une véritable obsession avec un objectif en tête, décrocher les étoiles.

 

 

À 41 ans, Arnaud Lallement ne pouvait pas rêver mieux. Faire ce qui lui plaît dans sa maison.
© Arnaud Dauphin Photographie

Tandis qu’à son âge, la majorité des enfants s’endorment avec une berceuse, lui feuillette les pages du sacro-saint guide Michelin. « Je savais que la note maximum était d’obtenir trois étoiles. C’était donc l’objectif que je m’étais fixé sans prendre forcément conscience de la réalité des choses. Certains attendent la quarantaine pour le réaliser mais moi, je le savais déjà à cinq ans ». éveillé dès le plus jeune âge à l’art du bien manger, c’est donc sans aucune hésitation qu’il quitte le cocon familial pour rejoindre l’école hôtelière de Strasbourg. À 16 ans, le jeune homme sait ce qu’il veut, « je ne voulais pas m’attarder trop longtemps sur les bancs de l’école car la seule chose qui m’intéressait était de pouvoir me retrouver casserole en main en train de rôtir un poisson ou une viande ». À l’heure de chercher une maison pour son premier stage, l’apprenti ne s’intéresse qu’aux deux et trois étoiles. En débutant auprès de Jean Crotet à l’Hostellerie de Levernois et de Marc Veyrat à l’Auberge de l’Eridan, il ne dérogera pas à la règle qu’il s’était fixée. De fil en aiguille, le Rémois tisse sa toile. Parmi ses plus belles rencontres, Roger Vergé lui transmettra les parfums du Sud et de l’huile d’olive, Michel Guérard la simplicité et le naturel d’une maison à la campagne avec côté cuisine, une rigueur à toute épreuve. Enfin, Alain Chapel, véritable pape de la grande gastronomie, influencera sa cuisine à jamais. À l’époque déjà, le produit est au centre de la philosophie du chef. Bichonné, observé, respecté, il est l’objet d’une véritable messe. Les coups de couteaux sont comptés, l’assaisonnement est minutieux, le timing est bien rodé, « on attendait que le premier pigeon soit vendu pour le préparer. On ne touchait pas au produit tant que l’on n’avait pas eu le top départ. » Cuisiner le produit, une obsession qui deviendra une véritable religion. « J’aime cette démarche de proposer un produit que l’on ne trouvera pas partout. Lorsqu’un convive décide de se rendre dans un restaurant trois étoiles, pour lui, c’est un vrai moment d’exception ».

Arnaud Lallement
Arnaud Lallement
© Arnaud Dauphin Photographie
Arnaud Lallement
Arnaud Lallement
© Arnaud Dauphin Photographie
Arnaud Lallement
Arnaud Lallement
© Arnaud Dauphin Photographie
Arnaud Lallement
Arnaud Lallement
© Arnaud Dauphin Photographie
Je ne conçois pas une cuisine sans émotion.
Arnaud Lallement

PASSAGE DE TÉMOIN
Si aujourd’hui la maison est fière d’arborer ses trois étoiles, la route vers la voie « lactée » n’a pas été un long fleuve tranquille. En effet, en 1994, la maison Lallement perd son unique étoile après dix-huit années d’effort. En 1997, Jean-Pierre Lallement appelle son fils à la rescousse. Fatigué, il confie les rênes de l’établissement qu’il a fondé à son fils, avant de s’en aller, bien trop tôt. Si Arnaud perpétue la cuisine de son père pendant un moment, le chef marque peu à peu son empreinte. Tandis que l’on connaissait le homard bleu breton aux pommes de terre du papa, on y découvre la langoustine royale juste rôtie, nage réduite, citron caviar et piment d’Espelette. Cuisiné en trois façons, le chef ne perd pas une miette de ce crustacé d’exception. En bouche l’explosion est réussie. On pioche jusqu’à la dernière bouchée avec même un petit goût de reviens-y. Pour réaliser ce travail, ce sont près de cinquante personnes qui se relaient matin et soir en salle et en cuisine. « Je ne conçois pas une cuisine sans émotion. Pour cela, j’ai choisi de doubler nos effectifs car ce n’est pas en les faisant travailler vingt heures par jour que nous risquons d’en avoir ».

Frédéric Bouché, chef sommelier de l'Assiette Champenoise
© Arnaud Dauphin Photographie

En cave aussi, les changements sont notables. De sept cents références, Frédéric Bouché, chef sommelier, présente aujourd’hui près de deux mille appellations avec une préférence notable pour la Champagne (pour en savoir plus, retrouvez l’interview de Frédéric Bouché p 86). Très attaché à son terroir, Arnaud Lallement a fait des accords mets-Champagne sa spécialité. À table, le menu Héritage – composé de neuf plats surprise – fait la part belle aux grandes maisons qui maîtrisent à la perfection l’identité de leur vin, mais aussi aux vignerons qui favorisent l’expression de leur parcelle. Pour ne pas faire de jaloux, ce sont trois cuvées de chaque qui sont présentées aux convives pour réaliser l’accord qui leur correspondra le mieux. En effet, pour Arnaud et Frédéric, l’accord parfait n’existe pas. Ensemble, ils travaillent pour réaliser le juste accord. Pour cela, Arnaud a son petit secret, des plats équilibrés et gourmands avec une pointe de fraîcheur et d’acidité pour faire frémir nos papilles. Ainsi agrumes, poivre, paprika, piment d’Espelette, vin jaune ou encore vinaigre de Reims font-ils partie de sa boîte de perlimpinpin.

En cuisine
En cuisine
© Arnaud Dauphin Photographie
La collection de guide Michelin
La collection de guide Michelin
© Arnaud Dauphin Photographie
L'Assiette Champenoise
L'Assiette Champenoise
© Arnaud Dauphin Photographie
L'Assiette Champenoise
L'Assiette Champenoise
© Gérald Malaisé
L'Assiette Champenoise
L'Assiette Champenoise
© Gérald Malaisé
L'Assiette Champenoise
L'Assiette Champenoise
© Arnaud Dauphin Photographie
L'Assiette Champenoise
L'Assiette Champenoise
© Arnaud Dauphin Photographie
L'Assiette Champenoise
L'Assiette Champenoise
© Arnaud Dauphin Photographie
L'Assiette Champenoise
L'Assiette Champenoise
© Arnaud Dauphin Photographie
L'Assiette Champenoise
L'Assiette Champenoise
© Arnaud Dauphin Photographie

FRÉTILLEMENT EN CUISINE
Toujours avide de présenter les meilleurs produits, Arnaud Lallement n’hésite pas à faire le tour de France pour trouver l’émotion qui viendra chatouiller son palais. Ainsi, les canards bien dodus de Pierre Duplantier viennent du Béarn, les saint-pierres de Petit Bateau de Saint-Jean-de-Luz, et les langoustines royales du Guilvinec, pour le plus grand plaisir de la brigade qui prépare, tranche, rôtit, arrose afin d’exprimer l’excellence d’un produit élevé au naturel. « Lorsqu’il arrive en cuisine, le produit a besoin d’être bichonné et cela ne se réalise pas en le mettant dans un four et en attendant que ça se passe ». En cuisine, la plancha et l’huile d’olive font figure d’alliées. « J’aime faire ressortir le côté végétal et ensoleillé d’un produit, le toucher pour savoir si l’on arrive à la bonne cuisson est fondamental. On doit vivre son évolution ». Dès le début du repas, le ton est donné avec une cartographie très minérale de la Champagne. La cuvée 7 Crus de la maison Agrapart ouvre le bal de ce dîner festif avec, en guise d’amuse-bouche, la fameuse potée champenoise. Plat campagnard, cette recette se préparait à l’origine les jours de vendange. Tradition oblige, chaque famille possédait alors sa propre recette. Celle de la famille Lallement contient choux, carottes, navets et poitrine de cochon, le tout mijoté dans un bouillon léger et aromatique. L’escapade en Champagne continue avec la cuvée Extra-Brut 737 de chez Jacquesson, le premier cru L’Accomplie Brut de la maison Savart et pour finir, le grand cru Brut Rosé du vigneron Pierre Paillard. Dès la première gorgée, nos papilles frétillent d’impatience en attendant les plats. D’une extrême finesse, la langoustine royale se mange sans faim. Crus et rôtis au beurre, les cèpes se dévorent en une bouchée. Ultra-moelleux, les gnocchis – garnis d’écrevisses et d’une émulsion coquillages et persil – s’engloutissent au même rythme que des nounours en guimauve. N’oublions pas non plus le homard bleu de Bretagne « de papa » et sa sauce homard-Sauterne à tomber par terre. Enfin, côté sucré, on plonge dans la gourmandise avec des Baby cannelés, moelleux et parfumés à l’intérieur, juste ambrés et croustillants à l’extérieur. La Champagne serait-elle en train de marcher sur les plates-bandes du Bordelais ? Dessert de saison, la pêche de vigne est à la carte. Garnie de crème glacée à la verveine, de pignons de pin, de pistaches et de sésame noir, elle offre une continuité au travail du rôtisseur. Plus que la précision qui se cache derrière chaque geste et la parfaite maîtrise des assaisonnements, retenons avant tout le message d’un homme qui se dit juste de passage, à savoir profiter de l’instant présent.